SOURCE - Abbé Claude Barthe - Présent - 12 avril 2006
La libéralisation espérée de la messe tridentine, quels que soient ses limites et les attendus qui l’accompagneront sans doute (« l’identité intime » de l’ancien et du nouveau missel) confirmera, de facto, que la messe de Paul VI ne se prévaut pas à proprement parler du statut de lex orandi. Ceci importe au plus haut point dans la considération de la fin à poursuivre : la restauration des choses liturgiques. Tout le monde connaît l’adage : lex orandi, lex credendi, qui rappelle que le culte divin est un vecteur privilégié de la profession de foi. Or, depuis quarante ans, la réforme est contestée, dans sa capacité à exprimer la foi. A l’origine de la critique « dure », le Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci s’alarmait de l’éloignement « impressionnant » de la doctrine émanant du nouveau missel par rapport à celle exprimée par le concile de Trente. Ce que j’ai traduit par le terme de profanation, au sens de pénétration, bien évidemment pas totale, du profane dans le culte.
Profanation : par la refabrication de rites où le subjectif de la célébration du groupe centré sur lui-même s’impose ; par un abandon de l’hiératisme rituel, de la langue sacrée, de la prière « vers le Seigneur », de l’adoration exprimée par la gestuelle et le silence. Il est patent qu’on a procédé à une atténuation de ce que le monde actuel n’entend plus : la valeur de la messe comme sacrifice pour les péchés, la présence réelle du Christ, la hiérarchie sacerdotale exprimant l’action du Christ-Tête.
Mais en même temps, s’est développée une autre forme de nonréception, que l’on pourrait qualifier de critique « douce ». Lors du Katholikentag de 1966, le professeur Ratzinger avait prononcé un discours très critique vis-à-vis de la réforme en préparation. De même, le P. Louis Bouyer était très vite entré en opposition. Et bien d’autres encore, dont le flot s’est grossi ces dernières années (Nicola Giampietro publiant les mémoires du cardinal Antonelli, Forum, 2004 ; le P. Aidan Nichols, dans Liturgie et modernité, Ad Solem, 1998 ; etc.). Tous se retrouvant derrière celui qui est devenu Benoît XVI et n’a cessé d’affirmer que la réforme « de Bugnini » n’était pas dans la ligne de l’harmonieuse évolution qu’exprimaient les réformes de Pie XII. Qui plus est, selon lui, la manière « révolutionnaire » de la réforme de Paul VI, a fait que la liturgie antérieure ne pouvait être considérée comme abrogée. Par conséquent, la réforme n’ayant pas donné les fruits que l’on en espérait, il fallait, en douceur et avec patience, procéder à une « réforme de la réforme ».
Tous donc, ottavianiens et ratzinguériens, ont de fait remis en cause le caractère de référence incontestable pour la confession de foi de la nouvelle messe. Tous la considèrent comme relative, susceptible de recevoir une « mauvaise interprétation » – largement dominante –, et nécessitant une interprétation traditionnelle. En d’autres termes, la liturgie nouvelle apparaît comme n’étant que « pastorale », à la manière, ce qui est logique, du concile dont elle s’est voulue l’expression. Elle n’a pas davantage voulu être, à proprement parler, une lex orandi, une loi de prière, que les textes novateurs de Vatican II (par exemple, sur l’oecuménisme) n’ont voulu être une loi de la foi, un dogme. On sait aujourd’hui que, le 18 mars 1984, le cardinal Casaroli, secrétaire d’Etat, avait écrit au cardinal Casoria, préfet de la Congrégation pour le culte divin, pour lui demander de préparer la première en date des concessions de l’usage du missel traditionnel : « Une absolue interdiction de l’usage du missel susdit ne peut être justifiée ni du point de vue théologique ni du point de vue juridique. » EM>Théologiquement, l’interdiction du rite de saint Pie V ne peut être justifiée. D’où une situation inouïe : la coexistence non pas de deux rites catholiques distincts (par exemple, comme en Espagne, celle du rite romain et du rite mozarabe), mais la coexistence de deux formes successives du même rite. Cette coexistence ne souligne-t-elle pas que la forme récente n’a pas vraiment remplacé la forme ancienne ? Et que la forme récente – ce que démontre au reste sa fluidité – est par essence relative ?
Ce qui permet de qualifier le projet de « réforme de la réforme » : il devrait viser la transmutation du rite de Paul VI. Il ne concernera pas la liturgie traditionnelle, dont au contraire, l’extension sera un moyen de peser sur la situation générale. La « réforme de la réforme » devrait concerner les paroisses ordinaires. Tous les catholiques de bonne volonté accepteront-ils de la favoriser malgré le « risque » de voir bousculer leurs « positions » respectives, spécialement psychologiques ? Qu’on le veuille ou non, quarante ans de liturgie paroissiale nouvelle sont un fait avec lequel il faut désormais compter. Il conviendra donc d’aider concrètement, dans la liturgie des paroisses ordinaires, les prêtres qui ne demandent qu’à faire évoluer progressivement le rite réformé, c’est-à-dire à le redresser peu à peu en fonction de la tradition liturgique romaine, de la lex orandi en sa plénitude.