SOURCE - Abbé Christophe Héry - Le Mascaret - avril 2006
Une lutte titanesque se déroule, depuis son élection, entre Benoît XVI et les dignitaires progressistes qui craignent qu’on “oublie” les avancées radicales de Vatican II. Le discours du pape du 22 décembre, dirigé contre les théologiens-experts de la revue Concilium, en témoigne. Par ce discours capital, le pape signe l’arrêt de “l’esprit du concile”. Quels sont les enjeux de cette lourde récusation ? Une série de chroniques, dont voici la première, permettra aux lecteurs de Mascaret de trouver une réponse argumentée et sans détours.
Une lutte titanesque se déroule, depuis son élection, entre Benoît XVI et les dignitaires progressistes qui craignent qu’on “oublie” les avancées radicales de Vatican II. Le discours du pape du 22 décembre, dirigé contre les théologiens-experts de la revue Concilium, en témoigne. Par ce discours capital, le pape signe l’arrêt de “l’esprit du concile”. Quels sont les enjeux de cette lourde récusation ? Une série de chroniques, dont voici la première, permettra aux lecteurs de Mascaret de trouver une réponse argumentée et sans détours.
Une “réception difficile” : “l’esprit du Concile” tue, le “texte” vivifie…
Quarante ans après la clôture de Vatican II le 8 décembre 1965, « personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Église, la réception du Concile s’est déroulée de manière difficile… » Ces paroles prononcées par le pape Benoît XVI le 22 décembre 2005, devant les cardinaux et les membres de la Curie à l’occasion des voeux de Noël, ont-elles été bien “reçues” dans l’Église ? Il est vrai que ce mot “réception”, apparu depuis Vatican II en raison même des ambiguïtés suscitées par les documents conciliaires, nécessiterait à lui seul un commentaire.
En attendant, notons que ce propos capital du pape constatant le fiasco post-conciliaire fait figure de discours d’orientation pour son pontificat. Benoît XVI s’interroge sur les causes de ces graves “problèmes de réception” du concile qui ont sévit et persisté massivement dans les faits. Vise-t-il ceux qui, refusant la nouvelle religion de Vatican II, bloqueraient la pleine réception de celui-ci ? C’est tout le contraire : Benoît XVI impute directement cette mauvaise “réception” à une manière d’interprétation abusive et erronée des documents, inspirée par “l’esprit du Concile”. Il invite à relire ce concile (pour ceux qui l’ont lu !), selon la lettre (1) et non selon l’ “esprit” : l’esprit du Concile tue, mais le texte vivifie.
Maints évêques, experts ou théologiens continuent en effet d’invoquer rituellement cet “esprit” indépassable qui aurait soufflé sur l’aula conciliaire, fondateur d’une nouvelle charte ecclésiale voire d’une nouvelle « constituante de la foi (2) ». À cet “esprit” d’autant plus tyrannique qu’il reste non défini, il serait obligatoire d’obéir catégoriquement, au nom du progrès et du magistère authentique.
En attendant, notons que ce propos capital du pape constatant le fiasco post-conciliaire fait figure de discours d’orientation pour son pontificat. Benoît XVI s’interroge sur les causes de ces graves “problèmes de réception” du concile qui ont sévit et persisté massivement dans les faits. Vise-t-il ceux qui, refusant la nouvelle religion de Vatican II, bloqueraient la pleine réception de celui-ci ? C’est tout le contraire : Benoît XVI impute directement cette mauvaise “réception” à une manière d’interprétation abusive et erronée des documents, inspirée par “l’esprit du Concile”. Il invite à relire ce concile (pour ceux qui l’ont lu !), selon la lettre (1) et non selon l’ “esprit” : l’esprit du Concile tue, mais le texte vivifie.
Maints évêques, experts ou théologiens continuent en effet d’invoquer rituellement cet “esprit” indépassable qui aurait soufflé sur l’aula conciliaire, fondateur d’une nouvelle charte ecclésiale voire d’une nouvelle « constituante de la foi (2) ». À cet “esprit” d’autant plus tyrannique qu’il reste non défini, il serait obligatoire d’obéir catégoriquement, au nom du progrès et du magistère authentique.
I- L’esprit du concile et la revue Concilium : Vatican II forme une nouvelle « Constituante de la foi ».
On découvre cette idée d’assemblée “constituante de la foi” dans un ouvrage paru juste avant le discours de Benoît XVI du 22 décembre, lequel pourrait être la réplique à ce livre, tant les thèmes coïncident. Publié par la revue Concilium, le titre manifeste l’inquiétude des auteurs : A. MELLONI et C. THEOBALD (dir.), Vatican II, un avenir oublié.
Où trouver et comment définir l’esprit du concile, sinon dans la revue internationale de théologie Concilium, « fondée le 5 juin 1964 par les théologiens les plus importants du concile Vatican II » (ibid. p.1), à savoir CONGAR, RAHNER, KÜNG, SCHILLEBEECKS, etc. ? Cette revue revendique haut et clair l’esprit que ces théologiens ont intentionnellement forgé, porté et imposé lors du Concile.
Pour marquer le quarantième anniversaire de ce succès, l’un de ces vétérans experts, HUNERMANN (né en 1929), signe un chapitre capital de ce livre : « Redécouvrir le “texte” passé inaperçu. À propos de l’interprétation du concile ». Il pose le problème et le résout ainsi :
1- « Les documents de Vatican II sont un texte conciliaire » (p. 240) : c’est-à-dire que « “l’intention des auteurs” demeure fondamentalement en retrait par rapport à “l’intention du texte” », laquelle seule est la voix du “magistère”. Ce que les auteurs du Concile ont voulu ne compte pas (ils n’ont voulu signer qu’un « compromis ») ; seul compte ce qu’a voulu l’Église en le promulguant. Cette volonté ecclésiale novatrice constitue “l’esprit du concile” nécessaire à la saisie des “textes” – pris avec des pincettes, entre guillemets – dans le mouvement de l’histoire.
2- « Vatican II est un concile spécifique » (p. 242) : il est « l’expression du consensus de base de l’Église catholique » (p. 247). Même s’il est pastoral et non dogmatique et s’il apparaît comme un « texte de compromis » (p. 231) entre une majorité et une minorité, son caractère impératif n’en est que plus fort. Car HUNERMANN précise : « Ce consensus de base dans la foi est attesté par l’ensemble du collège des évêques sous l’égide de son chef, le pape, réunis en concile » (p. 248).
3- Vatican II est « normatif pour le pape et les évêques » (p. 248). On retrouve l’hérésie du conciliarisme qui met le concile au-dessus du pape – il ne garde qu’un droit de « veto » (p.253). Vatican II fixe « une limitation à l’exercice du pouvoir dans l’Église » (ibid.). Non dogmatique (cf. discours d’ouverture de Jean XXIII) mais plutôt démocratique, son autorité est celle d’une nouvelle « Constitution » pour l’Église. C’est là le « genre littéraire » spécifique du concile : un texte constitutionnel : « On peut caractériser le genre textuel de Vatican II comme “constitution de la vie croyante au sein de l’Église” ou plus brièvement comme “constituante de la foi” ». (p. 248).
4- Vatican II est un texte reflétant la conscience de l’Église (cf. Paul VI, discours de clôture) « dans son engagement dans l’histoire » (p. 245), et dans son ouverture au « monde moderne ». L’histoire n’est pas finie : Vatican II n’est pas un événement passé mais le mouvement même du progrès communiqué à l’Église.
5- « Revendiquer » incessamment Vatican II. Parce que l’herméneutique est avant tout celle de l’action, le texte conciliaire doit être « le critère de toutes les activités ecclésiales » (p. 247). « Le “texte” de Vatican II ne sera préservé que si les différents groupes [de pression], les diverses autorités et le peuple de Dieu se réfèrent à lui et ne cessent de le revendiquer et de faire valoir sa validité et sa normativité [absolue] » (p. 256). Et HUNERMANN de conclure : « Quarante ans après Vatican II, la question de cette fonction critique permanente exercée par le texte conciliaire est la question herméneutique décisive » (p. 257).
Finalement, « l’esprit du concile » est un esprit « critique » qui doit soumettre toute la vie de l’Église et sa Tradition au crible du “texte”, dont les ambiguïtés seront ainsi levées par la dynamique de la pastorale.
Pour marquer le quarantième anniversaire de ce succès, l’un de ces vétérans experts, HUNERMANN (né en 1929), signe un chapitre capital de ce livre : « Redécouvrir le “texte” passé inaperçu. À propos de l’interprétation du concile ». Il pose le problème et le résout ainsi :
1- « Les documents de Vatican II sont un texte conciliaire » (p. 240) : c’est-à-dire que « “l’intention des auteurs” demeure fondamentalement en retrait par rapport à “l’intention du texte” », laquelle seule est la voix du “magistère”. Ce que les auteurs du Concile ont voulu ne compte pas (ils n’ont voulu signer qu’un « compromis ») ; seul compte ce qu’a voulu l’Église en le promulguant. Cette volonté ecclésiale novatrice constitue “l’esprit du concile” nécessaire à la saisie des “textes” – pris avec des pincettes, entre guillemets – dans le mouvement de l’histoire.
2- « Vatican II est un concile spécifique » (p. 242) : il est « l’expression du consensus de base de l’Église catholique » (p. 247). Même s’il est pastoral et non dogmatique et s’il apparaît comme un « texte de compromis » (p. 231) entre une majorité et une minorité, son caractère impératif n’en est que plus fort. Car HUNERMANN précise : « Ce consensus de base dans la foi est attesté par l’ensemble du collège des évêques sous l’égide de son chef, le pape, réunis en concile » (p. 248).
3- Vatican II est « normatif pour le pape et les évêques » (p. 248). On retrouve l’hérésie du conciliarisme qui met le concile au-dessus du pape – il ne garde qu’un droit de « veto » (p.253). Vatican II fixe « une limitation à l’exercice du pouvoir dans l’Église » (ibid.). Non dogmatique (cf. discours d’ouverture de Jean XXIII) mais plutôt démocratique, son autorité est celle d’une nouvelle « Constitution » pour l’Église. C’est là le « genre littéraire » spécifique du concile : un texte constitutionnel : « On peut caractériser le genre textuel de Vatican II comme “constitution de la vie croyante au sein de l’Église” ou plus brièvement comme “constituante de la foi” ». (p. 248).
4- Vatican II est un texte reflétant la conscience de l’Église (cf. Paul VI, discours de clôture) « dans son engagement dans l’histoire » (p. 245), et dans son ouverture au « monde moderne ». L’histoire n’est pas finie : Vatican II n’est pas un événement passé mais le mouvement même du progrès communiqué à l’Église.
5- « Revendiquer » incessamment Vatican II. Parce que l’herméneutique est avant tout celle de l’action, le texte conciliaire doit être « le critère de toutes les activités ecclésiales » (p. 247). « Le “texte” de Vatican II ne sera préservé que si les différents groupes [de pression], les diverses autorités et le peuple de Dieu se réfèrent à lui et ne cessent de le revendiquer et de faire valoir sa validité et sa normativité [absolue] » (p. 256). Et HUNERMANN de conclure : « Quarante ans après Vatican II, la question de cette fonction critique permanente exercée par le texte conciliaire est la question herméneutique décisive » (p. 257).
Finalement, « l’esprit du concile » est un esprit « critique » qui doit soumettre toute la vie de l’Église et sa Tradition au crible du “texte”, dont les ambiguïtés seront ainsi levées par la dynamique de la pastorale.
II- Le pape récuse « l’esprit du concile »
Face à ces revendications militantes, le 22 décembre 2005, devant la Curie romaine, le cardinal RATZINGER devenu pape se distancie de cet “esprit du Concile” que beaucoup invoquent, selon lui, pour justifier « les élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes du Concile. » Cette forme de spiritisme conciliaire est d’autant plus tyrannique qu’« il reste évidemment une grande marge pour se demander comment on définit cet esprit et en conséquence, on laisse la place à n’importe quelle fantaisie », souligne Benoît XVI. Il faut donc abandonner cette fausse lecture selon l’esprit. La charge est considérable.
La raison invoquée par BENOIT XVI met l’accent sur le danger de « rupture » (faut-il entendre « schisme » ?) qui menace depuis quarante ans l’Église à cause de cet “esprit du concile”, militant pour une nouvelle « Église du concile » par opposition à celle d’avant (expression due à PAUL VI, Discours de clôture, 7 décembre 1965). Ne donne-t-il pas implicitement raison aux analyses et à la résistance de Mgr Lefebvre ?
Sur l’esprit qui inspire les textes, sur le concile vu comme un « compromis » fixant une nouvelle « Constituante de la foi » dans l’Église, Benoît XVI répond point par point aux idées de Concilium Ce passage magistral du discours n’est pas sans rappeler l’acuité d’un saint Pie X dénonçant le modernisme dans l’encyclique Pascendi.
(à suivre)
Abbé Christophe Héry
Sur l’esprit qui inspire les textes, sur le concile vu comme un « compromis » fixant une nouvelle « Constituante de la foi » dans l’Église, Benoît XVI répond point par point aux idées de Concilium Ce passage magistral du discours n’est pas sans rappeler l’acuité d’un saint Pie X dénonçant le modernisme dans l’encyclique Pascendi.
(à suivre)
Abbé Christophe Héry
1- Le pape parle plus précisément d’un retour au texte. Reste à définir ce qu’est le sens du texte, mais c’est un autre débat dont nous traiterons au prochain numéro.
2- A. MELLONI et C. THEOBALD (Dir.), Vatican II, un avenir oublié, Bayard-Concilium, déc. 2005, p. 250-251.
2- A. MELLONI et C. THEOBALD (Dir.), Vatican II, un avenir oublié, Bayard-Concilium, déc. 2005, p. 250-251.
Le discours du pape du 22 décembre sur le concile
Sur l’interprétation du concile, quatre idées majeures et deux applications résument ce discours. Mascaret proposera une chronique sur chacun des points :
1- Benoît XVI constate la « rupture » post-conciliaire due à une « réception » catastrophique du concile « dans de vastes parties de l’Église ».2- Il soulève le problème de l’interprétation ou plutôt de « l’herméneutique » des documents : quel « sens » faut-il donner aux textes conciliaires ?3- Contre les théories progressistes de Concilium, Benoît XVI fustige « l’esprit du concile », responsable selon lui de cette « herméneutique de la rupture » qui a prévalu sur celle de la « continuité », prétendant refonder la Constitution divine de l’Église.4- Il invite à une herméneutique du « texte », relu dans la « continuité » des principes de l’Église (il n’emploie pas le mot Tradition).5- Première application : il indique qu’une large part des textes conciliaires (tel Gaudium et Spes), étant relatifs aux rapports entre l’Église et le monde, sont « contingents » et aujourd’hui périmés, puisqu’en quarante ans le monde n’a cessé d’évoluer.6- Seconde application : Benoît XVI aborde le thème de la liberté religieuse. Il dénonce son prétendu fondement « métaphysique», qui est un faux principe. Il propose une autre interprétation qui soulève le problème du rapport essentiel entre liberté et vérité.
Benoît XVI répond point par point aux idées de Concilium
Sur l’esprit qui devrait pousser au-delà des textes, sur le concile vu comme un « compromis » fixant une nouvelle « Constituante de la foi » dans l’Église, voici le passage du discours qui rappelle l’acuité de saint Pie X dénonçant le modernisme dans Pascendi :
« L'herméneutique de la discontinuité risque de finir par une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire. Celle-ci affirme que les textes du Concile comme tels ne seraient pas encore la véritable expression de l'esprit du Concile. Ils seraient le résultat de compromis dans lesquels, pour atteindre l'unanimité, on a dû encore emporter avec soi et reconfirmer beaucoup de vieilles choses désormais inutiles. Ce n'est cependant pas dans ces compromis que se révélerait le véritable esprit du Concile, mais en revanche dans les élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes: seuls ceux-ci représenteraient le véritable esprit du Concile, et c'est à partir d'eux et conformément à eux qu'il faudrait aller de l'avant. Précisément parce que les textes ne refléteraient que de manière imparfaite le véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait nécessaire d'aller courageusement au-delà des textes, en laissant place à la nouveauté dans laquelle s'exprimerait l'intention la plus profonde, bien qu'encore indistincte, du Concile.
En un mot: il faudrait non pas suivre les textes du Concile, mais son esprit. De cette manière, évidemment, il est laissé une grande marge à la façon dont on peut alors définir cet esprit et on ouvre ainsi la porte à toutes les fantaisies. Mais on se méprend sur la nature d'un Concile en tant que tel. Il est alors considéré comme une sorte de Constituante, qui élimine une vieille constitution et en crée une nouvelle. Mais la Constitution a besoin d'un promoteur, puis d'une confirmation de la part du promoteur, c'est-à-dire du peuple auquel la constitution doit servir. Les Pères n'avaient pas un tel mandat et personne ne le leur avait jamais donné; personne, du reste, ne pouvait le donner, car la constitution essentielle de l'Eglise vient du Seigneur et nous a été donnée afin que nous puissions parvenir à la vie éternelle et, en partant de cette perspective, nous sommes en mesure d'illuminer également la vie dans le temps et le temps lui-même […]. »
(Benoît XVI, Discours devant la Curie à l’occasion des vœux de Noël, 22 décembre 2005.)