SOURCE - Abbé Yannick Vella, ibp - Le Mascaret - éditorial - 6 décembre 2009
Jamais. L’Histoire ne passe jamais deux fois le même plat. Cette expression a quelque chose de profondément chrétien. Si l’on entend par elle que le Dieu infini au mystère inépuisable, notre Dieu, le vrai Dieu, ne se répète jamais dans sa Création, on est dans le vrai : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Apoc. 21, 5). De là l’unicité de chacun de nous comme de chaque ange. Et aussi l’unicité de chaque tranche de vie, dans la petite comme dans la grande Histoire.
Voyons-y avec foi et un sens chrétien de l’Histoire et une invitation divine à vivre intensément les temps qui nous sont donnés. Si l’Histoire ne repassera pas le plat, il faut l’attraper. En ce sens et pas en un autre, il faut croquer la vie à pleines dents. Pour ceux qui préfèrent une sentence plus grave, qu’ils craignent donc Jésus qui passe et ne repasse pas : les vierges folles de l’Evangile en savent quelque chose.
Une époque formidable
Eh bien, j’ose dire que nous vivons une époque formidable : l’Institut du Bon Pasteur aux statuts bel et bien approuvés par Rome, le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI pour la messe grégorienne, et Saint-Éloi paroisse personnelle de Bordeaux (toujours pour la messe grégorienne) sont là et bien là et me permettent de le répéter : Nous vivons une époque formidable. Et tout cela vous l’avez à portée de mains, du moins vous chers lecteurs du Bordelais (je n’oublie pas les autres que je remercie de nous suivre avec attention : s’ils sont encore mal servis, les bons plats passeront aussi chez eux).
Mais ces plats disponibles ont été trop attendus pour ne pas les honorer de notre présence fervente et de notre action de grâce. Mettre une fois la main dans le plat ne suffit pas : cela, Judas a su le faire. Le Bon Dieu nous demande plus.
Le 23 janvier à Saint-Éloi
Nous nous devons donc tous d’être présents le 23 janvier 2010 à 9h30 à Saint-Eloi. Pourquoi ? Parce que ce matin-là seront ordonnés les diacres et sous-diacres de l’Institut du Bon Pasteur, des mains de Son Excellence Monseigneur Marc Aillet, évêque de Bayonne. C’est l’heureuse et première conclusion de la rencontre entre cet évêque et M. l’abbé Philippe Laguérie. Certes, vous me direz, ce ne sont pas des ordinations de prêtres (il s’en profile aussi en 2010, mais il est trop tôt pour en parler). Mais c’est bien le sous-diacre qui se fait diacre et le diacre qui se fait prêtre. Si, fidèle, on se désintéresse d’accompagner les vocations dans leurs étapes vers le sacerdoce, cela veut dire qu’on n’a sans doute jamais prié pour les vocations, que l’on attend le prêtre tout rôti dans le bec ! Alors il y a urgence à lire l’évangile de Jésus-Christ :
« La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. » (Mt 9, 38)
…Et il y a donc urgence à venir le 23 janvier 2010 à 9h30 à Saint-Éloi.
Je vous donne un autre motif de venir : l’Année sacerdotale déclarée par Benoît XVI. Si ce n’est pas maintenant, à l’invitation de Benoît XVI que vous vous penchez sur le mystère du prêtre, c’est justement le genre de plat qui ne repassera pas !
Mgr Aillet
Mais surtout, pour l’amour de l’Église, regardez cet événement : un évêque nommé par Benoît XVI, nouvellement sacré et installé, qui vient nous connaître, nous paroisse personnelle de Saint-Éloi, nous maison-mère de l’Institut du Bon Pasteur, cela concerne chaque paroissien de Saint-Éloi et même tout lecteur de Mascaret !
« J’y étais », pourrez-vous dire, comme un gaulois à Gergovie, si vous ne laissez pas passer ce plat que nous présente l’Histoire.
Rome et la Fraternité Saint-Pie X
Passons à un autre plat :
L’Histoire met sous nos yeux un plat singulier ces temps-ci. Je veux parler du suivant :
« Le lundi 26 octobre 2009 s’est tenue la première réunion, au palais du Saint-Office, siège de la Congrégation pour la doctrine de la foi et de la commission Ecclesia Dei, de la commission composée d’experts d’Ecclesia Dei et de la Fraternité Saint-Pie-X, afin d’examiner les divergences doctrinales subsistantes entre la Fraternité et le Saint-Siège.»
Avant toute chose, je voudrais souligner que ces discussions entamées sont un tour de force. Parce que, par exemple, les quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X se sont finalement contentés d’une levée d’excommunications par un document qui en reconnaît l’existence jusqu’à cette levée, et non d’une annulation si longtemps exigée. Parce que, aussi la Fraternité Saint-Pie X discute avec la commission Ecclesia Dei, si longtemps vue comme intrinsèquement mauvaise. Et parce que, tout simplement, au bout du compte, de ces discussions, longtemps, la Fraternité Saint-Pie X n’en avait pas voulu.
Mais une première raison qui m’en fait vous parler, c’est qu’en l’occurrence l’Histoire est drôle. Je veux parler de la composition de la commission de la Fraternité Saint-Pie X : Ainsi certains de mes fidèles, ceux qui en savent assez, se sont émus d’y retrouver des protagonistes si impliqués dans les événements de la Fraternité Saint-Pie X qui ont conduit à l’érection de l’Institut du Bon Pasteur puis à son étoffement. Et ainsi on semble face à une exception : un plat, dur à cuire, qui repasse une deuxième fois dans l’Histoire qui use pourtant tant les hommes. Je réponds que de ce genre de plat, il en va comme bien des saucisses, il vaut mieux en ignorer la composition ni n’en avoir vu la fabrication : ce qui compte, ce ne sont pas les hommes, mais ce que l’Histoire, au sens chrétien, c’est-à-dire finalement la Providence fera d’eux.
L’histoire ne passe jamais deux fois le même plat
Maintenant, en l’occurrence, que cela a commencé, c’est à la Fraternité Saint-Pie X que se pose la question de l’Histoire qui ne repassera pas les plats. Les plus anxieux nous demandent « ce que cela va donner ». Je ne puis leur répondre. D’autres me demandent si cela va aboutir sur un accord. Je ne puis leur répondre. Parce que lorsque Mgr Fellay, supérieur général de la dite Fraternité, répond lui-même : « Si les principes catholiques sont éclaircis, même si tout n’est pas encore résolu, alors oui, c’est possible. » 1, personne ne peut dire où se situe pour lui cette frontière subjective et acceptable, entre l’éclairci et le non-résolu. Sa difficulté sera certainement de faire partager à tous les siens son appréciation de cet état intermédiaire.
Maintenant aussi, et c’est ma principale raison de mettre mon nez dans ce plat, et c’est pour l’utilité de tous, c’est que dans cette page de l’Histoire de l’Église que nous vivons après Vatican II, toute relation avec l’Église de Rome, l’Église du siège de Pierre, doit se situer comme toujours dans un cadre très précis : celui donné et révélé par Notre-Seigneur Jésus-Christ :
« Et moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux : tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » (Mt 16, 18)
Ce que Benoît XVI, le Pierre actuel, commente ainsi :
« Les trois métaphores auxquelles recourt Jésus sont très claires : Pierre sera le fondement, le roc, sur lequel s'appuiera l'édifice de l'Église ; il aura les clefs du Royaume des cieux pour ouvrir ou fermer à celui qui lui semblera juste ; enfin, il pourra lier ou délier, en ce sens qu'il pourra établir ou interdire ce qu'il pensera être nécessaire à la vie de l'Église, qui est et reste l'Église du Christ... » 2
Convertir Rome ?
Et que donc, on ne peut jamais parler de « conversion de Rome », de « conversion du sommet de l’Eglise ». Notez bien : Je n’accuse personne de penser jusqu’au bout une telle énormité, mais je mets en garde qu’on ne le laisse penser, par quelque raccourci ou propos ambigu.
En effet, Jésus-Christ s’est chargé une fois pour toutes de la conversion de Pierre :
« J'ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas ; et quand tu seras converti, affermis tes frères. » (Luc 22, 32).
C’est bien de ce Pierre converti dont le Pape est le Successeur.
Ce qui se peut, ce qui se doit faire, c’est lui demander des explications, le presser de répondre à des questions, lui soumettre ses doutes. Il n’est même pas interdit d’insister, voire d’être importun :
« Quand même il ne se lèverait pas pour lui donner parce qu'il est son ami, du moins à cause de son importunité, il se lèvera pour lui donner tout ce dont il a besoin » (Luc 11, 8)
Mgr Lefebvre, bien importun (au sens de celui qui gêne) en son temps, rédigea d’ailleurs en forme de doutes (ses « Dubia » en latin) ses questions à Rome sur le sujet brûlant de la liberté religieuse. Cela, on le peut bien, car c’est exactement le ministère de l’Évêque de Rome que de confirmer ses frères dans la foi. Mgr Lefebvre, grand missionnaire toute sa vie, ne s’est jamais cru tel vis-à-vis de Rome.
Dédicace
Et alors, si l’on respecte la foi catholique, cette demande que l’on peut faire à l’Église de Rome prend pied dans l’Évangile comme une demande à Dieu le Père Lui-même. Je dédis donc l’évangile suivant à ces discussions romaines, en particulier à un de ses protagonistes qui me disait, il y a quelques années, « qu’il faut la grâce des deux côtés » (et sa parole était juste) :
« Et moi je vous dis : Demandez et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve, et l'on ouvrira à qui frappe. Y a-t-il parmi vous un père qui, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre ? Ou, s'il demande un poisson, lui donnera-t-il, au lieu de poisson, un serpent ? Ou, s'il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit-Saint à ceux qui lui demandent. » (Luc 11, 11-13)
C’est la bonne façon de passer le plat. En quelque sorte.
Abbé Yannick Vella
1 - Entretien de Mgr Bernard Fellay au journal
autrichien "Die Presse" du 21 juin 2009
2 - Audience générale du 7 juin 2006.
