Nouvelles de Chrétienté n° III, Mai - juin 2008 - Entretien exclusif avec Mgr Bernard Fellay Le bilan du Motu Proprio sur la messe traditionnelle
Monseigneur, un an après la promulgation du Motu Proprio Summorum Pontificum peut-on établir un bilan ?
Mgr Fellay : Le Motu Proprio, dans le contexte actuel, est un geste qui relève du miracle et pour lequel le pape a droit à toute notre reconnaissance. On doit le considérer comme une étape importante, mais pas comme la conclusion de la crise que nous connaissons depuis plusieurs décennies. Je dirais même que c'est une étape qui soulève des problèmes nouveaux, parce que ce document modifie la configuration générale dans laquelle se trouve l'Eglise depuis l'après-concile.
Au fond, l'essentiel du Motu Proprio est dans ces deux mots « numquam abrogatam », la messe tridentine n'a jamais été abrogée. Le but de ce document, qui est un document législatif, est manifestement de faire entrer à nouveau dans la pratique de l'Eglise l'usage de la messe traditionnelle. Il se présente comme une révision des textes précédents qui traitaient de cette question, les induits de 1983 et 1988. Or un induit est une loi particulière, une privata lex qui accorde un privilège, qui consent une exception par rapport à la loi commune. La plupart du temps cette exception est liée à des conditions. Et les deux induits exprimaient très fortement les conditions requises: reconnaissance du concile et de la nouvelle messe, sans parler des autres conditions rajoutées arbitrairement par les évêques. Eh bien ! aucune condition ne se trouve dans le Motu Proprio.
Vous allez me dire : « Oui, maison parle de reconnaître la sainteté de la Messe ». Cela n'est pas dans le document lui-même, mais dans la lettre qui l'accompagne. Le fait qu'il y ait deux documents oblige à distinguer leur valeur. Si le pape voulait donner la même valeur à tout, s'il fallait comprendre le Motu Proprio à la lumière de la lettre d'accompagnement, il n'aurait fait qu'un seul document.
Ce Motu Proprio est un acte législatif tout à fait unique dans l'histoire de l'Eglise, et c'est pourquoi il soulève des problèmes nouveaux qui vont compliquer la situation pour les autorités romaines. En effet, déclarer que la messe traditionnelle n'a pas été abrogée, c'est reconnaître son état antérieur: celui d'une loi universelle. Cette messe est et a toujours été la messe de l'Eglise. Le problème, c'est que depuis, les autorités romaines ont fait une nouvelle messe, et donc une nouvelle loi universelle. D'une manière habituelle, quand le législateur fait une nouvelle loi, cette loi supprime la précédente. Prenons un exemple simple: si un législateur décide qu'on conduit à gauche, et si un autre législateur décide ensuite qu'on conduit à droite, à la promulgation de la deuxième loi, on oublie la première.
Or on n'avait jamais vu, dans toute l'histoire de l'Eglise, une telle révision de la lex orandi comme celle qui s'est faite par la révolution liturgique d'après le Concile Vatican II Et c'est dans ce contexte que le pape affirme que la première loi n'a pas été abrogée. C'est comme si l'on disait qu'il était possible de conduire à droite et à gauche. C'est pourquoi la première partie du Motu Proprio essaie d'expliquer sinon de justifier une telle situation, à savoir l'existence de deux lois universelles portant sur un même objet. Et c'est ainsi qu'on nous dit qu'il y a deux formes d'une seule messe, une forme ordinaire et une forme extraordinaire.
Mais cette explication est fabriquée pour des raisons politiques évidentes. En réalité, cela ne tient pas debout. C'est inacceptable, car cela heurte de plein fouet l'évidence des faits. Cependant cette mise sur un pied d'égalité des deux messes a suscité des critiques de la part des traditionalistes
A juste titre, car elle est inacceptable. Mais il me semble que c'est plus une conséquence qu'un principe. Le Motu Proprio n'a pas pour but d'affirmer que les deux messes n'en sont qu'une, selon une forme ordinaire et une forme extraordinaire. Non ! le but de ce document est de poser un acte législatif qui réintroduit dans la vie de l'Eglise l'ancienne messe. Et c'est un pas. La question est de savoir : un pas dans quelle direction ? Nous espérons que ce soit la bonne !
Il faut noter que nulle part dans le document lui-même vous ne trouvez le mot interdit. Nulle part, il est donné, soit au curé, soit à l'évêque. le droit d'interdire cette messe. Chaque fois les termes utilisés sont plutôt « accorder volontiers », « accueillir favorablement la demande ». Ce sont toujours des ouvertures en faveur de l'ancienne messe. Et s'il y a un problème, il faut en référer à l'autorité supérieure qui devra chercher une solution. On va examiner les choses pour résoudre les problèmes. Il y a là vraiment une volonté du pape d'un retour de la liturgie traditionnelle dans l'Eglise. Mais ce retour n'est pas complet, il n'est pas exclusif, et il pose des problèmes.
Cependant, reconnaissez que quand vous voyez quelqu'un qui s'est cassé la jambe et qui pose pour la première fois le pied par terre, après s'être débarrassé de son plâtre, vous saluez ce premier pas. Personne n'exigerait de ce malade qu'il galope comme un bien portant. On applaudira à ce premier pas, même s'il est boiteux, et on attendra mieux pour après. Le Motu Proprio n'est pas le miracle du paralytique qui est guéri en un instant, et qui commence à gambader avec son grabat sur le dos. Cet acte juridique est pour le moins claudiquant, mais c'est un pas. On a redonné sa place à la messe de toujours, place qu'elle n'avait plus depuis 40 ans. Voilà pourquoi on peut vraiment se réjouir. |