SOURCE - Scrutator Sapientiæ - Le Forum Catholique - 14 avril 2012
Bonsoir Raoul, et bonsoir à tous.
I.
1. La FSSPX donnait l'impression d'être plus solide et surtout plus unie, à sa tête, avant que Benoît XVI commence à faire quelques pas (dans la direction qu'elle impulse ou incarne), avec
- le motu proprio de juillet 2007,
- la levée des excommunications de janvier 2009,
- les discussions doctrinales de 2010 et/ou 2011.
2. En effet, le positionnement presque exclusivement "oppositionnel" qui a prévalu, à tout le moins, jusqu'à l'élection de Benoît XVI, était probablement plus marginalisant, mais était aussi moins problématique, au sein et à la tête de la FSSPX, que le positionnement plus "participatif" qu'il a fallu commencer à envisager, puis à réaliser, par la suite.
3. Je pense ici à des éléments d'ordre programmatique et psychologique, et au titre d'un film de guerre italien, qui raconte une mutinerie de fantassins sur le front, pendant la première guerre mondiale : "Les hommes contre".
4. Les hommes de la FSSPX ont été et sont toujours avant tout "des hommes contre", depuis plusieurs décennies, face à une Eglise-institution à laquelle ils ont longtemps demandé presque TOUT et qui, pendant longtemps, ne leur a accordé presque RIEN.
5. Du jour où ils ont commencé à demander et, surtout, à obtenir QUELQUE CHOSE, on a commencé à se rendre compte de ceci : on ne sort pas indemne de plusieurs décennies de combat "en négatif", avant tout CONTRE quelque chose, de combat "en négatif" pas assez ou pas toujours équilibré par des éléments de combat "en positif", POUR quelque chose.
6. Je suis convaincu que ces décennies ont abouti, au sein de la FSSPX, à une "isolation" confessionnelle et à un "isolement" intellectuel, autour d'un nombre de thèmes certes très riches, mais aussi très réduits, et plus complexes que divers.
7. Ces thèmes ont été appréhendés, afin que la FSSPX puisse exercer, pour ainsi dire, une magistrature magistérielle, en utilisant le Magistère d'hier pour juger, et le plus souvent pour condamner, le Magistère et la pastorale d'aujourd'hui.
8. Quand il apparaît que le Magistère d'aujourd'hui est moins ou peu soupçonnable d'infidélité, par rapport à la source d'inspiration d'une partie non négligeable du Magistère d'hier, le risque est celui-ci, pour la FSSPX : un sous-emploi tendanciel, en ce qui concerne la dimension programmatique de leur combat "en négatif".
9. Mais les habitudes mentales qui ont été prises survivent "parfois" à une partie des raisons qui les ont fait naître, d'où un autre risque, pour la FSSPX : un sur-emploi tendancieux, en ce qui concerne la dimension psychologique de leur combat "en négatif".
10. Et quand on peut difficilement s'en prendre à celui, le Pape Benoît XVI, qui a fait quelques pas, non négligeables, dans la direction ardemment souhaitée, à qui donc peut-on s'en prendre, pour ne pas laisser inactive la dimension psychologique du combat "en négatif" que l'on continue à mener par ailleurs, sinon à une partie de la tête de la FSSPX, accusée, à juste titre ou non, d'accepter un compromis ou d'apporter des concessions, en direction du Saint-Siège, au lieu de continuer à exiger "la conversion de Rome" ?
II.
1. Il se trouve que je connais quelqu'un qui connaît la FSSPX de l'intérieur, depuis bientôt un quart de siècle ; il se trouve que je lui ai posé en substance, il y a quelques semaines, la question suivante :
"la FSSPX cite souvent les théologiens d'hier ou d'aujourd'hui dont elle condamne les écrits ou dénonce les idées, mais
1) en dehors des Papes d'avant-hier ou d'hier, sur qui donc prend-elle appui, et, en particulier, sur quels théologiens, d'hier ou d'aujourd'hui, prend-elle appui, pour pouvoir condamner ou dénoncer ainsi les Congar, Rahner, et leurs continuateurs ?
2) quels sont les théologiens, passés ou présents, qui servent de "références" à la FSSPX, des théologiens capables et désireux de faire de la théologie "en général", et non de simples doctrinaires ou polémistes, spécialisés dans la condamnation ou la dénonciation ?"
2. Voici la réponse qui m'a été donnée, à tort ou à raison, mais sans la moindre hésitation : il n'y en a pas, et ce pour au moins deux raisons : d'une part, la focalisation sur le combat à mener en faveur de la liturgie de la messe de toujours, d'autre part, la polarisation sur l'élucidation de la généalogie intellectuelle du Concile.
3. Je pense que vous comprenez où je veux en venir : je ne suis pas absolument persuadé qu'il soit toujours possible de s'approprier et de communiquer une vision un tant soit peu exacte, certes plus ou moins complète et précise, du christianisme catholique, quand on porte en soi "une mise sous tension" confessionnelle et intellectuelle aussi compacte ou aussi concentrée sur des thématiques qui ont, évidemment, toute leur place, tout leur rôle, toute leur valeur, mais qui sont, aussi, quelque peu réductrices.
4. Ce qui précède ne constitue en aucun cas une critique gratuite, mais je me demande si nous ne sommes pas en présence de personnes qui ont besoin de redécouvrir qu'il n'y a pas que ce qui leur tient, même légitimement, à coeur, au sein du christianisme catholique, ou de mettre en perspective ce qui leur tient légitimement à coeur, sous peine de commencer à "s'excommunier" sans fin les unes les autres.
5. Je sais ce que je dois à la FSSPX : une certaine forme de réveil, après plusieurs années de sommeil ou de tiédeur "centriste-suiviste", et je ne renie absolument pas cette dette, notamment intellectuelle, même si, évidemment, en approfondissant certains domaines, par la suite, je me suis rendu compte que ce qu'ils critiquent fréquemment ne comporte pas que des limites, ou pas autant de limites que cela.
6. Mais je me demande vraiment si leurs principaux représentants ou responsables pourront un jour se déprendre de la focalisation et de la polarisation évoquées ci-dessus, si jamais ils sont un jour réintégrés en plénitude au sein de l'Eglise-institution : les habitudes mentales qui ont été prises, même si elles sont excusables, explicables, ou légitimes, ne se quitteront pas facilement "du jour au lendemain".
7. Et je pense que c'est cette stratification comportementale qui constitue l'une des clefs de compréhension de certaines réactions, en apparence irrationnelles, car auto-destructrices ou contre-productives : il est difficile, voire impossible, d'inverser un certain type de processus intellectuel et affectif, après plusieurs décennies de mise sous tension, alors que l'on est passé, si j'ai bien compris, tout près d'un protocole d'accord global avec Rome, et alors que cette perspective de protocole d'accord global a révélé des dissensions internes difficilement soupçonnables auparavant.
8. Au terme de cette tentative d'analyse, et dans la mesure où une inscription du statu quo dans la durée me paraît hautement improbable, je pense que l'exfiltration, par des moyens ou pour des raisons d'ordre avant tout disciplinaire, du plus incontrôlable des éléments situés à la tête de la FSSPX, donnera le coup d'envoi
- à un début d'assagissement, et un assagissement légitime n'est pas nécessaire synonyme d'attiédissement illégitime,
OU
- à un début de démantèlement, et alors là, oui, alors là, il y aura de nombreux dégâts collatéraux et de nombreuses pertes en ligne.
Ce que je redoute par dessus tout : l'enclenchement d'un processus de délitement, de fragmentation,
- qui pourrait bien fragiliser une partie de "la cause de la Tradition" à l'extérieur, à la périphérie, de la FSSPX,
- qui ne pourrait se terminer que par un immense gâchis, pour les prêtres et pour les fidèles, au sein même de la FSSPX.
Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour ce message sans doute trop long, peut-être pas très intéressant ni très original, et je vous souhaite une bonne nuit.
Scrutator.
Bonsoir Raoul, et bonsoir à tous.
I.
1. La FSSPX donnait l'impression d'être plus solide et surtout plus unie, à sa tête, avant que Benoît XVI commence à faire quelques pas (dans la direction qu'elle impulse ou incarne), avec
- le motu proprio de juillet 2007,
- la levée des excommunications de janvier 2009,
- les discussions doctrinales de 2010 et/ou 2011.
2. En effet, le positionnement presque exclusivement "oppositionnel" qui a prévalu, à tout le moins, jusqu'à l'élection de Benoît XVI, était probablement plus marginalisant, mais était aussi moins problématique, au sein et à la tête de la FSSPX, que le positionnement plus "participatif" qu'il a fallu commencer à envisager, puis à réaliser, par la suite.
3. Je pense ici à des éléments d'ordre programmatique et psychologique, et au titre d'un film de guerre italien, qui raconte une mutinerie de fantassins sur le front, pendant la première guerre mondiale : "Les hommes contre".
4. Les hommes de la FSSPX ont été et sont toujours avant tout "des hommes contre", depuis plusieurs décennies, face à une Eglise-institution à laquelle ils ont longtemps demandé presque TOUT et qui, pendant longtemps, ne leur a accordé presque RIEN.
5. Du jour où ils ont commencé à demander et, surtout, à obtenir QUELQUE CHOSE, on a commencé à se rendre compte de ceci : on ne sort pas indemne de plusieurs décennies de combat "en négatif", avant tout CONTRE quelque chose, de combat "en négatif" pas assez ou pas toujours équilibré par des éléments de combat "en positif", POUR quelque chose.
6. Je suis convaincu que ces décennies ont abouti, au sein de la FSSPX, à une "isolation" confessionnelle et à un "isolement" intellectuel, autour d'un nombre de thèmes certes très riches, mais aussi très réduits, et plus complexes que divers.
7. Ces thèmes ont été appréhendés, afin que la FSSPX puisse exercer, pour ainsi dire, une magistrature magistérielle, en utilisant le Magistère d'hier pour juger, et le plus souvent pour condamner, le Magistère et la pastorale d'aujourd'hui.
8. Quand il apparaît que le Magistère d'aujourd'hui est moins ou peu soupçonnable d'infidélité, par rapport à la source d'inspiration d'une partie non négligeable du Magistère d'hier, le risque est celui-ci, pour la FSSPX : un sous-emploi tendanciel, en ce qui concerne la dimension programmatique de leur combat "en négatif".
9. Mais les habitudes mentales qui ont été prises survivent "parfois" à une partie des raisons qui les ont fait naître, d'où un autre risque, pour la FSSPX : un sur-emploi tendancieux, en ce qui concerne la dimension psychologique de leur combat "en négatif".
10. Et quand on peut difficilement s'en prendre à celui, le Pape Benoît XVI, qui a fait quelques pas, non négligeables, dans la direction ardemment souhaitée, à qui donc peut-on s'en prendre, pour ne pas laisser inactive la dimension psychologique du combat "en négatif" que l'on continue à mener par ailleurs, sinon à une partie de la tête de la FSSPX, accusée, à juste titre ou non, d'accepter un compromis ou d'apporter des concessions, en direction du Saint-Siège, au lieu de continuer à exiger "la conversion de Rome" ?
II.
1. Il se trouve que je connais quelqu'un qui connaît la FSSPX de l'intérieur, depuis bientôt un quart de siècle ; il se trouve que je lui ai posé en substance, il y a quelques semaines, la question suivante :
"la FSSPX cite souvent les théologiens d'hier ou d'aujourd'hui dont elle condamne les écrits ou dénonce les idées, mais
1) en dehors des Papes d'avant-hier ou d'hier, sur qui donc prend-elle appui, et, en particulier, sur quels théologiens, d'hier ou d'aujourd'hui, prend-elle appui, pour pouvoir condamner ou dénoncer ainsi les Congar, Rahner, et leurs continuateurs ?
2) quels sont les théologiens, passés ou présents, qui servent de "références" à la FSSPX, des théologiens capables et désireux de faire de la théologie "en général", et non de simples doctrinaires ou polémistes, spécialisés dans la condamnation ou la dénonciation ?"
2. Voici la réponse qui m'a été donnée, à tort ou à raison, mais sans la moindre hésitation : il n'y en a pas, et ce pour au moins deux raisons : d'une part, la focalisation sur le combat à mener en faveur de la liturgie de la messe de toujours, d'autre part, la polarisation sur l'élucidation de la généalogie intellectuelle du Concile.
3. Je pense que vous comprenez où je veux en venir : je ne suis pas absolument persuadé qu'il soit toujours possible de s'approprier et de communiquer une vision un tant soit peu exacte, certes plus ou moins complète et précise, du christianisme catholique, quand on porte en soi "une mise sous tension" confessionnelle et intellectuelle aussi compacte ou aussi concentrée sur des thématiques qui ont, évidemment, toute leur place, tout leur rôle, toute leur valeur, mais qui sont, aussi, quelque peu réductrices.
4. Ce qui précède ne constitue en aucun cas une critique gratuite, mais je me demande si nous ne sommes pas en présence de personnes qui ont besoin de redécouvrir qu'il n'y a pas que ce qui leur tient, même légitimement, à coeur, au sein du christianisme catholique, ou de mettre en perspective ce qui leur tient légitimement à coeur, sous peine de commencer à "s'excommunier" sans fin les unes les autres.
5. Je sais ce que je dois à la FSSPX : une certaine forme de réveil, après plusieurs années de sommeil ou de tiédeur "centriste-suiviste", et je ne renie absolument pas cette dette, notamment intellectuelle, même si, évidemment, en approfondissant certains domaines, par la suite, je me suis rendu compte que ce qu'ils critiquent fréquemment ne comporte pas que des limites, ou pas autant de limites que cela.
6. Mais je me demande vraiment si leurs principaux représentants ou responsables pourront un jour se déprendre de la focalisation et de la polarisation évoquées ci-dessus, si jamais ils sont un jour réintégrés en plénitude au sein de l'Eglise-institution : les habitudes mentales qui ont été prises, même si elles sont excusables, explicables, ou légitimes, ne se quitteront pas facilement "du jour au lendemain".
7. Et je pense que c'est cette stratification comportementale qui constitue l'une des clefs de compréhension de certaines réactions, en apparence irrationnelles, car auto-destructrices ou contre-productives : il est difficile, voire impossible, d'inverser un certain type de processus intellectuel et affectif, après plusieurs décennies de mise sous tension, alors que l'on est passé, si j'ai bien compris, tout près d'un protocole d'accord global avec Rome, et alors que cette perspective de protocole d'accord global a révélé des dissensions internes difficilement soupçonnables auparavant.
8. Au terme de cette tentative d'analyse, et dans la mesure où une inscription du statu quo dans la durée me paraît hautement improbable, je pense que l'exfiltration, par des moyens ou pour des raisons d'ordre avant tout disciplinaire, du plus incontrôlable des éléments situés à la tête de la FSSPX, donnera le coup d'envoi
- à un début d'assagissement, et un assagissement légitime n'est pas nécessaire synonyme d'attiédissement illégitime,
OU
- à un début de démantèlement, et alors là, oui, alors là, il y aura de nombreux dégâts collatéraux et de nombreuses pertes en ligne.
Ce que je redoute par dessus tout : l'enclenchement d'un processus de délitement, de fragmentation,
- qui pourrait bien fragiliser une partie de "la cause de la Tradition" à l'extérieur, à la périphérie, de la FSSPX,
- qui ne pourrait se terminer que par un immense gâchis, pour les prêtres et pour les fidèles, au sein même de la FSSPX.
Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour ce message sans doute trop long, peut-être pas très intéressant ni très original, et je vous souhaite une bonne nuit.
Scrutator.