21 décembre 2018

[F. Louis-Marie - Le Barroux - Lettre aux Amis du Monastère] La souffrance et son mystère

SOURCE - Le Barroux - F. Louis-Marie - Lettre aux Amis du Monastère - décembre 2018
Le 27 septembre dernier, Père Robert, moine de Sainte-Marie de la Garde, notre fondation, a soutenu sa thèse de doctorat de théologie au couvent des dominicains de Toulouse. Exercice fastidieux de deux heures et demie au cours duquel il a présenté le fruit de trois années de travail sur « la souffrance chez saint Thomas d’Aquin ». Un sujet très délicat ! Saint Jean-Paul II écrivait dans sa lettre apostolique Salvifici doloris que « l’homme dans la souffrance reste un mystère inaccessible ». Cependant, la théologie peut arpenter ce grand mystère, à condition qu’elle se tourne du côté du dessein divin. Car Dieu a un plan, et la souffrance en fait partie, mais selon une ligne qui reste à préciser. La souffrance, qu’elle soit vécue ou aperçue, paraît absurde, et elle peut être cause de révolte contre Dieu, d’une perte de la foi et aussi de réponses courtes, voire incompatibles avec la foi et la raison. Certains théologiens ont parlé de la souffrance de Dieu en sa divinité afin de conserver un lien de solidarité entre le Créateur et la créature. Telle n’est pas cependant la pensée de saint Thomas d’Aquin, le grand docteur de l’Église. 
          
Père Robert a beaucoup insisté sur le plan initial de Dieu, à savoir, un monde sans aucune souffrance. C’est une vérité fondamentale. Dieu a créé l’homme pour qu’il cultive la terre, qu’il la domine, qu’il puisse, avec Ève, l’aide qui lui est semblable, emplir le monde. Et au dire de saint Augustin, qu’il puisse « passer de ce monde à un autre meilleur par une ascension pleine de douceur ». Un peu comme la Vierge Marie, qui est passée de l’ordre de la grâce à l’ordre de la gloire, à la manière d’un fruit qui a mûri. Je cite maintenant Père Robert : « Toute la problématique de la thèse se réduit finalement à cette tension entre l’innocence de Dieu qui ne veut pas, dans son intention première de volonté antécédente, la souffrance des hommes, et la réintégration de cette souffrance par la providence de Dieu, selon sa volonté conséquente : la souffrance, mal physique consécutif au péché, devient dans le Christ le moyen de la réalisation du dessein divin. » 
          
Mais alors, comment peut-on affirmer que la souffrance fait partie du plan de Dieu ? Dieu veut-il vraiment que l’homme souffre ? Comment saint Paul peut-il dire que le Père « n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous » (Rm 8, 32) ? 
           
De fait, les évangiles affirment clairement que ce sont des hommes qui ont vendu, trahi, condamné et crucifié Jésus. Et pourtant, c’est bien le Père qui a livré son Fils, mais dans quel sens ? Ici, Père Robert précise que, selon saint Thomas d’Aquin, le Père a ordonné la Passion du Fils à la rédemption du monde, qu’Il n’a pas empêché les actions de se dérouler, et qu’Il a inspiré au Christ de tout accepter pour faire Sa sainte volonté. Ainsi, la souffrance n’est jamais voulue directement par Dieu, mais Il la permet en l’ordonnant mystérieusement à de plus grands biens surnaturels, en n’empêchant pas les causes secondes, et en nous donnant la grâce de la vivre en union avec le Christ. 
          
Mais que penser de la souffrance des enfants innocents qui n’ont pas encore atteint l’âge de raison ? Là, le mystère s’épaissit… D’ailleurs, que faisons-nous pour soulager et protéger ces petits ? Qui sait ce que Dieu fait de cette souffrance, et surtout ce qu’Il fait dans le cœur de ces innocents ? J’aime à penser que les psaumes, mis dans la bouche des moines, chantés nuit et jour, deviennent le cri de ces innocents, et qu’ils transforment la souffrance en un océan de grâce, par l’intermédiaire de la communion des saints.
          
+ F. Louis-Marie, o. s. b., abbé