«Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel Romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l’auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d’interdiction le rite millénaire de l’Église catholique, canonisé par le Concile de Trente. L’obéissance à Dieu et à l’Église serait de résister à un tel abus de pouvoir, s’il s’était effectivement produit, et non pas de le subir en silence. Très Saint-Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de la messe traditionnelle, il n’importe. L’important est que vous, qui pouvez nous la rendre, nous la rendiez. Nous vous la réclamons».(Jean Madiran, Lettre à Paul VI, 27 octobre 1972)
«La messe traditionnelle, désormais, est en voie de retrouver sa place dans une Église profondément tourmentée. Elle l’aura reprise vraiment quand nos évêques, successeurs légitimes des apôtres, la célébreront non point parce qu’elle leur aura été imposée, mais de bon cœur, parce qu’ils se seront mis à l’aimer et qu’ils lui rendront spontanément sa primauté d’honneur».(Jean Madiran, Présent, 21 juillet 2007)
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Nous terminons cette semaine l’hommage que nous avons voulu rendre à Jean Madiran, rappelé à Dieu l’été dernier. Après l’Écriture (lettre 412) et le Catéchisme (lettre 416), c’est à la situation de la Messe que nous nous intéressons, quarante-deux ans après le fameux appel de Jean Madiran à Paul VI et sept ans après le Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI.
I – 7 JUILLET 2007 : LE JOUR OÙ BENOÎT XVI A DONNÉ RAISON À JEAN MADIRAN
« La crise de la messe, essentiellement, consiste en ceci que depuis 1969, par toutes sortes de machinations administratives et de décrets en trompe-l’œil, on veut faire croire au clergé et au peuple chrétien que la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel Romain de saint Pie V est désormais une messe interdite ». Ces paroles de Jean Madiran, qui servaient d’introduction à un dossier d’Itinéraires sur l’état de la messe au lendemain de la réforme liturgique, datent de novembre 1972.
À la différence d’autres figures laïques de sa génération – entre autres Louis Salleron (1905-1989) ou Cristina Campo (1923-1977), la femme de lettres italienne à l’origine du Bref Examen critique des cardinaux Bacci et Ottaviani –, la Providence voulut toutefois que Jean Madiran finisse par assister à la réhabilitation de la messe traditionnelle par Benoît XVI. Car en dépit des ouvertures de 1984 et 1988 (Lettre circulaire Quattuor abhinc annos, dite indult, puis Motu Proprio Ecclesia Dei de Jean-Paul II), il aura en effet fallu attendre le 7 juillet 2007 pour qu’un pape mette enfin un terme au mensonge de tant de clercs de tous rangs quant à l’interdiction de la messe traditionnelle.
Dans sa série d’articles consécutifs au Motu Proprio Summorum Pontificum, publiés par Présent en juillet 2007, Jean Madiran n’a pas manqué de rendre justice à Benoît XVI pour avoir, en deux mots sonnant « comme le simple rappel d’une évidence ne faisant pas problème », réglé « le sort de l’interdiction odieuse qui, depuis trente-sept ans, prétendait frapper la messe traditionnelle ». Ces deux mots :Numquam abrogatam [jamais abrogée : editionem Missalis Romani anno 1962 promulgatam], figurent dans l’article 1 du Motu Proprio.
La gratitude de Madiran envers Benoît XVI ne l’a pas empêché, le 23 juillet 2010, toujours dans Présent, de revenir sur les conséquences morales de ce qu’il n’hésitait pas à qualifier de « crime » : « L’interdiction criminelle a été officiellement reconnue comme invalide par Benoît XVI, sans expliquer en quoi le crime a consisté. Cette discrétion était pour permettre de tourner pacifiquement la page. Mais les responsables du crime et leurs héritiers n’ont pas désarmé. Ils ont poursuivi leur persécution des prêtres et des laïcs fidèles à la messe catholique traditionnelle. Ils ont réussi à faire qu’aujourd’hui la majorité des fidèles et des prêtres ayant moins de quarante-cinq ans n’ont jamais vu une messe traditionnelle et ne savent même pas de quoi il s’agit. La plupart des évêques et des prêtres ont été, à un degré plus ou moins grand, responsables d’une telle situation. Ils ne se sont jamais entendu dire publiquement que cette situation est le résultat épouvantable d’un crime, le leur. Cette impunité morale est devenue trop nuisible, elle doit cesser ».
Comme ces lignes l’illustrent, Jean Madiran n’a jamais hésité à mettre les responsables de la crise de l’Église – dont Benoît XVI rappelait à la Curie romaine le 22 décembre 2011 qu’elle était avant tout « crise de la foi » – devant leurs responsabilités. Durant près d’un demi-siècle, par la clarté et le courage de ses analyses, Jean Madiran a évité à bien des fidèles et à bien des prêtres de sombrer dans le découragement. En montrant, « par son exemple intellectuel, que l’espace pour la résistance catholique aux ordres injustes est vaste et légitime » – comme l’écrivait le professeur Roberto De Mattei le 15 août 2013 dans le quotidien Il Foglio –, Madiran a contribué à éviter que « les fumées de Satan », dénoncées par Paul VI le 29 juin 1972, n’emportent trop d’âmes secouées par l’agitation postconciliaire. Que le Seigneur fasse goûter à cet inébranlable soldat de la foi ses éternelles récompenses !
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Merci Très Saint-Père ! Merci à Benoît XVI d’avoir entendu l’appel de Jean Madiran et de nous avoir rendu la Messe. Merci pour votre geste non seulement de justice et de réconciliation mais aussi d’avenir, car il rend à l’Église la compréhension de sa lex credendi.
2) Montrez-leur l’exemple, Très Saint-Père ! Pape François, précisément parce que votre sensibilité liturgique n’est pas la même que celle de votre prédécesseur et que nul ne saurait vous taxer d’être « rétrograde » ou « nostalgique », vous pouvez, plus librement que Benoît XVI, clore définitivement le chapitre douloureux de plus de 40 ans d’interdiction mensongère en célébrant tout simplement vous-même la forme extraordinaire du rite romain, ou en présidant à sa célébration, ce qui montrerait l’exemple aux évêques et aux curés de paroisse encore hésitants devant ce moyen de rétablir la paix indispensable et l'Unité visible et nécessaire.
3) Pourquoi cette invitation ? Parce que, de fait, l’interdiction subsiste encore dans les esprits de certains et donc, ici et là, dans la réalité diocésaine ou paroissiale. Certes, les fidèles qui assistent à la messe traditionnelle ne sont pas (pour l’instant) les foules immenses des JMJ ou de grands rassemblements. Mais l’unité de l’Église se déchire et se recoud dans le détail. Le Pape est le garant de l’unité de l’Église et lui seul peut faire que celle-ci s’établisse enfin durablement. Pour cela, un acte de charité paternelle confirmerait la « normalité » de la célébration de la forme extraordinaire du rite romain dont avait parlé le cardinal Cañizares, préfet du Culte divin lors du pèlerinage Summorum Pontificum 2012.
4) Entre bien d’autres exemples d’injustices ordinaires et, on peut le dire, mesquines, celui-ci dont nous venons d’être informés : dans la vallée de Montmorency, une célébration mensuelle, assurée par le curé, se déroule dans la paroisse du Plessis-Bouchard depuis fin 2012. Mais, peu à peu, cette messe a été ostracisée par le groupe de laïcs qui « tient » la paroisse et qui bloque toute publicité en faveur de cette messe, au point que le curé lui-même n’ose plus l’annoncer à ses fidèles et que les demandeurs refusent de s’exprimer sur cette situation ahurissante. Ce que nous savons, c’est que la messe peine à se développer de par ce climat hostile, alors même que certains fidèles ont constitué une chorale grégorienne qui ne demanderait qu’à participer à la vie liturgique de la paroisse. Au lieu d’une célébration vivante et paisible, une célébration en catimini : un gâchis hélas ordinaire, qui donne parfaitement raison au pape François lorsqu’il met en garde les paroisses – au paragraphe 28 d’Evangelii Gaudium – contre le risque de se replier sur quelques « élus qui se regardent eux-mêmes » et oublient qu’ils appartiennent à « une communauté de communautés ».
5) À ceux qui, comme au Plessis-Bouchard, tentent à nouveau d’interdire la messe traditionnelle, nous dédions ces simples phrases, adaptées de la réaction que Jean Madiran avait eue dans Itinéraires au sujet de l’indult de 1984 : « La messe survivra. Vous ne l’avez pas tuée. Vous ne le pouvez pas, vous ne le pourrez pas. En dépit de vos manœuvres, la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel Romain de saint Pie V est toujours célébrée à travers le monde. Et elle le sera de plus en plus ».
6) Summorum Pontificum a, dans le principe, d’autant plus « normalisé » la messe traditionnelle qu’il a laissé au curé, responsable ordinaire de la liturgie de sa paroisse, le soin d’organiser la célébration qui lui est demandée par un coetus de fidèles (Art. 5, § 1). La requête à Paul VI de Jean Madiran, via le texte de 2007, s’adresse désormais aux curés de paroisse : « Messieurs les Curés, rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel Romain de saint Pie V ».
Annexes
LA BIENVEILLANCE DU PAPE
Jean Madiran, Présent du 12 juillet 2007
L’INTERDICTION FANTÔME
Jean Madiran, Présent du 13 juillet 2007
ET L’AUTRE MISSEL ?
Jean Madiran, Présent, 14 juillet 2007