Les temps changent pour le Mouvement traditionaliste. Alors qu’il a longtemps bénéficié du monopole de la contestation catholique face au grand chambardement ecclésial des années soixante-dix, il est aujourd’hui rejoint par toutes sortes de mouvements et d’individualités prêtes à contester les réformes issues du Concile. Le pape lui-même semble de la partie. Résultat : une crise d’identité qui est avant tout une crise de l’autorité en son sein.
Les prodromes d’une telle crise sont apparus dès 2004-2005, à la fin du pontificat de Jean Paul II. Souvenez-vous: l’abbé Laguérie envoyé au Mexique par son supérieur Mgr Bernard Fellay, parce qu’il avait osé remettre en cause la gestion humaine des séminaires dans la Fraternité Saint Pie-X. Il fait appel. Il n’y a évidemment aucune instance pour recevoir son appel puisque la Fraternité Saint-Pie-X est juridiquement coupée de Rome. A l’époque, malgré le raffut internautique et médiatique, le dernier mot resta, en apparence, à l’autorité légitime. Mais il y eut une véritable mise en cause de sa crédibilité.
Rome garde un silence prudentL’Institut du Bon Pasteur naquit de cette polémique, avec la bénédiction, à Rome, du cardinal Castrillon Hoyos. Mal né? Six ans après son érection officielle, le 8 septembre 2006, son chapitre général n’arrive pas à nommer clairement un successeur à l’abbé Laguérie. Deux noms apparaissent: le sien et celui de l’abbé Roch Perrel, jusque-là directeur du Séminaire de Courtalain. Ils sont à égalité de suffrages. L’abbé Laguérie est élu, parce qu’il est le plus ancien. Une nouvelle élection a lieu immédiatement, qui désigne l’abbé Perrel, alors que des partisans de l’abbé Laguérie ont quitté le chapitre. Situation absurde. Rome garde un silence prudent, après avoir rescindé les deux élections. Un nouveau chapitre est annoncé pour une date indéterminée. Les deux positions semblent pour l’instant totalement irréconciliables.
L’Institut du Bon Pasteur compte entre vingt et vingt-cinq prêtres. C’est un microcosme. Son implosion peut être due simplement à la réunion – improbable sous la soutane – de quelques personnages forts en gueule et – ça c’est plus courant – préoccupés de leur carrière. Sa chance? Le contrôle que Rome exerce sur tous les Instituts qui ont été créés avec son accord. Le droit divin apostolique couvre les bouffonneries humaines trop humaines de certains ecclésiastiques.
La Fraternité Saint Pie-X ne peut pas compter, elle, sur le frein romain. Certes, elle est plus ancienne et pourrait compter sur une plus grande maturité de la part de ses membres. Mais… En son sein aussi des craquements se font entendre. Les lecteurs de Monde et Vie savent que l’abbé Chazal a récemment créé une « Fraternité Saint Pie X de stricte observance » (FSSPX, so) aux Etats unis, qui pourrait être une sorte de « Fraternité bis » pour tous ceux qui contestent le « laxisme » de Mgr Fellay et sa trop grande ouverture à Rome. A ce jour, ce nouvel Institut comporte cinq membres, avec une visée délibérément internationale, puisqu’on compte en son sein trois Américains et deux Français. Mgr Fellay semble décidé à anticiper sur la tentation d’une éventuelle scission. Il lui faut régler au plus vite le « cas Williamson ». Dans le Bulletin interne Cor unum, on pouvait lire : « Le Chapitre général constate les graves manquements à la discipline commis par Mgr Williamson et les difficultés qu’il pose à la Fraternité Sacerdotale Saint Pie-X par son attitude. Il approuve les démarches que le Supérieur général entreprendra pour mettre un terme à cette situation. » (Actes du Chapitre, Cor Unum n° 102, été 2012, p. 28). Aujourd’hui, Mgr Fellay prend les devants… Dans une Fraternité qui menace de devenir ingouvernable, chacun prétendant savoir quelle est la meilleure attitude à prendre, il entend bien donner le cap. Il vient de sommer Mgr Williamson de fermer son blog (eleison) et de garder le silence.
Un mandat fixé pour 12 ans
Le mandat du supérieur général avait été intentionnellement fixé à douze ans par Mgr Lefebvre, soucieux de la stabilité de sa fondation. Mgr Fellay en est à son deuxième mandat. Il lui reste cinq ans. Il semble bien décidé à demeurer le seul garant de l’unité de la FSSPX…
Il est, pour les uns, le principal atout d’une FSSPX voulant à terme une intégration juridique dans la grande Eglise. Il apparaît pour les autres comme l’obstacle à toute radicalisation du combat traditionaliste, « contre – disent-ils – la Rome moderniste et néoprotestante ».
Il est, pour les uns, le principal atout d’une FSSPX voulant à terme une intégration juridique dans la grande Eglise. Il apparaît pour les autres comme l’obstacle à toute radicalisation du combat traditionaliste, « contre – disent-ils – la Rome moderniste et néoprotestante ».
Abbé G. de Tanoüarn
Préoccupés par l’unitéAutant il est facile de s’unir contre quel que chose ou quelqu’un, selon le bon vieux principe du bouc émissaire, autant il est difficile de réaliser une union positive. Distinguons d’abord mouvement et institution. L’unité d’un mouvement est très difficile à réaliser. Il faut avoir en commun les objectifs et la manière de les atteindre dans une véritable unité d’action. Raison pour laquelle la vie des mouvements est le plus souvent brève et traversée de scissions. L’unité d’une institution est juridique, elle repose donc sur une forme de coercition (ou au moins sur un calcul intéressé, celui qui tient compte du fait de se retrouver éventuellement en dehors du droit). Il y a deux grands types de droit associatif, le droit humain, qui est variable et jamais exclusif et le droit divin, qui est immuable et unique. L’Eglise est de droit divin. Le pape est de droit divin dans l’Eglise comme un père dans sa famille. L’évêque est de droit divin dans son diocèse. Par définition, aucun homme ne peut modifier le véritable droit divin (je ne par le pas de l’idéologie bourbonnienne, qui induisait un mixte entre Eglise et Etat, ce qu’on a appelé le gallicanisme). Si l’on prend les communautés traditionalistes, soit elles relèvent du droit divin de l’Eglise universelle, qu’elles reconnaissent et qu’elles font leur, auquel elles participent pour une part en le reconnaissant et dans la mesure où elles le reconnaissent (voilà le problème de l’IBP), soit pour des raisons de crise et d’opération survie, elles ne le reconnaissent pas comme contraignant. Elles relèvent alors du droit humain et des jeux d’appareil qui fatalement l’accompagnent. C’est ce que l’on est en train d’apercevoir à la FSSPX : gare aux dégâts !