SOURCE - Joséphine Bataille - La Vie - 04 mai 2010
Mardi 27 avril, la diffusion sur France 2 d'un reportage des Infiltrés intitulé A l'extrême droite du Père a créé le scandale. L'enquête, en caméra cachée, est consacrée au fonctionnement d'un groupuscule d'extrême droite basé à Bordeaux, Dies Irae, dont les jeunes membres, qui disent se préparer à la guerre civile par un entraînement de type militaire, et par le noyautage de la société civile au travers de "pôles de résistance", se présentent comme catholiques.
Catholiques fanatiques s'entend, qui déchargent à l'égard de l'Eglise et de ses prêtres une haine équivalente à celle qu'ils réservent à la démocratie, et qui développent sur le plan théologique les obsessions habituelles des partisans de l'évêque schismatique Marcel Lefèbvre, les menaces en plus. "Vatican II, c'est un piège des francs-maçons pour faire vider les églises", résume Ludo, dont l'idée fixe est de ne pas se laisser "cueillir comme un fruit" quand se déclarera "la guerre contre les musulmans", mais que ça ne"dérangerait pas de fracasser un prêtre moderne".
Brutaux et primaires, ces jeunes sont des caricatures. Mais le reportage va plus loin, car il met en cause l'Institut du Bon Pasteur (IBP) ce groupe d'anciens partisans de Mgr Lefèbvre, installé sur la paroisse saint-Eloi, à Bordeaux, et rattaché à Rome en 2006 après que sa figure maîtresse, l'abbé Philippe Laguérie, a été exclu de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X (FSSPX). Ainsi dans le reportage, le supérieur général de l'IBP, en visite sur le chantier du bar associatif de Dies Irae, se découvre fort complaisant à l'égard du chef du groupe, Fabrice Sorlin, un militant du FN, exclu depuis du parti : "Fafa c'est un copain !", lance l'abbé d'un ton léger. Aujourd'hui, il explique à La Vie avoir été "invité" à faire le tour des lieux par le propriétaire, sans savoir à qui ils devaient servir et pour quoi. Plus tard, un autre abbé de saint-Eloi confie en catéchisme qu'il est nécessaire de se "former" en vue de la "guerre civile" qui pourrait survenir face à "un islam de plus en plus virulent". "Si c'est tout ce qu'il y a à montrer après huit mois de caméra quotidienne, c'est que la paroisse est irréprochable", lance l'abbé Laguérie.
De fait le scandale est à son comble quand la caméra cachée pénètre le cours saint-Projet, une école bordelaise hors contrat, tenue par une association de parents de la paroisse. Fondée en 2006 pour faire face à l'école saint-Georges, qui relève de la FSSPX, elle est dirigée par un prêtre de l'IBP, qui en assure aussi l'aumônerie. On y voit notamment des enfants défier avec aplomb leur surveillant – le journaliste masqué — en lui faisant part de leur haine des Juifs, qu'ils justifient par l'Evangile, et y chanter Auschwitz, ce "camp magique où les douches sont gratuites".
"Manipulation journalistique"
Les communiqués ne se sont pas fait attendre : Dies Irae se défend de tout lien avec les individus filmés, et le Bon Pasteur, de tout lien avec Dies Irae. Les accointances de certaines personnalités de l'IBP avec l'extrême droite, sur le terreau de laquelle croissent des groupes comme Dies Irae, sont pourtant un secret de Polichinelle. Laguérie reste celui qui a célébré les obsèques du milicien Paul Touvier, et qui a été choisi en 2008 par l'humoriste Dieudonné pour baptiser sa fille, sous la parrainage de Jean-Marie Le Pen. Mais on ne peut stigmatiser l'Institut, ni l'ensemble des fidèles qui en sont proches, répètent les intéressés. Le 1er mai, la paroisse saint-Eloi a déclaré qu'elle "repousserait toujours toute tentative d’entrisme" de ceux qui "renient l’Evangile et la tradition chrétienne sur des questions essentielles comme l’égale dignité de tous les hommes et le statut du peuple juif dans le mystère chrétien du salut", et rejeté le racisme et l'antisémitisme.
Condamnant obsessivement le procédé d'infiltration journalistique, l'ensemble des parties incriminées hurle aussi au complot et au montage à charge destiné à nuire au mouvement traditionaliste, et inscrit ce reportage dans la suite de "l'odieuse campagne de dénigrement dont l'Église Catholique et ses représentants, jusqu'au pape lui-même, font l'objet systématique depuis des mois". Quant aux parents d'élèves, après avoir tenté de faire interdire la diffusion de l'émission, ils ont porté plainte pour incitation à la haine auprès de leurs enfants, qui auraient été provoqués par le journaliste masqué. "Il est évident qu'une fois encore, c'est l'Eglise qui est visée. Après les pédophiles, voici les nazis !"
Le problème, c'est que devant la caméra cachée, ce sont aussi les adultes qui ricanent dans les couloirs, en évoquant — "les rats quittent toujours le navire les premiers" — le départ des juifs d'Algérie. Tandis qu'on entend un professeur d'histoire de troisième justifier auprès de ses élèves le collaborationnisme, se dispenser d'enseigner la Shoah parce qu'"on en parle déjà assez comme ça", présenter de Gaulle comme un déserteur, Pétain comme un modèle, et les SS comme des "troupes d'élite". Et sur les blogs tradis, la minimisation fréquente des propos rapportés a de quoi dérouter.
Bordeaux sous le choc
Depuis la semaine dernière, Bordeaux vit au rythme de l'événement qu'a constitué cette diffusion. L'inspection académique de Gironde, qui a contrôlé le cours saint-Projet fin mars, a confirmé qu'on y avait affaire à "une Histoire complètement revisitée" et qu'une procédure de contrôle suivait son cours. "Je garantis que ces débordements ne sont pas de notre fait; nous avons déjà pris toutes les mesures pour qu'ils ne se reproduisent plus, et l'avons inscrit dans la charte scolaire", nous a déclaré Philippe Laguérie.
Le maire de la ville, Alain Juppé, mis en difficulté par l'opposition pour avoir laissé le groupe lefébvriste s'installer dans cette paroisse, a réclamé des suites judiciaires face à des révélations qui "nuisent gravement à l'image de notre ville". Saisie par le parquet de Bordeaux, la police judiciaire a déclaré que si "ces gens-là sont connus", la procédure allait cependant être "complexe". Parallèlement, la maison du fondateur de l'école et le local de Dies irae ont été tagués de sigles nazis, et la librairie traditionaliste, dégradée.
Quant au diocèse, qui a condamné immédiatement le racisme et la violence, il prend l'affaire très au sérieux. A Bordeaux, où Laguérie a occupé par la force l'église saint-Eloi à partir de 2002, la présence de ces anciens lefébvristes, légitimée par Rome en 2006 par la création de l'Institut, est toujours aussi mal vécue par une partie du presbyterium. "Cette émission n'a pas sali saint-Eloi, elle a sali le diocèse qui l'accueille. C'est mon propre enracinement ecclésial qui est mis à mal", s'indigne le père Francis Ayliès, curé de la Trinité, à Bordeaux. "Puis-je faire partie d'une communauté qui estime que la présence de ce groupe est un bien pour Bordeaux, sous prétexte d'une unité de façade?"
A la différence d'autres instituts traditionalistes, le Bon Pasteur a été autorisé à célébrer la messe de saint Pie V de façon exclusive, comme étant son rite propre — en échange théorique de la reconnaissance de l'autorité du pape et du concile Vatican II, que rejetaient violemment les partisans de Mgr Lefèbvre. L'Institut dépend directement et uniquement de Rome. Mais le diocèse a été tenu de lui affecter une "paroisse personnelle" (caractérisée par son rite et non par son territoire), saint-Eloi. Une convention ad experimentum, pour cinq ans, a donc été signée en 2007 entre Mgr Ricard, cardinal archevêque de Bordeaux, et l'abbé Laguérie. Institutionnelle, la communion avec l'Eglise diocésaine reste inexistante dans les faits. "La manière de faire et de penser de l'IBP en matière de catéchèse et de vie sacramentelle ne ressemblent en rien à celles de l'Eglise diocésaine; ce sont deux mondes parallèles, et ce n'est pas une question de liturgie", reconnaît Jean-Pierre Rouet, vicaire général.
Auditer saint-Eloi
Un certain nombre de laïcs, de ceux qui étaient montés au créneau en 2006, ont écrit lundi à Jean-Pierre Ricard afin de lui demander de peser soigneusement "l’évaluation à venir des fruits portés par l’Institut du Bon Pasteur comme de la participation de la paroisse Saint-Eloi à la communion ecclésiale". Ils attendent aussi du cardinal une prise de distance catégorique avec les groupes incriminés, et qu'il en tire les conséquences pastorales, par exemple en ne venant pas bénir la procession du Saint-Sacrement organisée par le Bon Pasteur le 6 juin prochain, et qui doit se conclure à la cathédrale.
"La hiérarchie a compris qu'il ne fallait plus se taire sur les questions pédophiles", explique Véronique de Poncheville, membre de l'équipe pastorale de Bruges-Le Bouscat. "Il faut avoir le même courage envers les positions extrémistes dont on sait qu'elles existent dans l'Eglise. Elles ont été trop longtemps acceptées quand elles étaient de droite. C'est le silence qui n'est plus supportable." La Conférence des baptisé-e-s de France de Bordeaux a également voulu "signifier sans ambiguïté" que "les incitations à la haine de ces groupuscules n’ont aucun rapport avec l’Evangile".
Curé de sainte-Foy, Hugues Walser, qui avait démissionné du conseil presbytéral à la création de l'IBP, revendique purement et simplement "la fin de l'expérience saint-Eloi". Il réclame que soit enfin créée la commission de dialogue, promise par le cardinal en 2007, et qui devait permettre par des relations habituelles "une meilleure connaissance réciproque". Tous attendent au moins que les dénégations de l'IBP soient "vérifiés et vécues".
Conscient que l'ensemble de l'Eglise catholique encourt un amalgame désastreux, le vicaire général a confirmé qu'il y aurait des suites. "Les intéressés sont dans le déni; leurs déclarations devront être suivies de mesures fermes et appropriées. On ne peut pas en rester à une espèce de fausse critique des médias et du montage journalistique, sans prendre la mesure des enjeux de ce qui a été montré, et qui est grave", a déclaré Jean-Pierre Rouet. "Il va falloir aller plus loin avec le Bon Pasteur dans la clarification des choses, et parler ensemble de ce qu'on a vu. Car les connivences d'un certain nombre avec l'extrême droite sont connues, et précèdent de beaucoup l'existence de Dies Irae". Selon Jean-Baptiste Lagüe, le vice-président du conseil presbytéral — à l'ordre du jour duquel devait figurer l'affaire en ce début de semaine — il s'agira en effet de "vérifier avec saint-Eloi si nous pouvons avancer ensemble malgré nos différences" : "Nous voulons la fraternité, mais dans la vérité et pas dans des relations convenues."
Un projet de frères enseignants
Pour l'Institut du Bon Pasteur, cette médiatisation imprévisible tombe on ne peut plus mal. Il est justement en train de créer une branche de frères enseignants — les Frères des Ecoles du Bon Pasteur. Objectif : "ré-évangéliser" la jeunesse par "l'exemple", que "seules des âmes "sans salaire"" peut donner, "loin du sentimentalisme ambiant qui ronge les cœurs des enfants et des adolescents". La maison-mère et le terrain d'apostolat se trouvent dans le Cher, au lieu-dit l'Angélus, récemment acheté par l'IBP et en chantier pour pouvoir accueillir du CP à la quatrième, en internat, les premiers élèves à la rentrée prochaine. Le projet et la formation des frères a été confié à l'abbé Régis Spinoza, celui-là même qui, au moment du reportage des Infiltrés, début 2009, était directeur pédagogique du cours saint-Projet.
Si l'ombre est jetée sur ses projets d'enseignement, l'Institut est aussi touché au moment où son existence-même est encore ad experimentum. C'est l'année prochaine que Rome devrait statuer pour le confirmer ou non dans ses statuts actuels. Signataire, en 2006, du décret de création, Dario Castrillon Hoyos, décrié pour sa gestion de la levée d'excommunication des évêques intégristes l'an dernier, ne dirige plus Ecclesia Dei, commission chargée des relations avec les traditionalistes. Celle-ci a été rattachée à la Congrégation pour la doctrine de la foi, donc recentrée sur des questions d'ordre purement doctrinal.
Mais elle a été marquée par le fracas de l'affaire Williamson, évêque intégriste dont les positions négationnistes n'avaient pas été prises assez au sérieux avant sa réintégration. Elle ne manquera pas d'être informée du remous suscité en France par l'affaire des Infiltrés, et de prendre l'avis des évêques, comme ceux de Versailles, Orléans, Marseille ou Bordeaux, sur le territoire desquels le Bon Pasteur est présent. De son côté l'abbé Laguérie se dit nullement inquiet de possibles répercussions : "Les relations avec Rome sont excellentes, et nous avons de très beaux résultats en terme de développement."
Mardi 27 avril, la diffusion sur France 2 d'un reportage des Infiltrés intitulé A l'extrême droite du Père a créé le scandale. L'enquête, en caméra cachée, est consacrée au fonctionnement d'un groupuscule d'extrême droite basé à Bordeaux, Dies Irae, dont les jeunes membres, qui disent se préparer à la guerre civile par un entraînement de type militaire, et par le noyautage de la société civile au travers de "pôles de résistance", se présentent comme catholiques.
Catholiques fanatiques s'entend, qui déchargent à l'égard de l'Eglise et de ses prêtres une haine équivalente à celle qu'ils réservent à la démocratie, et qui développent sur le plan théologique les obsessions habituelles des partisans de l'évêque schismatique Marcel Lefèbvre, les menaces en plus. "Vatican II, c'est un piège des francs-maçons pour faire vider les églises", résume Ludo, dont l'idée fixe est de ne pas se laisser "cueillir comme un fruit" quand se déclarera "la guerre contre les musulmans", mais que ça ne"dérangerait pas de fracasser un prêtre moderne".
Brutaux et primaires, ces jeunes sont des caricatures. Mais le reportage va plus loin, car il met en cause l'Institut du Bon Pasteur (IBP) ce groupe d'anciens partisans de Mgr Lefèbvre, installé sur la paroisse saint-Eloi, à Bordeaux, et rattaché à Rome en 2006 après que sa figure maîtresse, l'abbé Philippe Laguérie, a été exclu de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X (FSSPX). Ainsi dans le reportage, le supérieur général de l'IBP, en visite sur le chantier du bar associatif de Dies Irae, se découvre fort complaisant à l'égard du chef du groupe, Fabrice Sorlin, un militant du FN, exclu depuis du parti : "Fafa c'est un copain !", lance l'abbé d'un ton léger. Aujourd'hui, il explique à La Vie avoir été "invité" à faire le tour des lieux par le propriétaire, sans savoir à qui ils devaient servir et pour quoi. Plus tard, un autre abbé de saint-Eloi confie en catéchisme qu'il est nécessaire de se "former" en vue de la "guerre civile" qui pourrait survenir face à "un islam de plus en plus virulent". "Si c'est tout ce qu'il y a à montrer après huit mois de caméra quotidienne, c'est que la paroisse est irréprochable", lance l'abbé Laguérie.
De fait le scandale est à son comble quand la caméra cachée pénètre le cours saint-Projet, une école bordelaise hors contrat, tenue par une association de parents de la paroisse. Fondée en 2006 pour faire face à l'école saint-Georges, qui relève de la FSSPX, elle est dirigée par un prêtre de l'IBP, qui en assure aussi l'aumônerie. On y voit notamment des enfants défier avec aplomb leur surveillant – le journaliste masqué — en lui faisant part de leur haine des Juifs, qu'ils justifient par l'Evangile, et y chanter Auschwitz, ce "camp magique où les douches sont gratuites".
"Manipulation journalistique"
Les communiqués ne se sont pas fait attendre : Dies Irae se défend de tout lien avec les individus filmés, et le Bon Pasteur, de tout lien avec Dies Irae. Les accointances de certaines personnalités de l'IBP avec l'extrême droite, sur le terreau de laquelle croissent des groupes comme Dies Irae, sont pourtant un secret de Polichinelle. Laguérie reste celui qui a célébré les obsèques du milicien Paul Touvier, et qui a été choisi en 2008 par l'humoriste Dieudonné pour baptiser sa fille, sous la parrainage de Jean-Marie Le Pen. Mais on ne peut stigmatiser l'Institut, ni l'ensemble des fidèles qui en sont proches, répètent les intéressés. Le 1er mai, la paroisse saint-Eloi a déclaré qu'elle "repousserait toujours toute tentative d’entrisme" de ceux qui "renient l’Evangile et la tradition chrétienne sur des questions essentielles comme l’égale dignité de tous les hommes et le statut du peuple juif dans le mystère chrétien du salut", et rejeté le racisme et l'antisémitisme.
Condamnant obsessivement le procédé d'infiltration journalistique, l'ensemble des parties incriminées hurle aussi au complot et au montage à charge destiné à nuire au mouvement traditionaliste, et inscrit ce reportage dans la suite de "l'odieuse campagne de dénigrement dont l'Église Catholique et ses représentants, jusqu'au pape lui-même, font l'objet systématique depuis des mois". Quant aux parents d'élèves, après avoir tenté de faire interdire la diffusion de l'émission, ils ont porté plainte pour incitation à la haine auprès de leurs enfants, qui auraient été provoqués par le journaliste masqué. "Il est évident qu'une fois encore, c'est l'Eglise qui est visée. Après les pédophiles, voici les nazis !"
Le problème, c'est que devant la caméra cachée, ce sont aussi les adultes qui ricanent dans les couloirs, en évoquant — "les rats quittent toujours le navire les premiers" — le départ des juifs d'Algérie. Tandis qu'on entend un professeur d'histoire de troisième justifier auprès de ses élèves le collaborationnisme, se dispenser d'enseigner la Shoah parce qu'"on en parle déjà assez comme ça", présenter de Gaulle comme un déserteur, Pétain comme un modèle, et les SS comme des "troupes d'élite". Et sur les blogs tradis, la minimisation fréquente des propos rapportés a de quoi dérouter.
Bordeaux sous le choc
Depuis la semaine dernière, Bordeaux vit au rythme de l'événement qu'a constitué cette diffusion. L'inspection académique de Gironde, qui a contrôlé le cours saint-Projet fin mars, a confirmé qu'on y avait affaire à "une Histoire complètement revisitée" et qu'une procédure de contrôle suivait son cours. "Je garantis que ces débordements ne sont pas de notre fait; nous avons déjà pris toutes les mesures pour qu'ils ne se reproduisent plus, et l'avons inscrit dans la charte scolaire", nous a déclaré Philippe Laguérie.
Le maire de la ville, Alain Juppé, mis en difficulté par l'opposition pour avoir laissé le groupe lefébvriste s'installer dans cette paroisse, a réclamé des suites judiciaires face à des révélations qui "nuisent gravement à l'image de notre ville". Saisie par le parquet de Bordeaux, la police judiciaire a déclaré que si "ces gens-là sont connus", la procédure allait cependant être "complexe". Parallèlement, la maison du fondateur de l'école et le local de Dies irae ont été tagués de sigles nazis, et la librairie traditionaliste, dégradée.
Quant au diocèse, qui a condamné immédiatement le racisme et la violence, il prend l'affaire très au sérieux. A Bordeaux, où Laguérie a occupé par la force l'église saint-Eloi à partir de 2002, la présence de ces anciens lefébvristes, légitimée par Rome en 2006 par la création de l'Institut, est toujours aussi mal vécue par une partie du presbyterium. "Cette émission n'a pas sali saint-Eloi, elle a sali le diocèse qui l'accueille. C'est mon propre enracinement ecclésial qui est mis à mal", s'indigne le père Francis Ayliès, curé de la Trinité, à Bordeaux. "Puis-je faire partie d'une communauté qui estime que la présence de ce groupe est un bien pour Bordeaux, sous prétexte d'une unité de façade?"
A la différence d'autres instituts traditionalistes, le Bon Pasteur a été autorisé à célébrer la messe de saint Pie V de façon exclusive, comme étant son rite propre — en échange théorique de la reconnaissance de l'autorité du pape et du concile Vatican II, que rejetaient violemment les partisans de Mgr Lefèbvre. L'Institut dépend directement et uniquement de Rome. Mais le diocèse a été tenu de lui affecter une "paroisse personnelle" (caractérisée par son rite et non par son territoire), saint-Eloi. Une convention ad experimentum, pour cinq ans, a donc été signée en 2007 entre Mgr Ricard, cardinal archevêque de Bordeaux, et l'abbé Laguérie. Institutionnelle, la communion avec l'Eglise diocésaine reste inexistante dans les faits. "La manière de faire et de penser de l'IBP en matière de catéchèse et de vie sacramentelle ne ressemblent en rien à celles de l'Eglise diocésaine; ce sont deux mondes parallèles, et ce n'est pas une question de liturgie", reconnaît Jean-Pierre Rouet, vicaire général.
Auditer saint-Eloi
Un certain nombre de laïcs, de ceux qui étaient montés au créneau en 2006, ont écrit lundi à Jean-Pierre Ricard afin de lui demander de peser soigneusement "l’évaluation à venir des fruits portés par l’Institut du Bon Pasteur comme de la participation de la paroisse Saint-Eloi à la communion ecclésiale". Ils attendent aussi du cardinal une prise de distance catégorique avec les groupes incriminés, et qu'il en tire les conséquences pastorales, par exemple en ne venant pas bénir la procession du Saint-Sacrement organisée par le Bon Pasteur le 6 juin prochain, et qui doit se conclure à la cathédrale.
"La hiérarchie a compris qu'il ne fallait plus se taire sur les questions pédophiles", explique Véronique de Poncheville, membre de l'équipe pastorale de Bruges-Le Bouscat. "Il faut avoir le même courage envers les positions extrémistes dont on sait qu'elles existent dans l'Eglise. Elles ont été trop longtemps acceptées quand elles étaient de droite. C'est le silence qui n'est plus supportable." La Conférence des baptisé-e-s de France de Bordeaux a également voulu "signifier sans ambiguïté" que "les incitations à la haine de ces groupuscules n’ont aucun rapport avec l’Evangile".
Curé de sainte-Foy, Hugues Walser, qui avait démissionné du conseil presbytéral à la création de l'IBP, revendique purement et simplement "la fin de l'expérience saint-Eloi". Il réclame que soit enfin créée la commission de dialogue, promise par le cardinal en 2007, et qui devait permettre par des relations habituelles "une meilleure connaissance réciproque". Tous attendent au moins que les dénégations de l'IBP soient "vérifiés et vécues".
Conscient que l'ensemble de l'Eglise catholique encourt un amalgame désastreux, le vicaire général a confirmé qu'il y aurait des suites. "Les intéressés sont dans le déni; leurs déclarations devront être suivies de mesures fermes et appropriées. On ne peut pas en rester à une espèce de fausse critique des médias et du montage journalistique, sans prendre la mesure des enjeux de ce qui a été montré, et qui est grave", a déclaré Jean-Pierre Rouet. "Il va falloir aller plus loin avec le Bon Pasteur dans la clarification des choses, et parler ensemble de ce qu'on a vu. Car les connivences d'un certain nombre avec l'extrême droite sont connues, et précèdent de beaucoup l'existence de Dies Irae". Selon Jean-Baptiste Lagüe, le vice-président du conseil presbytéral — à l'ordre du jour duquel devait figurer l'affaire en ce début de semaine — il s'agira en effet de "vérifier avec saint-Eloi si nous pouvons avancer ensemble malgré nos différences" : "Nous voulons la fraternité, mais dans la vérité et pas dans des relations convenues."
Un projet de frères enseignants
Pour l'Institut du Bon Pasteur, cette médiatisation imprévisible tombe on ne peut plus mal. Il est justement en train de créer une branche de frères enseignants — les Frères des Ecoles du Bon Pasteur. Objectif : "ré-évangéliser" la jeunesse par "l'exemple", que "seules des âmes "sans salaire"" peut donner, "loin du sentimentalisme ambiant qui ronge les cœurs des enfants et des adolescents". La maison-mère et le terrain d'apostolat se trouvent dans le Cher, au lieu-dit l'Angélus, récemment acheté par l'IBP et en chantier pour pouvoir accueillir du CP à la quatrième, en internat, les premiers élèves à la rentrée prochaine. Le projet et la formation des frères a été confié à l'abbé Régis Spinoza, celui-là même qui, au moment du reportage des Infiltrés, début 2009, était directeur pédagogique du cours saint-Projet.
Si l'ombre est jetée sur ses projets d'enseignement, l'Institut est aussi touché au moment où son existence-même est encore ad experimentum. C'est l'année prochaine que Rome devrait statuer pour le confirmer ou non dans ses statuts actuels. Signataire, en 2006, du décret de création, Dario Castrillon Hoyos, décrié pour sa gestion de la levée d'excommunication des évêques intégristes l'an dernier, ne dirige plus Ecclesia Dei, commission chargée des relations avec les traditionalistes. Celle-ci a été rattachée à la Congrégation pour la doctrine de la foi, donc recentrée sur des questions d'ordre purement doctrinal.
Mais elle a été marquée par le fracas de l'affaire Williamson, évêque intégriste dont les positions négationnistes n'avaient pas été prises assez au sérieux avant sa réintégration. Elle ne manquera pas d'être informée du remous suscité en France par l'affaire des Infiltrés, et de prendre l'avis des évêques, comme ceux de Versailles, Orléans, Marseille ou Bordeaux, sur le territoire desquels le Bon Pasteur est présent. De son côté l'abbé Laguérie se dit nullement inquiet de possibles répercussions : "Les relations avec Rome sont excellentes, et nous avons de très beaux résultats en terme de développement."