SOURCE - Yves Delahaie - Le Plus du Nouvel Observateur - 19 novembre 2012
Ce week-end, deux manifestations ont eu lieu contre le mariage et l'adoption par les couples homosexuels. La plus violente a été celle de l'organisation Civitas dimanche. Étant donné les discours homophobes qui étaient entendus sur place, ces manifestations auraient dû être interdites par les autorités, selon Yves Delahaie, auteur de "La croix et la bannière"
La quête de Civitas et d’Alain Escada aura été un naufrage.
L’institut intégriste se revendiquant de la Fraternité Pie X avait prévu
de longue date sa manifestation du 18 novembre. Voilà plusieurs
semaines que la date avait été choisie pour marquer les esprits.
Alain Escada a longtemps cru, dans cette lignée, que Civitas allait
être la tête de file des opposants au projet de loi ouvrant le mariage
et l’adoption aux homosexuels. Dès juin dernier, il avait tenu à faire
la tournée des médias, martelant son discours, de "Revu & corrigé" sur France 5, jusqu'à France Culture en passant par la LCP.
Incontournable dès qu’il fallait décliner les arguments pour s’opposer
au projet de loi, il avait cru que le lièvre allait l’emporter.
Quelques mois sont passés et la manifestation de dimanche montre
bien, au contraire, qu'il a lamentablement échoué dans son entreprise.
Samedi, la manifestion organisée par Frigide Barjot avait réuni entre 70.000 et 200.000 personnes dans les rues parisiennes quand celle de Civitas ne parvint à n’en rassembler que 9000 à 18.000. À peine l’écho de la veille.
Des manifestations indignes de la République
Pire la manifestation fut marquée par un affrontement violent entre les Femen – venues s’opposer à leur message – et
le service d'ordre de Civitas, qui ne rassemble vraisemblablement pas
que des enfants de choeur, ces derniers n’hésitant pas à en venir aux
mains et aux pieds avec frénésie, face à des contre-manifestantes sans
d’autres défenses que leur message.
Certains auront le bon goût d’affirmer que les contre-manifestations
n’étaient pas autorisées. Pour autant, il eut fallu que les
organisateurs s'en référent aux autorités pour faire valoir ce qu'il
considérait leur bon droit. Il semblerait pourtant que les intégristes
catholiques croient davantage à la justice des coups qu'à celle de la
République.
Et comment expliquer par ailleurs que Caroline Fourest,
venue caméra au poing faire son travail de journaliste, fut elle aussi
prise à partie, "tabassée" pour reprendre ses termes, avant de l’être à
nouveau sitôt son visage reconnu ? De tels agissements sont indignes
d’un débat républicain. On peut ne pas être d’accord avec le message de
la manifestation de samedi, mais au moins fit-elle l’économie d’une
telle débauche de violence.
Un défilé dimanche – et qui s’en surprendra – qui a vu la
participation d’élus du Front national, comme Marie-Christine Arnautu,
vice-présidente du parti, Alexandre Simonnot, Cyril Bozonnet, Jean-Marc
de Lacoste-Reymondie, Gonzague Malherbe ancien candidat à la législative
de la 12e circonscription de Gironde ainsi que quelques militants FNJ
franciliens, selon le blog "droite(s)-extrême(s)" hébergé
par "Le Monde". Une présence qui montre encore une fois qu'au Front
National, la laïcité s’arrête là où commence la chrétienté. Tartuffe
chez les laïques.
Et comme la famille ne pouvait se réunir qu'en étant au complet, Abel
Mestre et Caroline Monnot notent la présence remarquée de l'Action
Française, du Mouvement national républicain (MNR, ex formation de Bruno
Mégret), du Parti de la France de Carl Lang, du Renouveau Français, de
la Renaissance catholique, de l'Alliance Royaliste ou encore de quelques
militants du GUD. Allez savoir pourquoi l’affaire tourna à l’émeute…
La vraie question est de savoir pourquoi le défilé a été maintenu par
la préfecture, compte tenu des risques potentiels engendrés par ceux
qui ont appelé à marcher aux côtés de Civitas. Pour les mêmes risques
potentiels, il avait été décidé d’interdire la manifestation contre un film anti-islam et la une de Charlie Hebdo il y a peu. Pourquoi autoriser alors celle-ci, alors que les risques étaient aussi grands ?
En arriverait-on à croire que les intégristes catholiques sont moins dangereux que leurs homologues musulmans ? A-t-on oublié l’incendie du cinéma Saint-Michel
lors de la sortie de "La Dernière Tentation du Christ", qui fit un mort
? A-t-on omis que les manifestants qui avaient été arrêtés suite à la
perturbation de la représentation de Golgota Picnic il y a un an avaient
pour certains des couteaux sur eux ?
Un discours haineux
Mais, au-delà de ce manque d’anticipation, Civitas avait, depuis
longtemps, réuni suffisamment de discours haineux pour que la
manifestation dût être annulée. Ce week-end, en préparation de la
manifestation, Alain Escada avait affirmé que
l’homosexualité était un "mauvais penchant qui nécessite d'être corrigé
et une personne qui a de tels penchants devrait être abstinente".
De la même manière, depuis des semaines, il refuse de parler de
couples homosexuels mais évoque des "duos". Civitas avait aussi édité
des juin des autocollants injurieux avec un usage douteux du
démonstratif composé.
À la Madeleine, dans la périphérie lilloise, il avait tenu une
réunion publique le 18 octobre dernier, évoquant "un droit qui déroge à
la norme humaine", "des exigences contraires au simple bon sens" qui
"défigureraient la nature de la famille", des "individus homosexuels" et
leur "comportement déviant"…
Autre temps car, depuis 2004, la République française condamne les propos homophobes. Najat Vallaut-Belkacem a donc raison de condamner le dérapage du message de Civitas, "Non
à l’homofolie". Ou encore d’exprimer sa consternation après les
événements de dimanche tout comme le premier secrétaire du PS.
Mais il ne faut se contenter d’être choqué quand on voit à ce point
bafouées les lois françaises. Ce débat est suffisamment complexe pour ne
pas laisser les homophobes peser de tout leur poids. La loi contre
l’homophobie existe et elle doit s’appliquer. Avec fermeté. Alain Escada
doit être poursuivi pour ses propos. Et la manifestation de dimanche
aurait dû être interdite.
Puisse toute nouvelle initiative être avortée. Sans la moindre clause de conscience.