SOURCE - Christian Terras - Bérénice Rocfort-Giovanni - Le Nouvel Observateur - 10 janvier 2013
Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique "Golias", décrypte la stratégie de lobbying du mouvement intégriste.
Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique "Golias", décrypte la stratégie de lobbying du mouvement intégriste.
Pourquoi les membres de Civitas s’opposent-ils si violemment au mariage pour tous ?
- Ils surfent sur la vague de rejet pour incarner, parmi les anti-mariage gay,
une figure emblématique et radicale. Ils craignent que la porte s'ouvre
ensuite à une législation plus favorable pour les homosexuels, pourquoi
pas même à une Halde (Haute autorité pour la lutte contre les
discriminations et pour l’égalité) spécifique. Leur combat est purement
homophobe. Dans cette affaire, Civitas n’est que le bras armé, séculier,
de la Fraternité Saint-Pie X.
Quel est le profil des adhérents ?
- Civitas, c'est à la fois un public âgé, proche de la Fraternité
Saint-Pie, X et beaucoup de jeunes cathos intransigeants. L'institut ne
compte même pas 10.000 personnes, mais derrière lui, il y a la
Fraternité et ses 80.000 membres et 200 prêtres.
Civitas persiste pourtant à nier tout lien avec ce groupe….
- Par peur de passer pour des intégristes religieux ! Civitas espère
ratisser large en se "laïcisant". Mais ses racines se trouvent dans la
Cité catholique, fondée par Jean Ousset, avec d’autres partisans du
Maréchal Pétain. A l’époque déjà, ils défendaient la chrétienté en
Indochine et en Algérie. Aujourd’hui encore, Civitas est dans une
logique de reconquête. Leur vision est théocratique, pas démocratique.
Ils veulent une Eglise au cœur du pouvoir. C'est une stratégie à double
détente. En s’opposant au mariage pour tous, l’Institut envoie un signal
fort au pape : "par rapport aux catholiques qui ne s’engagent pas, nous
incarnons les vrais combattants de l’Eglise, qui défendent la Foi".
Ainsi, la Fraternité Saint-Pie X donne des gages en vue de sa
réintégration au sein de l’Eglise. La discussion est en panne, mais pas
fermée. Le Vatican a montré des signes d’ouverture envers la Fraternité.
En janvier 2009, des excommunications ont été levées. De plus, la
stratégie de lobbying donne des résultats. Plusieurs directeurs de musée
se censurent désormais, de crainte d’exposer des œuvres qui pourraient
choquer les plus traditionnalistes. Et Civitas a reçu l’appui de 56
députés, qui dénoncent, comme eux "la christianophobie". Ils ont réussi à
faire passer ce mot en contrepoint de l’islamophobie.
Quel rôle joue son président, le Belge Alain Escada, dans ce travail de lobbying ?
- Il a un grand savoir-faire en matière de communication et de mise
en scène. La Fraternité Saint-Pie X l'a repéré pour ces qualités. C’est
l’homme providentiel qui permet d’articuler sur le plan sociétal leur
vision théocratique.
Quels rapports entretient l’institut avec l’extrême droite ?
- Il y a une distanciation officielle entre le Front national
et Civitas, alors que les convergences sont évidentes. Marine Le Pen
est très en retrait sur le sujet du mariage gay, mais elle envoie ses
délégués, tel Thibault de la Tocnaye, en première ligne pour s’y
opposer. Comme Civitas, elle craint de s’embarquer dans un radicalisme
qui la gênerait Quant au Bloc identitaire, de nombreux jeunes assurant
le service d’ordre de Civitas en font partie, bien que l’institut s’en
défende. Mais Civitas reste plus proche du FN. Le programme des
candidats que Civitas veut présenter aux élections municipales de 2014
est d’ailleurs très proche de celui du parti d’extrême droite.
Propos recueillis par Bérénice Rocfort-Giovanni le 8 janvier 2013