19 décembre 2018

[Paix Liturgique] La mort de Robert Spaemann, philosophe et moraliste, défenseur de la messe traditionnelle

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 673 - 19 décembre 2018

Robert Spaemman s’est éteint le 10 décembre 2018, à l’âge de 91 ans. Spécialiste de la pensée de Bonald et de Fénelon, il était l’une des «grosses pointures» de la philosophie allemande d’aujourd’hui (voir: Les personnes. Essai sur la différence entre «quelque chose» et «quelqu’un», Cerf, 2009, et encore : Nul ne peut servir deux maîtres, Hora Decima, 2010). Né à Berlin en 1927, venu de milieux catholiques plutôt à gauche, il a enseigné à Munich, Heidelberg et Strasbourg. Son œuvre morale est d’un grand poids (voir: Moralische Grundbegriffe, Beck Verlag, Munich, 1982 ; en français : Bonheur et bienveillance, PUF, 1997). Jean-Paul II l’avait fait membre de l'Académie pontificale pour la Vie. Devenu défenseur ardent de la messe traditionnelle, il s’était lié d’amitié avec le cardinal Joseph Ratzinger. La création de l’association Pro Missa Tridentina lui doit beaucoup. En 1997, il avait répondu aux questions de l’abbé Claude Barthe dans un livre d’entretiens: Reconstruire la liturgie (François-Xavier de Guibert). Nous reproduisons ici ses réponses, qui étaient publiées sous le titre: «Au jour du Jugement dernier, il n'y aura plus de conférence épiscopale».
L’abbé Claude Barthe – Vous vous êtes souvent fait l'écho du profond mécontentement des catholiques insatisfaits par les nouvelles formes cultuelles. Vous avez contribué à ce qu'un certain nombre d'entre eux en Allemagne retrouvent aujourd'hui la pratique liturgique traditionnelle.
Robert SPAEMANN – J'ai remarqué que beaucoup de ceux qui sont mécontents de la situation qu'ils trouvent dans leurs paroisses, ont des sentiments partagés lorsqu'on leur donne la possibilité d'assister à la messe traditionnelle. On peut distinguer parmi eux deux catégories : il y a ceux qui assistent à cette messe pour la première fois de leur vie, et ceux qui l'ont connue dans leur enfance. Les premiers doivent revenir plusieurs fois pour s'accoutumer à la messe traditionnelle, parce qu'au début elle leur paraît tout à fait étrange avec le latin, le canon récité à voix basse, mais lorsqu'ils persévèrent, ensuite ils ne peuvent plus s'en passer. J'ai fait moi-même l'expérience suivante : la messe nouvelle, au début ne m'a pas tellement choqué ; puis, d'une année sur l'autre, elle me déplaisait de plus en plus. Tandis que pour la messe traditionnelle, c'est exactement l'inverse. Mais ce qui me frappe encore plus, ce sont les réactions des gens plus âgés, qui ont une espèce de nostalgie de l'ancienne messe. Ceux d'entre eux qui viennent dans une église où elle est célébrée réagissent de deux manières. Certains sont fascinés et pleurent de joie ; d'autres en revanche se trouvent très mal à l'aise et disent : « Non ! Ce n'est plus possible, on ne peut pas faire cela ».
Comme si le fil de la tradition avait été pour toujours rompu ?
Oui, c'est cela. Ils ont beaucoup souffert d'abandonner cette tradition liturgique. Alors leur réaction est de se dire : « Comment se fait-il que ces gens-là continuent à célébrer la messe traditionnelle alors que nous, nous avons dû payer un tel prix ? Tout cela a donc été inutile, nous aurions très bien pu continuer à faire comme eux ». Cela, ils ne veulent pas l'accepter. Puisqu'ils ont payé ce prix, ils veulent que les choses changent pour tout le monde.

Ceci dit, il faut bien sûr concéder que la messe traditionnelle n'a pas elle-même une forme définitive. Il est permis de désirer pour elle certains changements : désirer, par exemple, que quelquefois, au cours de sa vie, il soit possible de recevoir la sainte communion sous les deux espèces. Je trouve que cela va dans le sens de ce qu'a voulu le Seigneur.
Il est difficilement contestable qu'en soi le signe du pain et du vin soit plus expressif que celui du pain seul. Mais vous parlez ici de ceux qui découvrent ou reviennent à la messe traditionnelle. Il y a la grande majorité des autres, de tous les autres qui eux restent dans leurs paroisses.
Là, voyez-vous, on trouve d'un côté, les personnes insatisfaites de ce qui se passe dans leurs paroisses, mais qui ne cherchent pas à changer les choses : elles sont résignées. Et d'autre part, il y a les paroissiens actifs, les représentants élus, qui, dans leur majorité, n'ont pas grand sens de la liturgie. Et par conséquent, il n'y a aucun changement ni même de désir de changement.

Il y a aussi les paroisses sans prêtre, où on fait de nécessité vertu, c'est-à-dire qu'on célèbre une « messe » sans prêtre, en estimant que c'est une bonne chose et en disant : « C'est exactement ce que nous voulons ! » Je trouve d'ailleurs qu'il y a dans ce fait un très mauvais signe : même lorsqu'il y a des prêtres, parfois même de jeunes prêtres, comme c'est le cas à l'université de Tübingen, qui sont disponibles pour venir en aide à des paroisses sans prêtres, les responsables refusent cette aide et préfèrent des cérémonies sans prêtre. C'est du protestantisme, et même pire, parce que les luthériens ont au moins conservé la notion d'ordination.

Tous les prêtres n'ont cependant pas cette mentalité. Il me semble notamment qu'il y a une certaine évolution chez les séminaristes allemands. Il m'arrive de recevoir des groupes d'étudiants en théologie et des séminaristes, qui sont tout à fait conscients de ce que la liturgie a été engagée dans une direction désastreuse. Ceux-là sont en recherche, étudient l'ancienne liturgie, se demandent ce qu'ils pourraient faire. Au minimum, ils sont prêts à célébrer le nouveau rite en respectant strictement les missels officiels.

A ce propos, parle-t-on en France d'une nouvelle réforme du missel ?
Vous faites allusion aux projets de nouvelles réformes et nouvelles adaptations élaborés par la commission liturgique des pays de langue allemande. Non ! Rien de semblable en France : la réforme d'après le Concile a provoqué de tels troubles, qu'on préfère ne plus parler de changements. Tout est gelé.
Chez nous il y déjà des décisions. Et malheureusement il n'y a aucun trouble. Je dis malheureusement, parce que les Allemands, qui sont des soldats très courageux à la guerre, n'ont pas beaucoup de courage civique. Ils sont très disciplinés, y compris dans l'Eglise. La nouvelle liturgie a éduqué les fidèles à être tout à fait passifs.
Le cardinal Lustiger a fait une autocritique à ce sujet, disant que les curés avaient exercé une espèce de tyrannie sur les fidèles.
C'est vrai. Le prêtre aujourd'hui a la possibilité de choisir lui-même entre plusieurs formules pour un certain nombre de parties de la messe. De ce fait, aucun fidèle, à moins d'avoir une formation poussée, n'est capable de savoir si ce que le prêtre dit à l'autel est ou non contenu dans les livres officiels. Et par conséquent, le prêtre peut faire tranquillement ce qui lui plaît.

Je peux vous raconter une petite expérience à ce propos. Un dimanche, je n'avais pu assister à la messe au cours de la journée et il a fallu que je me rende dans une paroisse voisine de la mienne où on célèbre une messe le dimanche soir. C'était une femme qui célébrait toute seule la liturgie de la parole, et cela depuis le début de la messe jusqu'au commencement de l'offertoire : évangile, sermon, « Le Seigneur soit avec vous », etc. Elle faisait tout ! Le prêtre, un très jeune prêtre, restait assis. Il a ensuite dit un canon sans se référer à aucun livre approuvé. Pour l'Ecce Agnus Dei, il a dit : « Voyez ce pain et voyez dans ce pain le Corps du Christ ». Tout était inventé ! Je ne me sentais nullement obligé de rester à une telle messe, mais j'ai voulu attendre jusqu'à la fin pour savoir ce qui allait se passer. Eh bien, il ne s'est rien passé : aucun fidèle n'a protesté. C'est là qu'est tout le problème. C'est pourquoi les choses sont très différentes aujourd'hui de ce qui s'est produit au XVIIIe siècle. A cette époque, celle des Lumières, les réformes qui ont eu lieu en Allemagne ont rencontré une grande hostilité dans le peuple qui n'acceptait pas tout comme maintenant. Aujourd'hui il ne se passe rien. Les médias, la télévision ont éduqué les hommes d'aujourd'hui à la passivité.
Et contrairement à son principe cardinal de « participation », la réforme a provoqué la non-participation des fidèles.
Exactement. Il est même impossible de participer dans la mesure où l'on doit être attentif à ce que le prêtre fait. On ne le sait pas à l'avance, tout dépend de lui. Il s'agit d'une messe où les assistants doivent se concentrer sur le prêtre et non sur le rite.
On note actuellement en France que, après une période plus « libérale », on revient à une certaine crispation contre les formes traditionnelles, spécialement du côté des administrations diocésaines et parmi les clercs d'un certain âge qui voient arriver avec désappointement une nouvelle génération de séminaristes et de jeunes prêtres d'une autre sensibilité que la leur.
En Allemagne, dans le cas le plus favorable, les prêtres qui disent la messe traditionnelle sont seulement tolérés. Dans mon diocèse, celui de Stuttgart, la situation est à cet égard la meilleure de toute l'Allemagne. Des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre disent pour une communauté de fidèles la messe chaque jour. Mais c'est le seul cas en Allemagne. Une situation identique ne se retrouve qu'en Autriche, à Salzbourg.

Si les choses changent un petit peu du côté des autorités, c'est parce que l'on voit que ce phénomène ne disparaît pas. Il leur faut donc en prendre acte. Il arrive même quelquefois qu'on discute ouvertement de ce problème de la célébration de la liturgie traditionnelle dans des journaux diocésains. Jusqu'à présent la tactique consistait à n'en pas parler. En fait, la situation est très différente de diocèse à diocèse. A Stuttgart, les catholiques qui veulent une messe traditionnelle ont des relations tout à fait cordiales avec l'évêque, qui n'est pourtant pas un évêque traditionaliste. Mais la plupart des autres évêques, comme celui de Fribourg, restent d'une grande hostilité.
Alors qu'il reste si peu de monde dans les églises, les évêques pourraient au moins ne pas éteindre la mèche qui fume encore et manifester quelque compassion.
Non, cela ne les touche pas. En Allemagne, il y a encore des cas de séminaristes chassés de leurs séminaires pour leurs idées traditionnelles.
Que suggéreriez-vous pour commencer à modifier le sort liturgique des paroissiens ordinaires ?
Je crois que le problème le plus important est celui de la célébration versus populum. La messe face-au-peuple change très profondément la façon de vivre ce qui se passe. On sait notamment par les écrits de Mgr Klaus Gamber que cette forme de célébration n'a jamais existé comme telle dans l'Eglise. Dans l'Antiquité, cela avait une signification tout à fait différent. Avec le face-au-peuple, on a aujourd'hui l'impression que le prêtre dit des prières pour nous faire prier, mais on n'a pas le sentiment qu'il prie lui-même. Je ne dis pas qu'il ne prie pas, d'ailleurs quelques prêtres arrivent à célébrer la messe versus populum en priant visiblement. Je pense à Jean-Paul II : on n'a jamais l'impression qu'il s'adresse au peuple pendant la messe. Mais il est très difficile d'y arriver.

J'ai assisté à une procession du Corpus Christi, de la Fête-Dieu, dans le diocèse de Feldkirch, en Autriche, présidée par l'évêque, qui est membre de l'Opus Dei. Lors des stations aux reposoirs, l'évêque tournait le dos à l'ostensoir en disant des prières. Je me faisais à moi-même cette remarque que si un enfant voyait cela, il ne pourrait plus croire que le Seigneur est présent dans la sainte hostie, parce qu'il sait bien, ce petit enfant, que lorsqu'on parle à quelqu'un on ne lui tourne pas le dos. Des choses comme celle-là sont très importantes. L'enfant peut bien étudier le catéchisme, cela ne sert à rien s'il a sous les yeux des actes contraires.

Je crois donc que la première chose à faire serait de retourner l'autel. Il me semble que c'est plus important que le retour au latin. J'ai personnellement de nombreuses raisons de tenir au latin, mais ce n'est pas la question la plus fondamentale. Pour ma part, je préférerais une messe traditionnelle en allemand que la nouvelle messe dite en latin.

La deuxième réforme importante concerne les prières que le prêtre devrait dire à la première personne. Si en effet on dit uniquement « nous », ce ne peut jamais être aussi sérieux que lorsqu'on dit « je » : Confiteor, je confesse, Credo, je crois en Dieu. Le Confiteor aujourd'hui est très rarement récité, et lorsqu'on le dit, on le récite, prêtre et fidèles tous ensemble, ce qui est un pur non-sens. Je dis en allemand : « Je confesse à Dieu, à tous les saints et à vous mes frères ». Mais les frères ne m'écoutent pas, parce qu'ils parlent en même temps que moi. Puis-je vraiment confesser mes péchés à mon frère si celui-ci, en même temps, me confesse les siens ? C'est anthropologiquement et psychologiquement impossible. Dans la messe traditionnelle – c'est vraiment un point très touchant – le prêtre nous confesse ses péchés, ses propres péchés. Et nous, nous les confessons à Dieu, à tous les saints et au prêtre.

Tout cela peut sembler un peu marginal, mais je crois qu'il faut pouvoir faire de nouveau l'expérience de ce qui a lieu véritablement à la messe et qu'il faut pouvoir comprendre que ce qui s'y passe est vraiment sérieux. Souvent, dans les nouvelles célébrations, on n'a pas une impression de sérieux, on n'a pas l'impression qu'il s'agit de quelque chose qui a lieu entre Dieu et nous.
Il est bien vrai que la liturgie est faite d'une accumulation de choses « marginales », un ensemble de détails, dont la somme ou la soustraction...
Oui. Il y a dans cette nouvelle liturgie une victoire du cartésianisme et de ce qu'on pourrait appeler le « scolasticisme ». Par exemple, il y a désormais clairement un moment où le pain est transformé en Corps du Seigneur. Avant ce moment, ce n'est que du pain profane, après, c'est le Seigneur. Tandis que dans l'ancienne liturgie latine, et dans toutes les autres liturgies, on commence à traiter le pain offert comme une chose sacrée, dès le moment où il touche l'autel.
A ce propos, vous avez tout à l'heure employé le mot « offertoire » en parlant d'une nouvelle célébration, mais c'était un lapsus : l'offertoire n'existe plus dans le rite nouveau. Il a été remplacé par la « préparation des dons », au motif que les prières de l'offertoire traditionnel étaient un « doublet » de celles de la consécration.
Cela montre bien que c'est une victoire posthume du cartésianisme.

Après le changement de sens de l'autel, et l'emploi du « je », pour continuer à répondre à votre question sur ce que l'on pourrait faire pratiquement maintenant dans les paroisses, je dirais qu'il faut aussi choisir entre tous les textes qui sont ad libitum. Il faudrait supprimer beaucoup de possibilités de choix, notamment dans les canons. On pourrait peut-être garder un deuxième canon à côté du canon romain. Mais il importe que les fidèles connaissent le rite ordinaire de la messe par coeur – ce serait encore mieux en latin –, ce qui n'est possible que si ce rite ne change pas. C'est une des choses qui me semble parmi les plus nécessaires. Dans ce cas-là seulement, le rite unit le prêtre et les fidèles.
En ce qui concerne l'évanouissement du lien d'unité, la disparition totale du latin a joué un rôle considérable.
Bien sûr. Généralement, quand je voyage aujourd'hui à l'étranger je ne peux plus prier avec les autres chrétiens. Tandis que quand je vais en Amérique, si j'assiste à la messe traditionnelle, je peux chanter et prier. Il faudrait d'ailleurs instruire les catholiques du fait qu'une langue rituelle existe dans toutes les grandes religions et dans tous les rites catholiques.
Même chez les protestants ?
Oui, d'une certaine manière, même chez les protestants quand ils utilisent un ancien allemand. Seule l'Eglise latine a abandonné sa langue rituelle. Le Christ lui-même priait en hébreu, qui n'était pas sa langue maternelle. Sur la Croix, il récite « Eli, Eli, lamma sabactani », et les passants ne l'ont pas compris, parce que c'était une langue rituelle. Ce qui était bon pour le Christ est bon pour les chrétiens.
Il est difficile de revenir sur trente ans d'usage contraire, mais ce n'est pas insurmontable.
Je pense que si on commençait par abolir la pluralité des variantes et si les fidèles savaient par cœur l'ordinaire de la messe, il serait beaucoup plus facile de réintroduire le latin, parce qu'on peut mieux apprendre en latin quelque chose que l'on connaît déjà par cœur dans sa propre langue. Pour les enfants c'est plus facile encore et on peut même leur rendre cette mémorisation intéressante, car les enfants aiment apprendre par cœur.

Remarquez comment les personnes qui ont quitté l'Eglise et ont cessé de pratiquer depuis de nombreuses années sont heureuses d'assister à une messe traditionnelle car elles retrouvent la messe qu'elles ont connue. Avec la nouvelle liturgie, elles ont au contraire l'impression de ne pas retrouver la maison du Père.
Vous avez dit cependant en commençant que la liturgie tridentine n'a pas de soi une forme définitive. Elle aurait pu changer et pourra changer.
Les changements doivent être si lents et si imperceptibles que chacun arrivant à la fin de sa vie, ait l'impression qu'il utilise toujours le même rite que celui de son enfance, même si ce rite a de fait changé.

Je ne sais si vous connaissez la lettre dans laquelle le cardinal Newman raconte son premier voyage en Italie. Il était entré dans la cathédrale de Milan et il a été frappé par la quantité de cérémonies qui s'y déroulaient en même temps : d'un côté, une petite procession, des messes aux autels latéraux, dans le chœur les chanoines récitaient l'office. On avait l'impression que chacun vaquait à ses propres affaires, mais au fond, il s'agissait partout de la même chose. Newman a été émerveillé par cette forme de pluralité, parce qu'en Angleterre, l'influence protestante étant plus forte, tout le monde devait faire la même chose en même temps.
La liberté catholique ! Vous êtes donc favorable à une participation différenciée ?
Je crois en effet qu'il est important qu'il y ait différentes possibilités de participer à la sainte messe. Et tout d'abord, cela me semble un scandale de voir que tous les fidèles communient toujours à toutes les messes, parce qu'il est impossible de supposer que chacun puisse estimer qu'il est toujours en état de grâce, dans de bonnes dispositions pour communier. Quand on se demande aujourd'hui si l'on doit inviter les protestants à pratiquer l'intercommunion avec nous, jamais personne ne parle pour eux de confession. Quelqu'un peut bien, durant toute sa vie, rester en état de grâce, mais on ne peut pas le présumer. Or, on n'en parle pas. On devrait pouvoir assister à la messe sans communier. Pour cela, il me semble personnellement que les personnes qui estiment pouvoir toujours aller à la sainte communion, devraient de temps en temps, par exemple une fois par mois, s'abstenir à cause des autres, pour rendre possible cette abstention. Et si quelqu'un m'objectait : « J'ai absolument besoin de recevoir la sainte communion », je lui répondrais : « Recevez-la le lundi ». Ceux qui ont réellement besoin de recevoir souvent la communion assistent à la messe en semaine. S'ils ne vont pas à la messe de toute la semaine, ils ne peuvent pas dire qu'ils ont absolument besoin de la communion.

Il faut avoir la possibilité de participer plus ou moins à la messe. Ainsi tout près de la porte se trouve la place du publicain. Et cette place doit être respectée, sans que celui qui la prenne soit obligé de parler, ni même obligé d'écouter ce qu'on dit dans le micro. J'ai connu une jeune fille non catholique qui était très attirée par l'Eglise. Mais quand elle entrait dans une église et qu'elle voyait les micros posés sur l'autel, elle ne voulait plus faire le pas. Elle disait : « S'il y a là un micro, c'est que ce n'est pas sérieux, parce que Dieu n'a pas besoin d'un micro pour m'entendre ». Il est très important que l'on sache que dans une église c'est à Dieu que l'on s'adresse.

Oui, il y a un manque de liberté dans la liturgie actuelle et c'est même une des caractéristiques de l'Eglise d'aujourd'hui.
Manque de liberté pour les fidèles et aussi pour les évêques.
C'est le problème des conférences épiscopales, qui sont une sorte d'alibi. Quand vous parlez à un évêque, il vous dit : « Oui, vous avez raison. On devrait faire ceci, on devrait faire cela, mais voilà, il y a la conférence épiscopale ». Pourtant, les résolutions des conférences épiscopales ne sont nullement obligatoires. Par exemple, l'évêque de Fulda, en plusieurs occasions, ne s'est pas soumis au consensus. Il s'est retiré de l'organisation qu'on appelle le Bund der Deutschen Katholischen Jugend, l'organisation de la jeunesse catholique allemande, une organisation qui est financée par les évêques mais qui s'est de fait beaucoup éloignée de l'Eglise, et il a fondé une nouvelle organisation pour les jeunes. Il a également refusé de participer au système légal qui prévoit la participation de consulteurs catholiques délivrant des certificats nécessaires aux femmes qui désirent avorter.
Il est donc possible de résister à la pression de la collégialité ?
Ce serait tout à fait possible, mais il y a chez les évêques un sentiment d'obligation envers le Collegium. Je pense qu'en ce domaine la concurrence devrait jouer comme dans la vie commerciale. On dit en Allemagne » la concurrence fait vivre le commerce ». Une vraie concurrence entre les diocèses serait une bonne chose pour l'Eglise. On verrait comme cela dans quel diocèse il y a le plus de vocations, dans quel diocèse il n'y en a pas, etc.
N'est-ce pas à l'évêque, qui a la plénitude du sacerdoce, de prendre dans les questions liturgiques toutes ses responsabilités ?
Le Concile dit que toute célébration de l'eucharistie, toute messe est dirigée par l'évêque. Il est donc responsable de toutes les messes célébrées dans son diocèse. Et s'il y a, comme c'est le cas tous les dimanches dans une grande ville allemande, une messe des homosexuels, c'est l'évêque qui est le président de la messe des homosexuels.

Un jour, dans une conversation avec un évêque – il s'agissait de faire célébrer une messe traditionnelle –, l'évêque me disait : « Mais, la conférence épiscopale... » Je lui ai répondu : « Monseigneur, au jour du Jugement dernier, il n'y aura plus de conférence épiscopale. C'est à vous personnellement que le Seigneur demandera ce que sont devenues vos brebis, et non à la conférence épiscopale ». D'ailleurs, l'évêque m'a exaucé.