SOURCE - SPO - 13 octobre 2012
Les anniversaires donnent toujours lieu à un débordement d’hyperboles et le cinquantenaire de l’ouverture du concile Vatican II n’y manque pas. Reprenant les paroles même de son prédécesseur, le pape Benoît XVI vient de rappeler que « Vatican II est une boussole pour notre temps ».
Les anniversaires donnent toujours lieu à un débordement d’hyperboles et le cinquantenaire de l’ouverture du concile Vatican II n’y manque pas. Reprenant les paroles même de son prédécesseur, le pape Benoît XVI vient de rappeler que « Vatican II est une boussole pour notre temps ».
Il n’est pas de mon propos ni de mon dessein d’entrer dans des discussions théologiques qui dépassent ma compétence. En revanche, il me tient à cœur d’essayer de comprendre les évolutions de l’Église et certaines affirmations des autorités compétentes. Or, je l’avoue franchement, cette image de la boussole, utilisée par deux papes, ne me semble pas pertinente.
Concernant Vatican II, Benoît XVI a d’abord opéré, en 2005, une distinction entre une « herméneutique de la rupture » et une « herméneutique de la réforme dans la continuité » (et, non, une « herméneutique de la continuité », comme beaucoup l’ont affirmée). C’était admettre que les textes conciliaires ouvrent la voie à des interprétations bien différentes. Comme petit laïc de base, j’attendais que cette distinction, qui n’est pas déjà bien claire en elle-même, conduise à des explicitations des points obscurs ou difficiles des textes conciliaires, notamment ceux relevés par certains théologiens.
Sans même prendre en compte les objections les plus virulentes, venant des opposants à Vatican II, certains textes conciliaires sont, en effet, interprétés diversement par des théologiens considérés comme « idoines » par les autorités. De plus, leurs interprétations sont rarement reprises par le Magistère. Prenons seulement l’exemple de la déclaration sur la liberté religieuse.
Je n’ai ni autorité ni compétence pour juger l’interprétation de ce texte faite par le Père Basile du Barroux, par exemple, certainement l’un des travaux les plus sérieux sur le sujet. Le résumé qu’il en a fait lui-même est un monument de logique et de références, et je suppose qu’il en va de même de sa thèse proprement dite en six volumes. Le Père Basile ne m’a pas convaincu, mais là n’est pas le problème. Malgré la rigueur, le sérieux de ce travail et sa logique implacable, cette thèse n’a pas été reprise (à ma connaissance) à son compte par le Magistère. Elle n’est qu’une opinion personnelle, qui certes est davantage fondée que la mienne en ce qu’elle s’appuie sur un véritable travail et une vraie réflexion, mais, elle reste malgré tout du domaine de l’opinion théologique fondée scientifiquement.
À ce jour, le Magistère, comme magistère, et avec les degrés d’autorité nécessaires, a peu indiqué le sens qu’il fallait donner aux points considérés comme obscurs dans les textes conciliaires. Globalement, nous sommes plutôt placés dans une situation générale, comme le faisait déjà remarquer Mgr Gherardini, où le concile est explicité par le concile, ce qui ne répond pas à une démarche tout à fait scientifique. Mais, peut-être, est-ce ainsi qu’il faut vraiment entendre ce que le pape appelle « herméneutique de la réforme dans la continuité » ? Plus que la continuité donc (ou, la Tradition, pour le dire autrement), c’est la réforme qui semble devoir expliquer la réforme. Mais, si c’est le cas, nous tournons tout simplement en rond.
À ce stade de ma réflexion, une question me vient que j’adresse aux historiens. Le Concile de Trente a-t-il donné lieu lui aussi dans ses lendemains à l’équivalent de ces questions d’herméneutiques ? Y a-t-il eu débat sur l’interprétation de Trente ou sur la distinction entre la « lettre » de Trente et « l’esprit » de Trente ? Les évêques conciliaires ont-ils mis en application dans leur diocèse une pastorale se réclamant de Trente tout en s’éloignant, dans l’ensemble ou dans le détail, des prescriptions de Trente ? Et si jamais, ce n’est pas le cas, quelle est la raison qui expliquerait cette différence ?
Pour revenir à Vatican II, celui-ci nous est présenté à nouveau comme une boussole. L’image vaut ce qu’elle vaut et je sais bien qu’il ne faut pas exagérer la portée d’une image. Mais je constate au moins deux choses :
- cette boussole est capable d’indiquer des « Nords » différents (pour rester dans cette image) comme l’indique le constat de deux herméneutiques ;
- on n’arrive pas à situer vraiment le « Nord » (toujours pour rester dans l’image) dans des textes contradictoires ou dépassés.
Prenons, à titre d’exemple, le numéro 36, consacré à la langue latine. Nous lisons :
1. L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins
Mais tout de suite après, le texte conciliaire affirme aussi catégoriquement :
2. Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants, conformément aux normes qui sont établies sur cette matière dans les chapitres suivants, pour chaque cas.
Où se trouve exactement le « Nord »
ici ? Dans l’affirmation de l’usage conservé du latin ou dans l’emploi
plus large possible des langues vernaculaires ?
On retrouve la même démarche au numéro 54 :
On pourra donner la place qui convient à la langue du pays dans les messes célébrées avec le concours du peuple, surtout pour les lectures et la « prière commune », et, selon les conditions locales, aussi dans les parties qui reviennent au peuple, conformément à l’article 36 de la présente Constitution.On veillera cependant à ce que les fidèles puissent dire ou chanter ensemble, en langue latine, aussi les parties de l’ordinaire de la messe qui leur reviennent.Mais si quelque part un emploi plus large de la langue du pays dans la messe semble opportun, on observera ce qui est prescrit à l’article 40 de la présente Constitution.
Le Nord se trouve-t-il dans le principe
rappelé et maintenu ou dans l’exception introduite aussitôt et qui le
ruine pratiquement ?
Nombre de passages des textes
conciliaires pourraient donner lieu à de telles questions. Au lieu de
placer l’anniversaire de l’ouverture du Concile sous l’hyperbole de
l’image de la boussole, n’aurait-il pas été nécessaire, puisqu’il ne
s’agit pas d’un « super-dogme » (dixit le cardinal Ratzinger) d’en
proposer une évaluation historique, en d’autres mots un bilan, afin que
le magistère agisse comme il le doit par la suite ?
Ce discernement, sans le dire
d’ailleurs, a lieu au sein même du synode des évêques sur la nouvelle
évangélisation. On peut lire dans l’instrumentum laboris du synode :
Diverses réponses aux Lineamenta ont essayé d’identifier les raisons pour lesquelles beaucoup de fidèles se détachent de la pratique chrétienne, dans une véritable « apostasie silencieuse », dans le fait que l’Église n’aurait pas donné une réponse adéquate et convaincante aux défis des scènes qui ont été décrites. En outre, ont été constatés l’affaiblissement de la foi des croyants, le manque de la participation personnelle et expérientielle dans la transmission de la foi, ainsi que l’insuffisance de l’accompagnement spirituel des fidèles pendant leur parcours formatif, intellectuel et professionnel. Une bureaucratisation excessive des structures ecclésiastiques a été déplorée, celles-ci étant perçues comme éloignées de l’homme commun et de ses préoccupations existentielles. Tout cela a entraîné la diminution du dynamisme des communautés ecclésiales, la perte de l’enthousiasme des origines, l’affaiblissement de l’élan missionnaire. Et il ne manque pas de personnes qui ont regretté des célébrations liturgiques formelles et des rites répétés presque par habitude, dénués de toute expérience spirituelle profonde, qui éloignent les personnes au lieu de les attirer. Outre le contre-témoignage de certains de ses membres (infidélité à la vocation, scandales, sensibilité moindre pour les problèmes de l’homme d’aujourd’hui et du monde actuel), il ne faut pas sous-estimer toutefois le « mysterium iniquitatis » (2 Ts 2, 7), la lutte du Dragon contre le reste de la descendance de la Femme, « contre [...] ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus » (Ap 12, 17).
Outre ce constat de l’apostasie
silencieuse – globalement attribuée aux effets de la sécularisation dans
les premiers travaux du synode, sans prendre conscience qu’il s’agit là
en partie d’un constat d’échec pour le concile qui n’a pas préparé les
fidèles à ce choc et ne l’a pas perçu dans les signes des temps qu’il
était censé discerner – la crise interne est bien nommée (à défaut
d’être analysée) :
On a l’impression qu’un grand nombre de communautés chrétiennes n’a pas encore perçu pleinement la portée du défi et l’entité de la crise engendrée par ce climat culturel au sein de l’Église même. À ce propos, on attend du débat synodal qu’il aide à prendre conscience, de façon mature et profonde, de la gravité de ce défi auquel nous nous mesurons.
Prendre conscience de la crise de «
façon mature », c’est aussi s’interroger vraiment sur ses causes,
évaluer le Concile, le préciser ou le corriger doctrinalement si
nécessaire, définir une pastorale conforme à l’être même de l’Église.
Espérons que nous y verrons plus clair, au moins pour l’anniversaire de
la fermeture du Concile.