SOURCE - Gérard Leclerc - France Catholique - 15 octobre 2012
"Mgr Lefebvre, un évêque dans la tempête". Un film-document, qui offre les images de toute une vie commentée par des témoins, vaut peut-être mieux pour les disciples de l’ancien archevêque de Dakar que tous les plaidoyers. Préalablement à toute controverse – et Dieu sait si, à propos de l’intéressé et de son œuvre, elle est vite portée à l’incandescence – il y a le simple récit d’une existence, le souvenir rendu vivant d’une personnalité, le sens de son combat rappelé mezzo voce, sans éclats, dans le registre d’une personnalité qui excluait l’enflure et la dialectique des idéologues. Sans doute faut-il regarder ce film avec pleine disponibilité d’esprit, en se retenant jusqu’au bout de porter un jugement. Accueillir d’abord le document brut, « la chose même », avant de se risquer à exprimer accords ou désaccords. Même au plus déterminé des adversaires, une telle attitude peut être profitable, ne serait-ce que pour enregistrer les données, enrichir ses connaissances, s’accommoder aussi à une perspective chronologique, ethnologique, historique, qui enracine les faits dans leur cadre concret. Le rappel des origines familiales de Marcel Lefebvre permet de braquer un instant l’objectif sur le père, René Lefebvre, qui mourut d’une hémiplégie, suite aux coups donnés par un gardien au camp de Sonnenburg, où il avait été interné pour faits de résistance. Ce rappel n’est nullement superflu, du fait des amalgames faciles qui sont pratiqués à propos d’une certaine origine catholique. Le père de Mgr Lefebvre avait été l’objet de deux condamnations à mort à Berlin en 1942 « pour intelligence avec l’ennemi et recrutement de jeunes gens pouvant porter les armes contre le Grand Reich allemand ». On comprend qu’il ait été décoré de la médaille militaire à titre posthume. Mais il y aurait lieu aussi de rappeler que le même René Lefebvre avait eu la même conduite héroïque durant la première guerre mondiale, alors que la région lilloise était déjà sous occupation allemande. Un tel précédent permet d’apprécier le climat de l’enfance du futur évêque où le courage était une vertu native et où la formation chrétienne structurait l’éducation et tissait la sensibilité des garçons et des filles. Sur huit enfants, cinq accèderont au sacerdoce ou à l’engagement religieux.
"Mgr Lefebvre, un évêque dans la tempête". Un film-document, qui offre les images de toute une vie commentée par des témoins, vaut peut-être mieux pour les disciples de l’ancien archevêque de Dakar que tous les plaidoyers. Préalablement à toute controverse – et Dieu sait si, à propos de l’intéressé et de son œuvre, elle est vite portée à l’incandescence – il y a le simple récit d’une existence, le souvenir rendu vivant d’une personnalité, le sens de son combat rappelé mezzo voce, sans éclats, dans le registre d’une personnalité qui excluait l’enflure et la dialectique des idéologues. Sans doute faut-il regarder ce film avec pleine disponibilité d’esprit, en se retenant jusqu’au bout de porter un jugement. Accueillir d’abord le document brut, « la chose même », avant de se risquer à exprimer accords ou désaccords. Même au plus déterminé des adversaires, une telle attitude peut être profitable, ne serait-ce que pour enregistrer les données, enrichir ses connaissances, s’accommoder aussi à une perspective chronologique, ethnologique, historique, qui enracine les faits dans leur cadre concret. Le rappel des origines familiales de Marcel Lefebvre permet de braquer un instant l’objectif sur le père, René Lefebvre, qui mourut d’une hémiplégie, suite aux coups donnés par un gardien au camp de Sonnenburg, où il avait été interné pour faits de résistance. Ce rappel n’est nullement superflu, du fait des amalgames faciles qui sont pratiqués à propos d’une certaine origine catholique. Le père de Mgr Lefebvre avait été l’objet de deux condamnations à mort à Berlin en 1942 « pour intelligence avec l’ennemi et recrutement de jeunes gens pouvant porter les armes contre le Grand Reich allemand ». On comprend qu’il ait été décoré de la médaille militaire à titre posthume. Mais il y aurait lieu aussi de rappeler que le même René Lefebvre avait eu la même conduite héroïque durant la première guerre mondiale, alors que la région lilloise était déjà sous occupation allemande. Un tel précédent permet d’apprécier le climat de l’enfance du futur évêque où le courage était une vertu native et où la formation chrétienne structurait l’éducation et tissait la sensibilité des garçons et des filles. Sur huit enfants, cinq accèderont au sacerdoce ou à l’engagement religieux.
La vocation personnelle du jeune Marcel le destinera très vite aux
missions. C’est dans le cadre de la Congrégation des pères du
Saint-Esprit qu’il se retrouvera au Gabon, missionnaire de base,
supérieur de séminaire, fondateur et bâtisseur infatigable. Le film nous
permet de revivre cette période avec des images de l’époque. On
comprend très bien comment s’est forgée la stature de celui qui
deviendra évêque à 42 ans. Des personnes aujourd’hui très âgées ont
gardé le souvenir intact de cet homme de terrain à la foi communicative.
Il est incontestable que l’Afrique chrétienne d’aujourd’hui doit
énormément à son action pastorale, qui s’est très vite étendue au-delà
du Sénégal à l’ensemble des pays francophones jusqu’à Madagascar. Pie
XII lui a, en effet, donné la charge de superviser plus de quarante
diocèses. Il concentre tous ses efforts à la formation d’un clergé local
et à la montée d’un épiscopat africain.
Son successeur à Dakar n’est autre qu’un prêtre qu’il a ordonné en
1949, le futur cardinal Hyacinthe Thiandoum. Ce dernier sera meurtri par
ce qui se passera après le concile et n’acceptera jamais que son père
spirituel soit retranché de la communion avec Rome. S’il me faut joindre
un témoignage personnel au récit du film, je rappellerai ce que m’avait
un jour confié le cardinal Thiandoum au téléphone : « Je me suis rendu
vingt-six fois à Écône. C’est dire à quel point cette affaire me tient à
cœur. Et je puis vous assurer que les torts sont largement partagés. »
Mais pour mesurer la portée de tels propos, il faut se replonger dans
cette Église d’Afrique des années d’après-guerre et d’avant Vatican II.
Marcel Lefebvre est alors une des grandes personnalités de l’Église
universelle, reconnue comme tel à Rome et par les autorités politiques.
Il est probable que, si Pie XII avait procédé à un consistoire avant sa
mort, l’archevêque de Dakar aurait compté parmi les nouveaux cardinaux.
Mais au début des années soixante, l’histoire tourne, avec la
décolonisation, l’indépendance des pays de l’Afrique francophone. C’est
la fin de la phase africaine, et très vite, après le bref intermède
d’une nomination à l’évêché de Tulle, l’ouverture du concile auquel Mgr
Lefebvre va participer en tant que supérieur général des pères du
Saint-Esprit. Ses confrères spiritains l’ont massivement élu à ce poste,
furieux du traitement qu’on faisait au plus illustre des leurs.
Commence alors le drame du désaccord qui va conduire Marcel Lefebvre à
l’opposition directe avec le pape Paul VI. Paradoxe inouï : le plus
Romain des Romains, en vertu de sa formation au séminaire français de
Rome, de ce qu’on pourrait appeler son ultra-montanisme inné, de son
attachement indéfectible au ministère de Pierre, va se dresser contre
une Rome qu’il déclare ne plus reconnaître dès lors qu’elle est devenue
« néo-moderniste et néo-protestante » dans le cours du concile et dans
les réformes qui en sont issues. Là-dessus le film enregistre les
différentes phases de l’opposition de plus en plus frontale de celui qui
désormais organise sa résistance autour de la fondation d’un séminaire à
Écône en Suisse et d’une fraternité sacerdotale.
D’évidence, le film donne la parole à tous ceux qui ont accompagné et
soutenu cette résistance. Il est unilatéral. Mais c’était la loi du
genre et il est d’ailleurs utile que soient exposés dans leur cohérence
tous les éléments qui expliquent la rupture que constituera la
consécration de quatre évêques de la fraternité, contre la volonté du
pape Jean-Paul II. Il est toutefois rappelé que ce dernier avait employé
ses efforts a une conciliation, en déléguant le cardinal québécois
Gagnon pour une visite qui s’était révélée très positive et en donnant
mandat au cardinal Ratzinger pour trouver les termes d’un accord. Accord
qui fut d’ailleurs signé par les deux parties et que Mgr Lefebvre
désavoua sur le champ.
On reçoit son explication qui tient entièrement dans sa résolution
d’assurer la continuité de son œuvre après une mort qu’il sent
approcher. Si Rome lui avait permis une consécration épiscopale
immédiate, la rupture n’aurait pas eu lieu. On ne peut se défendre d’un
profond sentiment de tristesse face à cette sorte de destin inexorable.
Une fatalité semble s’être abattue sur l’Église post-conciliaire qu’on
aurait pu peut-être exorciser avec un peu plus d’effort de compréhension
et d’écoute.
Reste, bien sûr, tout le dossier du concile, de son enseignement et
des réformes qui l’ont suivi. Le film ne donne pas la parole à ceux qui,
là-dessus, n’ont pas les mêmes analyses. Il permet toutefois
d’entrevoir un effondrement déjà sensible dans les églises d’Europe des
années soixante. Celui-ci rendait irréductible le refus et la colère
traditionalistes. Benoît XVI a voulu de toutes ses forces que l’on passe
à une autre étape de franche explication. Le dossier est trop
douloureux pour être soldé en quelques années. Mais tout montre que
l’Église est en train de s’interroger sur l’avenir de l’évangélisation,
notamment grâce à un synode où on n’a pas peur de tout remettre à plat.
Cinquante ans après le concile, c’est le moment inespéré d’un
recommencement.