SOURCE - abbé Christophe Héry - 20 décembre 2009
On parle couramment de «charisme» d’une communauté, mais le terme «caractère propre», appliqué à toute oeuvre apostolique (telle l’IBP), est le terme juridique officiel du Code de Droit canonique. Il apparaît par exemple au canon 394, qui traite du gouvernement des évêques:
«L’Évêque favorisera les diverses formes d’apostolat dans son diocèse, et veillera […] à ce que toutes les oeuvres d’apostolat soient coordonnées sous sa direction, en respectant le caractère propre (servata propria indole) de chacune d’elle». [Canon 394 §1, DC 1983, éd. Centurion-cerf-Tardy, p. 71]
Les commentaires juridiques de ce canon parlent aussi «d’identité propre» des communautés ou des sociétés apostoliques. Le droit le mieux établi oblige donc explicitement les ordinaires à ne pas nier ni mépriser cette identité ou caractère propre à chaque oeuvre, société de vie, ou confrérie apostolique, mais au contraire à le respecter, tout en favorisant, dans l’harmonie, la diversité des charismes.
Or, parmi les communautés nouvelles, la Commission Ecclesia Dei regroupe celles dont le charisme principal est d’avoir opté, parfois contre vents et marées, pour la liturgie traditionnelle ou «forme extraordinaire» du rite romain. Comme le déclarait à la paroisse Saint-Eloi de Bordeaux le cardinal Hoyos en septembre 2007, elles sont «spécialisées» pour la vie liturgique selon les livres de 1962, au service des fidèles et au sein des diocèses. Ce choix liturgique détermine donc leur identité, commune à ces communautés, chacune d’elle se distinguant par ailleurs.
Quant à l’Institut du Bon Pasteur, sa spécificité pastorale est connue, marquée dans ses textes fondateurs : l’usage de la forme traditionnelle du rite romain, dite «extraordinaire», et la découverte de la beauté de ce patrimoine liturgique proposée au service des paroisses, sans aucun mélange des deux formes. De plus, cet usage, qui constitue un droit, est précisé pour l’Institut et pour chacun de ses membres comme celui de célébrer exclusivement cette liturgie «comme un rite propre», selon les termes du décret d’érection signé par le Saint Siège. Ce droit propre serait-il réservé à l’usage interne, dans les maisons de l’IBP, ou bien est-il étendu en tout lieu (chapelle, paroisse…) où ces prêtres sont appelés pour une mission pastorale ? La question mérite d’être soutenue.
En effet, dans un contexte ecclésial marqué par de vives blessures, l’interprétation du caractère propre de l’IBP soulève parfois des difficultés. Paradoxalement, il arrive que soit opposée à notre spécificité statutaire une lecture défavorable du nouveau droit établi le 7 juillet 2007 par le Motu proprio Summorum Pontificorum de Benoît XVI. Ce texte de loi, promulgué en faveur de la liturgie traditionnelle, ne saurait pourtant être invoqué comme s’il minimisait ou restreignait le droit statutaire de l’IBP.
Car le Motu proprio de 2007, d’abord abroge le précédent de 1988, et par ailleurs ne contredit en rien le droit général de l’Église (par ex. le canon 394, toujours en vigueur !). Il confirme et garantit notre caractère et notre droit propre : célébrer uniquement selon l’ordo de 1962, en tout lieu, comme nous l’allons montrer sur l’heure, en réponse à deux questions récurrentes.
Le Motu Proprio du 7 juillet 2007 confirme le droit propre de l’IBP
Pour commencer, l’égalité de droit positif des formes liturgiques (ordinaire et extraordinaire), posée par le Motu Proprio de Benoît XVI, est-elle compatible avec les statuts de l’IBP, puisque ses statuts, selon certaines insinuations, oseraient «interdire» à ses membres la célébration selon la forme ordinaire ? Tout d’abord, nulle part dans les statuts ne figure le moindre soupçon sur l’égalité de droit positif des deux formes du rite, ni sur la licéité de la liturgie de Paul VI, pas plus que sur sa validité, toutes choses bien reconnues par l’IBP.
Mais surtout, où trouve-t-on dans le Motu proprio de 2007 qu’il soit question d’obliger aucun prêtre à célébrer, même ponctuellement, selon l’ordo de Paul VI ? C’est justement l’inverse qui est posé : ce document législatif a levé l’obligation générale qui pesait depuis 1969/70 (sauf dérogation restreinte, à partir de 1984), de célébrer exclusivement selon la forme ordinaire du rite. Il fait droit à tout prêtre de préférer et choisir en conscience la célébration du missel de 1962 sans être contraint, en fonction des diverses situations. C’est le principe général du droit promulgué par ce texte.
Il faut donc répondre que chacun des membres de l’IBP a embrassé les statuts et le caractère propre de l’IBP, approuvés par le saint Siège, par un choix libre et personnel de la forme extraordinaire du rite dont le Motu proprio reconnaît le plein droit. Ce caractère propre n’est pas un «interdit», mais une garantie que ce droit posé par le Saint Siège puisse être protégé et respecté par tous, dans un cadre prévu et codifié par le droit général de l’Église (DC canons 394 §1, 576- 578, 587, 598, 680, 776) !
Le droit de choisir en pratique la seule forme liturgique traditionnelle
Une seconde mise en cause de notre identité propre, pourtant légitimée par le Saint Siège, circule également : qui célèbre en pratique seulement la messe traditionnelle serait suspect d’exclure «par principe» l’ordo de Paul VI. Selon la lettre aux évêques accompagnant le texte de loi de Benoît XVI du 07/07/07, il est vrai, nul ne peut «par principe» exclure la forme ordinaire de la messe ; c’est-à-dire contester par exemple sa licéité, voire sa validité sacramentelle ou encore sa sainteté objective dans l’Eucharistie consacrée. Mais peut-on alléguer à l’encontre du caractère propre de l’IBP cette lettre, abusivement transformée en «loi des suspects» ?
D’une part, l’IBP n’a jamais mis en cause ces points de principe énumérés ci-dessus, et d’autre part cette allégation est en soi non pertinente. En effet, ce terme, employé par Benoît XVI en commentaire (et non dans le texte du Motu Proprio, qui seul d’ailleurs a force de loi), ne se réfère pas à la pratique, même exclusive de l’une ou l’autre forme, mais précisément à l’exclusion totale, c’est-à-dire de «principe». Dans la pratique en revanche, le Motu proprio lui-même établit un plein droit, quant au choix, exclusif ou non, de la forme liturgique.
Comme le soulignait Jean Madiran (Présent,14/07/2007), rien n’indique, dans les normes obligatoires de ce texte de loi, un lien juridique entre le fait de célébrer exclusivement la messe traditionnelle, qu’il n’interdit nulle part, et le soupçon de refuser «par principe» l’ordo de Paul VI, comme on a vu précédemment ! D’ailleurs, ceux qui commettent cet argument inamical à l’encontre l’IBP ne prennent pas garde qu’il est retournable : à ne jamais célébrer en pratique la forme liturgique traditionnelle de 1962, s’exposerait-on au soupçon de refus de sa licéité, de sa valeur et de sa sainteté qui lui sont désormais pleinement reconnues par Benoît XVI?... Cela n’aurait pas de sens. Quant à l’idée de réformer la forme ordinaire des rites, en vertu d’une amélioration d’ordre pastoral et théologique, serait-elle soupçonnable d’une volonté prochaine d’«exclusion totale» et «par principe» du nouveau rite?...
Reste le domaine pratique. Il peut être régi par la demande des fidèles (Sum. Pont. A5), mais cette condition suffisante pour leur faire droit n’est pas posée par la loi comme absolument nécessaire! De plus un curé n’est pas empêché par le Motu Proprio de proposer la forme extraordinaire à ses ouailles, par exemple à titre de découverte, dans le respect de l’égalité des formes liturgiques et de l’harmonie pastorale – même sans qu’un «groupe stable» nombreux s’organise spontanément pour en faire la demande. Nul besoin d’être diplômé d’HEC pour savoir que c’est souvent l’offre qui crée la demande !
Quoiqu’il en soit, la paix et l’harmonie ne peuvent fleurir que dans un respect mutuel et sincère, non seulement des sensibilités mais aussi du droit liturgiques. Si donc un ordinaire souhaite faire appel à un prêtre de l’IBP pour un apostolat paroissial, il est instamment invité à le missionner dans l’idée de «favoriser les diverses formes d’apostolat», tout «en respectant [notre] caractère propre», comme l’indique le droit général au canon 394 §1 précédemment cité.
Abbé Christophe Héry +