28 juin 2007





Le retour de la messe en latin ou quand l’Eglise tourne le dos à Vatican II
28 juin 2007 - Christian Terras - Golias
Le pape a donc décidé, après plusieurs mois de réflexion, de promulguer son motu proprio, un document pour la « libéralisation » de la liturgie romaine. Le contenu du document concerne la « libéralisation » totale du rite tridentin - selon les rubriques de 1962 - le mettant sur le même plan que le rite conciliaire (« protestant » pour les traditionalistes) : la « nouvelle » liturgie sera définie « rite ordinaire » alors que celle traditionaliste sera définie « rite extraordinaire », sans aucune limitation par quelque prêtre catholique que ce soit. Dans le décret (déjà signé par Benoît XVI en septembre dernier mais en attente à cause notamment du « trouble » des évêques de France), le pape exprime - entre autres - le désir que les églises principales célèbrent au moins une messe tridentine dominicale. Une décision d’importance donc qui confirme que la réintégration des disciples « historiques » de Mgr Lefebvre (les abbés Laguérie et Aulagnier dans le cadre de l’Institut du Bon Pasteur) n’est que le signe avant coureur d’un ralliement général à venir de l’ensemble de la famille intégriste. Le cardinal Castrillon de Hoyos qui a en charge le dossier des négociations avec la Fraternité St Pie X ne vient-il pas de rappeler que les discussions continuent et qu’il espère les voir déboucher à moyen terme sur un véritable accord. Mais au fait quel est le diagnostic des tenants d’un retour à la liturgie ancienne ? La volonté restauratrice dans le domaine liturgique s’appuie en réalité sur la conviction que le déclin de la pratique et la poussée de sécularisme tiendraient en bonne part, sinon essentiellement, à la mutation trop rapide, pour certains, une “dévastation”, de la liturgie catholique. Cette thèse a été amplement développée, même si c’est avec des variantes considérables, à la fois par les intégristes de Mgr Lefebvre, par des liturgistes comme Mgr Klaus Gamber (dont le cardinal Ratzinger a été proche de certains points de vue) et par certains représentants du catholicisme le plus conservateur, comme jadis le cardinal Giuseppe Siri.
Les traditionalistes espèrent donc qu’une restauration conservatrice en liturgie suscitera l’effet inverse. Les gens retrouvant le chemin de leur paroisse, ils misent sur la force d’attraction d’une sacralité à l’ancienne. A notre avis, il y a là une grave erreur de perspective. Sans doute, la mutation interne de l’Eglise et surtout du culte a pu surprendre et troubler. On connaît la réaction du Président Georges Pompidou qui déplorait cette évolution. Mais le maintien figé d’une liturgie d’un autre âge aurait accéléré encore, plus globalement, le processus de sécularisation. Quel que soit le jugement porté sur la réforme liturgique au plan esthétique ou historique, force est de constater qu’elle aura certainement limité l’hémorragie. En effet, comme se plaît à le souligner le cérémoniaire (en sursis) du Pape, Mgr Piero Marini, sans cette réforme les grandes messes très populaires de Jean Paul II, surtout hors de Rome, n’auraient pas été possibles. Remplacer Madonna par Chopin dans des discothèques contribuerait plus à les vider qu’à les remplir. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne puisse pas et ne doive pas y avoir aussi des salles de concerts. Néanmoins, une liturgie élitiste (en latin) ne mobiliserait pas un nombre important de fidèles et en revanche en ferait fuir beaucoup d’autres. De plus, les partisans d’une restauration liturgique semblent ignorer ce que des spécialistes comme Dom Nocent, Mgr Martimort, Dom Vaggagini, Mgr Magrassi et même un historien du culte aussi peu suspect de progressisme que Dom Oury, moine de Solesmes, n’ont cessé d’établir : la messe actuelle est plus authentiquement traditionnelle que l’ancienne.
Enfin, et nous touchons là le point fondamental, névralgique il est vrai, la cause de la baisse de la pratique tient d’abord à une évolution de la société et des moeurs, au fond quelle que soit la liturgie en vigueur. Célébrer en français n’a certainement pas endigué un déclin de la pratique qui correspondait finalement au passage d’un monde à un autre. Revenir aujourd’hui à une liturgie confinée et incompréhensible ne ferait en revanche qu’accélérer un processus plus large, plus englobant. Au fond, nos critiques acharnés de la réforme liturgique n’ont semble-t-il pas vu que l’Eglise vivait dans une époque donnée et ne pouvait en faire abstraction. A moins de préférer devenir une réserve de personnages anachroniques, un conservatoire de pierres tombales en marbre, tentations qu’en deux mille ans de christianisme l’Eglise aura toujours surmontée.