La commission épiscopale pour la liturgie et la pastorale sacramentelle comptabilise 230 lieux où la messe dans sa forme extraordinaire est célébrée.
Dans l'Église catholique, la France est le pays le plus travaillé par la question liturgique. C'est-à-dire par la façon de dire la messe. À l'ancienne, dos au peuple et en latin. Ou, moderne, le prêtre célébrant face aux fidèles en parlant leur langue. Les catholiques français se sont déchirés sur le sujet quand le concile Vatican II (1962-1965) a décidé de réformer la liturgie. Qui revenait à abandonner la messe en latin, selon le missel de Jean XXIII publié en 1962. Ce qui a provoqué alors la rupture de Mgr Marcel Lefebvre, dite «intégriste», et suscité toute une mouvance, appelée «traditionaliste», l'évêque restant fidèle au rituel latin mais refusant de rompre avec Rome.
L'un des grands soucis de Benoît XVI, élu pape en 2005, fut de tenter une réconciliation sur ce terrain. Il y a dix ans, le 7 juillet 2007, il publie un motu proprio Summorum pontificum, un décret d'application qui rétablit l'usage de la messe en latin selon l'ancien rituel. Non plus selon un mode dérogatoire ou exceptionnel, mais «extraordinaire», c'est-à-dire pleinement reconnu à côté du rite «ordinaire» du missel de Paul VI, partout célébré. L'idée forte de Benoît XVI, familier de l'ancien rite, était de favoriser «un enrichissement mutuel» entre ces deux façons de dire la messe. Et surtout entre… ceux qui la disent! Car le problème le plus difficile à résoudre était et demeure celui d'un clergé profondément divisé à cet égard.
Pour surmonter cet obstacle humain, et en particulier la réticence de la majorité des évêques de France à faire un pas en direction des «traditionalistes» - souvent réduits à des «réactionnaires d'extrême droite» -, Benoît XVI a l'idée de court-circuiter l'échelon épiscopal et de créer, au niveau paroissial, une messe en latin à la demande. Ainsi ce paragraphe du motu proprio de 2017: «Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la messe selon le rite du missel romain édité en 1962.» Du jamais vu dans l'histoire de l'Église: des fidèles de base, en nombre suffisant, pouvaient demander à leur curé une messe en latin sans que l'évêque ne puisse s'y opposer.
Une progression en 10 ans
Qu'en est-il dix ans plus tard? La commission épiscopale pour la liturgie et la pastorale sacramentelle comptabilise 230 lieux où la messe dans sa forme extraordinaire est célébrée. Ils étaient 124 avant le motu proprio de 2007. Soit une progression d'une centaine en dix ans, dont beaucoup en région parisienne.
En France, une association, La Paix liturgique, relie tous ceux qui demandent ces messes. L'un de ses responsables, Christian Marquant, observe que «la clé de la bonne application du motu proprio réside dans la bienveillance du clergé: un curé qui ne veut pas de la coexistence des deux formes du rite romain dans sa paroisse a mille façons de ne pas l'appliquer».Et, selon lui, «beaucoup de demandeurs se sont découragés face à tant de mauvaise foi». Mais il précise: «La jeune génération de prêtres et de séminaristes est très encourageante sur cet aspect. Et ce texte pontifical a contribué à modifier les mentalités. S'il existe une grande opposition dans les faits, il n'est plus possible de dire que la célébration de la liturgie traditionnelle est interdite. En normalisant cette forme liturgique, le motu proprio a contribué à l'apaisement.»
Christophe Geffroy dirige la revue catholique La Nef, qui vise une cohabitation «en bonne intelligence» entre ces deux formes liturgiques. Il constate, lui aussi, que ce motu proprio a «ouvert des voies à une nouvelle génération de prêtres décomplexés sur les questions liturgiques», même si «une partie de la hiérarchie demeure méfiante à l'égard des traditionalistes». Ils sont toujours perçus comme des «fidèles suspects» alors que, «en proportion, ce courant a le plus de vocations».