SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 421 du 7 janvier 2014
C’est avec la béatitude de la paix du Discours sur la Montagne : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Matthieu 5, 9), que Paix liturgique présente à tous ses vœux d’année sainte, heureuse, fructueuse en bonnes œuvres pour le Royaume de Dieu.
C’est avec la béatitude de la paix du Discours sur la Montagne : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Matthieu 5, 9), que Paix liturgique présente à tous ses vœux d’année sainte, heureuse, fructueuse en bonnes œuvres pour le Royaume de Dieu.
La septième béatitude enseigne à faire la paix. La paix liturgique paraît cependant bien étrangère à notre catholicisme contemporain. Il est certain que les débats liturgiques ont toujours fourni dans l’histoire, en Orient comme en Occident, des occasions de confrontations parfois très acerbes. Celles qui s'expriment depuis plus de quarante ans dans l’aire du rite romain le montrent amplement. Certes, les combats au sujet de la lex credendi comme ceux au sujet de la lex orandi comportent de tels enjeux qu’il est légitime de les soutenir avec vigueur : les justes causes doivent être défendues avec une force intrépide, celle nécessaire aux choses du Royaume de Dieu (Matthieu 11, 12). La paix s’acquiert d'ailleurs, parfois, par des paroles qui semblent dures : « Qui réprimande en face fait la paix », dit le livre des Proverbes (Pr 10, 10).
Mais cela n’exclut pas la charité véritable, l’attention et la sollicitude pour autrui, bien au contraire. Qui défend la vérité, œuvre par définition pour la paix que celle-ci apporte. Il doit le faire avec les moyens adéquats, proportionnés au but poursuivi, qui sont des moyens de vérité et de paix.
Il est vrai que les défenseurs de la liturgie traditionnelle ont pu parfois l’oublier. Mais si cela a été le cas, on doit reconnaître qu’ils étaient souvent en position de victimes et jamais en « position dominante ». La défense de la paix commune, de la charité réciproque et, plus globalement, du bien commun qui est toujours le bien de la paix, relève d’abord du devoir des pasteurs et des chefs. On ne le dira jamais assez : la paix dans l’Église, spécialement la paix liturgique, est d’abord l’œuvre des pasteurs.
1°/ LA PAIX DOCTRINALE
La « guerre » touche assurément à des questions théologiques de fond. Dès avant la publication du nouvelOrdo Missae, des critiques sur des points tout à fait essentiels lui ont été adressées par le Bref Examen critique présenté à Paul VI le 21 octobre 1969 par les cardinaux Ottaviani et Bacci. Depuis lors les discussions sur le contenu de la nouvelle liturgie, spécialement celui de la messe, ont porté, du point de vue de la forme, sur sa radicalité tout à fait exceptionnelle et, du point de vue du fond, sur son expression sensiblement plus faible de la doctrine du sacrifice propitiatoire, de l’adoration de la présence réelle du Christ, de la spécificité du sacerdoce hiérarchique et, généralement, du caractère sacré de la célébration eucharistique.
Cela aurait dû donner lieu à un débat théologique éclairant et donc pacificateur qui, en fait, n’eut jamais vraiment lieu, sauf peut-être ces dernières années, mais de manière secrète, entre les théologiens de la Fraternité Saint-Pie X et ceux de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Pourtant, un ensemble d’auteurs « réformistes » ont, dans le même temps, admis la pertinence d’un certain nombre de critiques faites à la nouvelle liturgie : le P. Louis Bouyer, le cardinal Antonelli, le P. Aidan Nichols, pour donner des exemples très différents. Mais ce sont surtout les publications réitérées du cardinal Ratzinger, à titre privé de théologien, qui sont entrées fort loin dans la légitimation des critiques faites à la réforme (La célébration de la foi, 1985 ; Ma vie, 1998 ; L’Esprit de la liturgie, 2001 ; Un chant nouveau pour le Seigneur, 2002 ; etc.)
Il est donc apparu que cette réforme avait un caractère tout à fait singulier, et qu’elle ne parvenait pas à se présenter comme un « progrès organique » dans l’explicitation de la théologie du sacrifice eucharistique (Alcuin Reid, The Organic Development of the Liturgy, Londres, 2004) de sorte que, jusqu’à meilleur examen, la paix doctrinale commandait logiquement – et commande toujours – à ceux qui sont en charge de la vie publique de l’Église, de favoriser le respect d’une coexistence du nouveau et de l’ancien.
2°/ LA PAIX JURIDIQUE
Le caractère singulier de la réforme liturgique se manifeste aussi sur le plan juridique : à la différence de réformes antérieures (par ailleurs bien plus modestes), il n’était pas possible, pour celle-ci, de dire que le nouveau avait aboli l’ancien. Comme cela a été abondamment souligné – alors que la liturgie traditionnelle est essentiellement règle et régulation – il y a dans la réforme mise en œuvre à la fin des années soixante une sorte d’auto-effacement de la règle. Les licences prises de manière habituelle par la majorité des acteurs de la liturgie – à commencer par les prêtres – envers les directives officielles sont bien connues : il y a autant de messes de Paul VI que de célébrants, lesquels « interprètent » souvent avec les meilleures intentions du monde. Mais ils ne peuvent le faire qu’en raison de cette élasticité particulière de la liturgie réformée (alors que si on peut éventuellement mal célébrer la messe traditionnelle, on ne peut la célébrer que selon des « rubriques » invariables). Dans la nouvelle liturgie, les choix et les options sont multiples pour chacune des parties de la cérémonie, y compris dans le moment essentiel de la messe, celui de la Consécration, où l’unique Canon romain a fait place à une palette de prières eucharistiques, sans parler du morcellement du rite romain par les innombrables traductions/adaptations en langues vernaculaires.
En pratique, il est même devenu inapproprié de parler de loi liturgique. Et, a fortiori, d’évacuation de la loi précédente. Comment donc ces nouvelles normes, aussi peu normatives, qui autorisent autant de possibilités diverses dans la manière de célébrer, auraient-elles donc bien pu interdire la célébration selon les anciennes formes ?
On sait aujourd’hui que le 16 novembre 1982, cinq préfets de congrégations romaines réunis autour du Secrétaire d’État, le cardinal Casaroli, avaient admis à l’unanimité qu’il était impossible de dire que le rite ancien de la messe avait été juridiquement abrogé. Cette constatation de bon sens s’est manifestée dans une série de dispositions, qui n’ont cependant jamais eu qu’une portée très réduite par rapport au but de pacification qu’elles visaient :
– la lettre Quattuor abhinc annos, de la Congrégation pour le Culte divin, dite « indult » du 3 octobre 1984, selon laquelle les évêques avaient la faculté d'autoriser ponctuellement le missel antérieur aux réformes de Paul VI,
– le Motu Proprio Ecclesia Dei, du 2 juillet 1988, qui élargissait ces dispositions et décidait que les prêtres de rite traditionnel pouvaient se constituer en instituts spécialisés,
– et le Motu Proprio Summorum Pontificum, du 7 juillet 2007, introduisant deux prescriptions fondamentales, à savoir que la liturgie antérieure à la réforme, jamais abrogée, peut être célébrée de manière privée par tout prêtre de rite latin, et qu’elle peut être célébrée publiquement dans les paroisses si un groupe de fidèles en fait la demande au curé.
Cependant, ce droit des fidèles que Rome a voulu ainsi reconnaître officiellement, n'a reçu en général qu'un accueil timoré dans les diocèses et les paroisses. Benoît XVI a fourni à nos pasteurs un efficace instrument de pacification que ceux-ci semblent, dans leur grande majorité, répugner à employer.
3°/ LA PAIX MISERICORDIEUSE
En présentant nos souhaits de paix et en les adressant spécialement à nos pasteurs, en leur demandant d’en être les artisans, nous voudrions souligner que cette œuvre de pacification ne relève pas seulement du bon sens de gouvernement, mais en réalité du sens de l’Église le plus élevé. Ce n’est pas sans raison que saint Paul, l’Apôtre par excellence, exhorte si souvent ses ouailles à vivre dans la concorde : « Ayez même sentiment ; vivez en paix, et le Dieu de la charité et de la paix sera avec vous. » (2 Co 13, 11). Mais il sait que c’est lui ou ses collaborateurs – Apollos, Timothée, les « anciens » – qui apportent cette paix dans leurs avis, leurs décisions, leurs jugements. Car il s’agit en définitive de la construction même de l’Église. Les « artisans de paix », les « pacificateurs », au premier rang desquels les pasteurs, participent à cette œuvre primordiale qui est celle de l’unité du Corps dans la foi et dans la charité : « Car c'est lui [le Christ] qui est notre paix, lui qui des deux peuples [Juifs et païens] n'en a fait qu'un, détruisant la barrière qui les séparait » (Ep 2, 14-16).
L’Église est par définition missionnaire et « unioniste » ad extra : c'est-à-dire que son but ultime, par la diffusion de l’Évangile dans tout l’univers et auprès de tous les hommes, est l’extension maximale de l’unité, de la plénitude des fidèles dans le Christ. C’est le « plérôme », comme dit saint Paul (Col 1, 19 ; Ep 1, 23), qu’elle atteindra au jour du Jugement, lorsque le nombre des élus sera complet et lorsque, de ce fait, sera achevé le développement du Corps mystique du Christ. Ce dont tous les chrétiens sont en charge, mais spécialement les successeurs des Apôtres.
Cette diffusion de l’Évangile a pour moteur la charité et la miséricorde envers les âmes. Mais elle doit aussi nécessairement se manifester à l’intérieur. Pour illuminer au dehors et attirer les hommes à elle, elle doit d’abord briller entre les enfants de l’Église eux-mêmes : « Jour après jour, disent les Actes des Apôtres au sujet de la première communauté chrétienne, d’un seul cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur. Ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple. Et chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés » (Ac 2, 46). Autrement dit, parce qu’ils rayonnaient de la charité du Christ, ils agrégeaient d’autres hommes au Christ. La charité entre les membres de l’Église est la première prédication : « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35).
N’est-ce donc pas le moment de recoudre ce qui a été déchiré ? L’Église de France, qui n’aura plus qu’une poignée de prêtres par diocèse à la fin de l'actuelle décennie (les 6 000 prêtres d'aujourd'hui devraient n'être plus que 4 000 en 2025…), est toujours plus moribonde : la déliquescence catéchétique s’accélère et la pratique continue de s’effondrer. Pourtant, certaines paroisses, certaines communautés et certains mouvements manifestent encore vitalité et jeunesse. La liturgie traditionnelle s’avère être un de ces lieux solides de transmission de la foi, source encore féconde de vocations. Pourquoi suspecter ces aires du catholicisme et les traiter comme marginales ? Pourquoi ne pas leur donner plus d’espace ? Pourquoi donc ne pas laisser vivre ce qui est vivant et qui produit la vie ? Pourquoi ne pas favoriser la paix ?
En ce début 2014, notre souhait primordial est celui-ci : que ceux qui le peuvent et qui le doivent assurent généreusement les conditions de la paix entre les catholiques. Et, en premier lieu, qu’ils assurent la paix dans la célébration du sacrement qui procure l’unité de l’Église, le sacrement de l’Eucharistie. Qu’ils soient les artisans de la paix liturgique.