Interview de Monseigneur Mgr Bernard Tissier de Mallerais |
par Stephen L.M. Heiner - Colton, Californie, le 21 avril 2006, pour The Remnant du 30 avril 2006 - Traduction non officielle depuis l'original anglais par http://www.virgo-maria.org/ [NDTN: The Remnant a supprimé la remarque sur Fatima avant de publier ce entretien. Par ailleurs, ce texte se termine par une citation attribuée à celui qui était alors l'abbé Ratzinger, c'est une distorsion du texte allemand tel qu'écrit par l'abbé Ratzinger, et que nous donnons à la suite.] |
Je n’avais rencontré Mgr Bernard Tissier de Mallerais qu’une seule fois auparavant, en 1997, lors de l’ordination de l’abbé Frank Kurtz. Le sachant féru de droit canon, je lui avais alors posé quelques questions sur la nature « intrinsèquement perverse » de la nouvelle messe. Il avait bien voulu me consacrer une partie de son temps et m’avait brièvement exposé ses idées sur la question. Sa courtoisie et sa gentillesse m’avaient frappé, d’autant plus que je venais de lui voir célébrer la messe avec une précision et une sainteté telles que j’en avais rarement vu l’équivalent. J’ai exprimé le désir d’interviewer Monseigneur à Michael Matt, qui m’a autorisé à le « pourchasser ». Bien que je ne sois pas européen et que mon français et mon allemand soient, au mieux, très sommaires, j’ai fini par le trouver à Écône (il était 2 heures du matin en Californie alors quand on était au milieu de la matinée en Suisse ; j’étais donc fatigué, et de plus, mon français est exécrable), et il m’a permis de le rencontrer à Colton, où il devait se rendre pour des confirmations. J’ai enregistré personnellement l’interview, qui a duré environ quarante-cinq minutes. Monseigneur a vérifié le texte ci-dessous quant à la précision de la forme et du fond. Il en a approuvé la totalité aux fins de publication. Je préfère employer le titre « Your Lordship » (Monseigneur) que le titre plus contemporain « Your Excellency » (votre Excellence), et c’est pourquoi on retrouvera le premier partout dans le texte. S.H. : Monseigneur, l’agence Zenit a publié le 7 avril un texte contenant certaines déclarations des évêques français sur la fin de leur assemblée plénière : « La vérité nous impose d’exprimer clairement nos sujets de désaccord. Plus que sur des points de liturgie, ce désaccord porte sur l’acceptation du Magistère, en particulier celui du deuxième concile du Vatican et des papes des dernières décennies. La Communion peut s’accompagner de questions, de demandes de précision ou de réflexion complémentaire. Mais on ne saurait tolérer un rejet systématique du Concile, une critique de ses enseignements ou un dénigrement de la réforme liturgique décrétée par lui. » En outre, le site Internet AngelQueen.org a publié dernièrement une «interview exclusive» de Mgr Rifan, du diocèse de Campos. Dans le texte de cette interview, Mgr Rifan déclare (par l’intermédiaire d’un subordonné) que la communion dite essentiellement «pratique» et «effective» avec le rite romain est démontrée par la concélébration dans le Novus Ordo, et il cite à cet égard le canon 541. Que répondriez-vous à ces commentaires sur la «communion» en tant qu’évêque du rite romain reconnaissant la validité de l’élection de Benoît XVI ?
S.H. : Quelle est cette définition, Monseigneur ?
S.H. : Le Saint-Père a beaucoup travaillé sur ce concile en tant que théologien. Vous le connaissiez quand il était encore cardinal, en 1988, et je sais qu’à l’époque, vous aviez eu affaire à lui de très près dans le cadre des «négociations». Vous avez eu l’occasion de l’observer pendant plus d’un an (on fêtait il y a quelques jours le premier anniversaire de son élection) : y a-t-il eu un changement dans ses paroles, ses actions ou son ton depuis qu’il est devenu pape ?
S.H. : On a dit qu’il éprouvait une certaine culpabilité à propos de 1988, car extérieurement, il semble «combattre» pour la Fraternité. Pensez-vous que ce soit exact ?
S.H. : Donc, vous ne lui avez rien vu accomplir de concret, Monseigneur ?
S.H. : Au cours du récent consistoire, il a accru le poids électoral de l’Europe au détriment des autres parties du monde. On dit qu’il veut que l’Europe reprenne les rênes de l’Église. Mais l’Europe est infectée par la montée de l’islam. Nous sommes très mal placés, en Amérique, pour observer l’islam militant, car il n’y a chez nous qu’une très petite minorité de musulmans. Compte tenu des récentes émeutes et de l’article publié par Dici en février au sujet de la montée de l’islam en Europe, que pouvez-vous dire de l’état de l’Église en Europe ? Est-elle prête à « prendre les rênes » ?
S.H. : Diriez-vous que cette attitude est partagée par les évêques d’Allemagne, de France et de Suisse, qu’il n’y a pas de différence entre les pays ?
S.H. : Le « projet européen » de Benoît XVI se heurte donc à de nombreux obstacles. Vous avez dit qu’en son temps, vous aviez vu agir l’actuel Saint-Père en tant que négociateur. Mgr Fellay l’a présenté dernièrement comme très attaché au Concile. Quelles sont les principales idées de ce pape qui détonent avec la Tradition ?
S.H. : Et il veut être paralysé ?
S.H. : En ce qui concerne l’œcuménisme, on dit qu’il n’a pas été content d’Assise…
S.H. : N’a-t-il pas restreint l’indépendance dont jouissent les franciscains à la basilique (d’Assise) ?
S.H. : Lorsque j’ai eu Mgr Fellay au téléphone pour me faire préciser par ses soins ce qu’il avait déclaré à sa conférence de Denver, je lui ai dit que j’avais retranscrit ceci (n’ayant pas enregistré la conversation) : «Il (Benoît XVI) pense que la laïcité est le mode d’existence préféré dans la vision catholique de l’organisation sociale». Mgr Fellay m’a corrigé pour que j’écrive «est le seul mode d’existence…». N’est-on pas là en présence des «trois grands thèmes», à savoir la collégialité, l’œcuménisme et la liberté religieuse ? N’est-il pas entièrement acquis à ces idées ?
S.H. : Oui, et le Syllabus…
S.H. : Monseigneur, outre son éventuel sentiment de culpabilité par rapport à 1988, on dit que Benoît XVI se sent coupable vis-à-vis de Fatima. Vous-même et vos trois confrères dans l’épiscopat vous êtes rendus à Fatima pour y accomplir un acte de réparation… Que pouvez-vous dire du silence persistant au sujet de Fatima, qui remonte à l’époque du pape Pie XII ?
S.H. : J’ai quelques autres questions personnelles à vous poser. J’ai lu dernièrement votre biographie de Mgr Lefebvre. Vous l’avez très bien connu. Avez-vous eu des surprises en effectuant vos recherches pour écrire cet ouvrage ?
S.H. : Puisqu’ils percevaient la personnalité chrétienne de Mgr Lefebvre, comment ne comprenaient-ils pas ses conclusions chrétiennes ?
S.H. : On sait que c’est Mgr Lefebvre qui vous a consacré évêque. Et vous voici proche du dix-huitième anniversaire de votre consécration. Que pensiez-vous de l’épiscopat, ou plutôt à quoi ne vous attendiez-vous pas en juin 1988 ?
S.H. : Votre rôle d’évêque vous amène donc à voyager dans le monde entier pour visiter les fidèles. Que remarquez-vous de commun à nous autres, de la Tradition ?
S.H. : Monseigneur, le Chapitre général de la Fraternité, qui se tiendra cet été… Mgr : Ah, oui.
Mgr : Oui, il n’y a pas de restriction.
Mgr : Non, ce n’est pas normal. En fait, le plus normal serait que ce poste aille à un simple prêtre.
Mgr : Parce que c’est dans notre constitution, et parce que l’existence d’évêques au sein de notre Fraternité représente quelque chose d’extraordinaire, d’imprévu, parce qu’elle n’est pas normale. C’est pourquoi je pense qu’il serait très normal pour un simple prêtre d’être Supérieur général, et je serais prêt à lui obéir, à me soumettre à lui.
Mgr : Non. S.H. : Par conséquent, Mgr Fellay pourrait être réélu.
S.H. : Monseigneur, on ne vous entend guère ici, et c’est en grande partie pour cette raison que je souhaitais vous interviewer. Étant anglophones, nous entendons très souvent Mgr Williamson, et assez souvent Mgr Fellay, mais Mgr Alfonso de Galarreta ne parle pas l’anglais. Les trublions ne manquent pas : sur des sites Internet, principalement, ils citent des «sources intérieures» réputées anonymes qui, bien souvent, ne savent rien et cherchent à diviser la Fraternité en parlant d’un prétendu «schisme au sein de la Fraternité» pour le cas (probable selon elles) où Mgr Fellay conclurait un «marché» avec Rome. Ma question est la suivante : lorsque Mgr Fellay prend la parole ou fait une déclaration, peut-on dire qu’il le fait «au nom des évêque » de la Fraternité ?
S.H. : Donc, en tant qu’évêques, votre rôle principal consiste…
S.H. : En somme, s’il y avait une restauration au sein de l’Église, il n’y aurait plus besoin d’évêques de la Fraternité ?
S.H. : Monseigneur, The Angelus a reproduit dernièrement une étude du Père Pierre-Marie, O.P. concluant à la validité du nouveau rite de consécration des évêques, question importante puisque l’actuel Saint-Père est le premier pape à avoir été consacré évêque dans le nouveau rite. On trouve sur l’Internet des déclarations selon lesquelles Mgr Lefebvre doutait de la validité des nouveaux rites de consécration épiscopale…
S.H. : Alors, on n’a jamais mis en question, au sein de la Fraternité, la validité de tel ou tel nouveau sacrement ?
S.H. : Non ? Et à propos de l’épiscopat ?
S.H. : Je pense avoir une autre question à vous poser : où la Fraternité croît-elle le plus vite dans le monde ?
S.H. : Eh bien, j’en ai fini avec mes questions, Monseigneur. Mais en écrivant cela, je tiens à m’assurer que je vous cite fidèlement ; c’est pourquoi je vous en communiquerai une transcription avant que vous ne vous rendiez à Veneta…
S.H. : Qu’y a-t-il d’autre, Monseigneur ?
S.H. : Lorsque vous dites «a professé», voulez-vous dire qu’il le fait encore ?
S.H. : Mais, Monseigneur, s’il ne les a pas rétractées, y souscrit-il toujours ? De quoi parlez-vous ? Pouvez-vous être plus précis ? Je dois reconnaître que je ne suis pas théologien et que je n’ai lu aucun de ses ouvrages. Voulez-vous parler de l’époque où il était cardinal ?
S.H. : Monseigneur, j’ai besoin que vous soyez plus précis, afin que nous puissions approfondir la question.
S.H. : Dans quel sens, Monseigneur ?
S.H. : Je ne suis pas certain de comprendre…
S.H. : On dirait du Luther.
S.H. : Monseigneur, je dois reprendre cette question au début : voulez-vous dire que Benoît XVI est un hérétique ?
S.H. : Eh bien, dans ce cas, que diriez-vous, Monseigneur ? Diriez-vous qu’il est «suspect», «discutable», «favorable à l’hérésie» ?
S.H. : Quelles autres hérésies a-t-il émises, Monseigneur ?
S.H. : Ce ne peut être vrai…
S.H. : Cette herméneutique est connue aussi sous l’appellation «tradition vivante»… Elle consiste à interpréter les doctrines existantes sous de nouveaux éclairages…
S.H. : Ce sont là de très fortes paroles, Monseigneur ; pourtant, la Fraternité n’est pas sédévacantiste…
S.H. : Mais ce sont de fortes paroles…
S.H. : Monseigneur… Je dois souligner que l’article que je suis en train d’écrire est largement diffusé dans le monde anglophone… Sont-ce là les mots que vous souhaitez employer ?
S.H. : Bien, alors j’aimerais savoir ce que Mgr Lefebvre pensait de lui lorsqu’il était le Cardinal Ratzinger ?
S.H. : Ce thème de discussion que vous avez introduit, Monseigneur, nous ramène au Protocole de 1988, dont l’une des points dit que la Fraternité interprétera le Concile «à la lumière de la Tradition». Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
S.H. : Alors, que dire ? Que le Concile doit être revu, entièrement révisé ?
S.H. : Vous diriez donc que la Fraternité lit le Concile à la lumière de la «nouvelle philosophie» ?
S.H. : Et, par conséquent, le rejette ?
S.H. : L’idéalisme ?
S.H. : Alors, si vous dites que la bonne manière d’interpréter le Concile est de le faire à la lumière de la «nouvelle philosophie », comment l’Église doit-elle traiter ce concile ?
S.H. : Je vous relis mes dernières notes : L’Église doit effacer ce concile, ne plus en parler, l’oublier.
S.H. : Monseigneur, ce fut un grand plaisir, à la fois intéressant et surprenant.
Voilà donc ce qu’il en est. Ce sont là quelques-unes des paroles les plus fortes que j’aie jamais entendues d’un évêque de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Je n’ai aucun commentaire à y ajouter, si ce n’est que Monseigneur Tissier de Mallerais s’est exprimé avec beaucoup de calme et de clarté, et il m’a semblé intéressant qu’il m’eût empêché de mettre fin à l’interview parce que selon lui, il y avait des questions importantes que je n’avais pas posées. Je me félicite de l’occasion que Michael Matt m’a donnée de conduire cette interview. J’ai parlé du fond de l’interview avec le Dr Tom Droleskey, qui a étudié de son côté certains écrits de l’abbé Ratzinger, futur Benoît XVI, et qui m’a communiqué cette citation supplémentaire de l’intéressé : « La dévotion eucharistique que l’on remarque dans la visite silencieuse du fidèle à l’église ne doit pas être perçue comme une conversation avec Dieu. Cela signifierait, en effet, que Dieu est présent à cet endroit et de manière confinée. Justifier une telle assertion dénote un manque de compréhension des mystères christologiques liés à la notion même de Dieu. Cela répugne à la pensée sérieuse de l’homme qui connaît l’omniprésence de Dieu. Aller à l’église au motif qu’on peut y rendre visite à Dieu qui y est présent est un acte insensé que l’homme moderne rejette à juste titre». (Die Sakramentale Begrundung Christlicher Existenz 1966, Kyrios Publishing, Freising-Meitingen-Germany). |
[NDTN: Texte allemand écrit par celui qui était alors l'abbé Ratzinger]"Eucharistische Anbetung oder stille Besuchung in der Kirche kann sinnvollerweise nicht einfach Unterhaltung mit dem lokal zirkumskriptiv präsent gedachten Gott sein. Aussagen wie "Hier wohnt Gott" und das auf solche Weise begründete Gespräch mit dem lokal gedachten Gott drücken eine Verkennung des christologischen Geheimnisses wie des Gottesbegriffes aus, die den denkenden und um die Allgegenwart Gottes wissenden Menschen notwendig abstößt. Wenn man das In-die-Kirche-Gehen damit begründen wollte, daß man den nur dort anwesenden Gott besuchen müsse, so wäre dies in der Tat eine Begründung, die keinen Sinn hätte und vom modernen Menschen mit Recht zurückgewiesen werden würde. Eucharistische Anbetung ist in Wahrheit bezogen auf den Herrn, der durch sein geschichtliches Leben und Leiden "Brot" für uns geworden ist, d.h. der durch seine Fleischwerdung und Todeshingabe der für uns Offene geworden ist." |