Luc Perrin - QIEN - 11 avril 2006
Les évêques de France et la question traditionaliste : savoir lire la déclaration du cardinal Ricard
"Les évêques de France ont été assez impressionnés, semble-t-il, par cette réalité [le monde traditionaliste français] qui leur était largement méconnue dans sa globalité. Le cardinal Ricard, à l’issue des travaux de la Conférence des évêques, a dit vouloir rechercher une “ communion dans la charité et la vérité ”. L’expression trouvait déjà, très exactement, dans le discours que Benoît XVI a prononcé lors de l’audience générale du 5 avril précédent, discours consacré à “ l’Eglise comme communion ”.
"Les évêques de France ont été assez impressionnés, semble-t-il, par cette réalité [le monde traditionaliste français] qui leur était largement méconnue dans sa globalité. Le cardinal Ricard, à l’issue des travaux de la Conférence des évêques, a dit vouloir rechercher une “ communion dans la charité et la vérité ”. L’expression trouvait déjà, très exactement, dans le discours que Benoît XVI a prononcé lors de l’audience générale du 5 avril précédent, discours consacré à “ l’Eglise comme communion ”.
Plusieurs journalistes ont résumé la déclaration du président de la Conférence des évêques de France à la manière d'Yves Chiron, ci-dessus cité (Aletheia n°91). L'épiscopat du pays où les traditionalistes, après les États-Unis, sont les plus nombreux serait donc désormais animé d'un vif désir de "communion" avec des fidèles qui ont été jusque là surtout regardés comme des pestiférés et affublés du qualificatif infâmant, aux yeux de nos contemporains, d'intégristes. Évolution spectaculaire vraiment, quand on se souvient de la satisfaction bruyante de feu le cardinal Eyt, prédécesseur du cardinal Ricard sur le siège de Bordeaux et Bazas, en 2001 à l'annonce de la suspension des discussions entre la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), héritière de Mgr Lefebvre, et la Rome de Jean-Paul II et déjà du cardinal Castrillon Hoyos. Évolution brusquée car les indiscrétions, reprises par le journal officieux de l'Église gallicane à savoir La Croix, rapportait des propos tout autres lors du très récent Consistoire où la question fut soumise par le pape à l'avis des cardinaux. Le journal (22/03/2006) citait un cardinal anonyme : « Et on ne peut quand même pas aller jusqu’à accepter deux rites différents dans l’Église latine », une affirmation qui fera sourire tout étudiant ayant suivi un cours élémentaire d'histoire de la liturgie. Le cardinal Ricard insistait quant à lui sur ce qui sépare : « On ne peut pas récuser l’apport conciliaire » et les journalistes parlaient d'un "gouffre doctrinal" entre Rome et Menzingen. Alors est-il vrai que 2 semaines plus tard, N.N.S.S. les évêques de France "tendent la main aux partisans de la messe en latin (sic)", comme le proclame Sophie de Ravinel (Le Figaro, 8/4/2006) ?
Certes Mgr Ricard évite, avec soin, les mots blessants, les épithètes rapides : le mot "lefebvriste", commode sans doute mais injurieux pour des catholiques qui se veulent disciples de Jésus-Christ et non des sectateurs d'un quelconque prophète, est dû à la rédaction de La Croix qui publie de larges extraits de la déclaration (10/4/2006). Pour le reste, quel est donc ce rameau d'olivier que l'épiscopat, subitement, tendrait à l'ensemble de la mouvance traditionaliste, fidèles des communautés Ecclesia Dei en pleine communion avec l'Église depuis 1984/1988 et fidèles qui suivent la FSSPX dirigée par Mgr Fellay ? Une lecture plus attentive, comme celle d'Isabelle de Gaulmyn dans le même journal, montre aisément qu'il s'agit plutôt d'une couronne d'épine, voire d'une éponge imbibée de vinaigre. Qu'on en juge.
Les évêques de France récusent d'emblée "la mise en place d'une structure juridique qui risquerait de distendre les liens de ces fidèles avec leur pleine appartenance à leur Église diocésaine". C'est un coup de tonnerre : depuis 2001, la proposition a été faite par le cardinal président de la Commission Ecclesia Dei, au nom de Jean-Paul II, à Mgr Fellay. Cette structure, une administration apostolique personnelle, existe depuis 2002 au Brésil (Campos) et son évêque est venu récemment en France. Cette structure est par ailleurs très banale dans l'Église, même en France, où nous connaissons le diocèse aux Armées, la Prélature nullius de la Mission de France, une éparchie et un exarchat de catholiques orientaux. Aux États-Unis, chaque diocèse doté d'une grande ville dispose ainsi de multiples communautés juxtaposées, si l'on ajoute aux catholiques des divers rits orientaux, les paroisses nationales pour les descendants d'Allemands, de Polonais, d'Italiens, de Vietnamiens ... et de plus en plus d'hispanophones. Il y eut certes parfois quelques frictions mais l'Église catholique qui est en ce pays ne paraît pas souffrir de problème de "communion", pas plus que les paroisses polonaises établies en France depuis 1924 n'ont déchiré le tissu ecclésial. Le refus, peu fondé on le voit, des évêques de France est un signal fort : on en reste à la formule de Mgr Garnier d'autrefois. L'accueil des traditionalistes est une "parenthèse miséricordieuse", qu'en dépit des statistiques établies par Loïc Mérian, une majorité d'évêques français souhaite voir se refermer le plus tôt possible. Toute "structure" tendant à pérenniser cette "sensibilité" est donc rejetée. Quitte à montrer à la FSSPX que l'Église de France, en dépit des doux mots de Son Ém. le cardinal-archevêque de Bordeaux, n'est pas encore prête à faire teshouva pour l'hostilité manifestée depuis... 1972, à l'époque de la dénonciation du "séminaire sauvage" d'Écône.
Les évêques de France récusent d'emblée "la mise en place d'une structure juridique qui risquerait de distendre les liens de ces fidèles avec leur pleine appartenance à leur Église diocésaine". C'est un coup de tonnerre : depuis 2001, la proposition a été faite par le cardinal président de la Commission Ecclesia Dei, au nom de Jean-Paul II, à Mgr Fellay. Cette structure, une administration apostolique personnelle, existe depuis 2002 au Brésil (Campos) et son évêque est venu récemment en France. Cette structure est par ailleurs très banale dans l'Église, même en France, où nous connaissons le diocèse aux Armées, la Prélature nullius de la Mission de France, une éparchie et un exarchat de catholiques orientaux. Aux États-Unis, chaque diocèse doté d'une grande ville dispose ainsi de multiples communautés juxtaposées, si l'on ajoute aux catholiques des divers rits orientaux, les paroisses nationales pour les descendants d'Allemands, de Polonais, d'Italiens, de Vietnamiens ... et de plus en plus d'hispanophones. Il y eut certes parfois quelques frictions mais l'Église catholique qui est en ce pays ne paraît pas souffrir de problème de "communion", pas plus que les paroisses polonaises établies en France depuis 1924 n'ont déchiré le tissu ecclésial. Le refus, peu fondé on le voit, des évêques de France est un signal fort : on en reste à la formule de Mgr Garnier d'autrefois. L'accueil des traditionalistes est une "parenthèse miséricordieuse", qu'en dépit des statistiques établies par Loïc Mérian, une majorité d'évêques français souhaite voir se refermer le plus tôt possible. Toute "structure" tendant à pérenniser cette "sensibilité" est donc rejetée. Quitte à montrer à la FSSPX que l'Église de France, en dépit des doux mots de Son Ém. le cardinal-archevêque de Bordeaux, n'est pas encore prête à faire teshouva pour l'hostilité manifestée depuis... 1972, à l'époque de la dénonciation du "séminaire sauvage" d'Écône.
Si comme le fait justement I. de Gaulmyn, on passe sur les douces formules évangéliques, Ut unum sint, les évêques posent trois conditions à une éventuelle réconciliation avec la Fraternité sacerdotale de Mgr Fellay et ses fidèles : on "ne saurait tolérer un refus systématique du Concile, une critique de son enseignement et un dénigrement de la réforme liturgique que le Concile a décrétée". Ces 3 conditions sont de plus en plus rigoureuses et étroites. La première serait acceptable en l'état, au moins par Mgr Fellay : en 2001, il avait déclaré approuver 95% de Vatican II. La deuxième est déjà beaucoup plus difficile : on ne saurait donc critiquer l'enseignement du concile Vatican II, chaque phrase, toute virgule serait ainsi matière sacrée ... Sans entrer dans l'épineux et tortueux problème de la qualification doctrinale des textes conciliaires, dont aucun n'a proclamé de nouveau dogme comme chacun sait, relevons simplement que tous les jours, des théologiens pratiquent la "critique de son enseignement" : qui n'a pas lu que telle affirmation conciliaire était aujourd'hui "dépassée" ? Nos bibliothèques de séminaires et de Facultés de théologie sont ainsi remplies de livres et d'articles que N.N.S.S les évêques vont peut-être faire brûler dans les semaines qui viennent ? Sinon comment demander aux fidèles et aux prêtres de la FSSPX ce qu'on ne pratique pas soi-même ? La troisième condition prête à interprétation sur le mot "dénigrement" : constater que le Novus Ordo Missae, loin de remplir les églises françaises ce qui était son but affiché, s'est accompagné de leur désertification, est-ce un "dénigrement" ? Elle introduit une perplexité : la plupart des liturgistes et historiens de la liturgie sont d'accord pour relever que ledit Novus Ordo n'est pas exactement "la réforme liturgique que le Concile a décrétée", et même qu'il s'écarte parfois de façon impressionnante des prescriptions de la constitution Sacrosanctum concilium. Est-ce "dénigrement" que de noter que le chant grégorien n'a pas la première place en France, comme le réclame le Concile ? Est-ce "dénigrement" que d'observer que les "messes en latin" ont quasiment disparu alors que le Concile maintenait l'usage de cette langue ? Est-ce encore "dénigrement" que d'observer que la multiplicité des prières eucharistiques est en contradiction formelle avec le texte conciliaire qui exigeait que la réforme soit un développement organique du rit romain, rit qui n'a jamais connu cette pluralité pour l'essentiel des siècles qui nous sont connus ? Faudra-t-il donc brûler tous les ouvrages de liturgie, comme celui de Mgr Gamber dont le préfacier déclare, avec une impudence inouïe, que la réforme liturgique " n’a pas été une réanimation mais une dévastation " ? N.N.S.S les évêques pensent-ils donc que celui qui verse ainsi dans "un dénigrement de la réforme liturgique que le Concile a décrétée" manque à la communion et à la vérité ? Ce serait très ennuyeux puisqu'il s'agit, aujourd'hui, du ministre par excellence de la communion et de la vérité dans l'Église catholique, notre Saint Père le pape Benoît XVI. Telle n'est pas, j'en suis sûr, la pensée des évêques de France, si mal reflétée par les termes de cette déclaration, sans doute hâtivement rédigée.
Retenons donc plutôt pour conclure cet exercice de lecture, l'engagement solennel relatif aux directives que le pape devrait donner dit-on prochainement : "Nous les accueillerons dans la foi et les mettrons en oeuvre fidèlement". Là est le message essentiel contenu dans la déclaration du cardinal Ricard. Voici une belle profession de foi ultramontaine qui nous rappelle que dans le catholicisme contemporain, en pleine fidélité aux enseignements de Vatican I et de Vatican II, le serviteur des serviteurs de Dieu peut mieux que quiconque trouver les mots, accomplir les gestes et tracer "le chemin vers un retour possible à une pleine communion".
Luc Perrin