Un cardinal venu de Rome ordonne cinq prêtres traditionalistes de l'Institut du Bon Pasteur LE MONDE | 24.09.07 | 14h38
BORDEAUX ENVOYÉE SPÉCIALE
Alors que l'assistance entonne la longue litanie des saints, les cinq ordinands en aube blanche, allongés face contre terre au pied de l'autel, ne bronchent pas. Dans quelques minutes, après un cérémonial rythmé par des gestes immuables et des prières en latin, dans un ballet de surplis en dentelle rehaussés de chasubles mauves et or, les jeunes hommes deviendront prêtres. Ils rejoindront les rangs de l'Institut du Bon Pasteur, dirigé par l'abbé Philippe Laguérie, figure historique de la mouvance traditionaliste en France.
Pour la cérémonie de ce samedi 22 septembre, l'abbé, longtemps en délicatesse avec le Vatican, a vu grand. Un écran géant et des dizaines de chaises barrent la ruelle où siège l'église Saint-Eloi de Bordeaux. La pluie gâche la démonstration de force. L'église, elle, est pleine, mais l'essentiel est ailleurs.
Saluée par une vague de génuflexions, l'arrivée du cardinal Castrillon Hoyos, envoyé par le pape Benoît XVI pour célébrer la messe d'ordination, consacre le retour de ce courant, attaché au rite liturgique et aux valeurs antérieurs au concile Vatican II, dans le giron de Rome. Au-delà, sa présence conforte l'ensemble des partisans de la tradition. "C'est un mois faste", reconnaît l'abbé Laguérie. "Nous fêtons le premier anniversaire de l'érection de l'Institut du Bon Pasteur (sa reconnaissance par Rome), la mise en oeuvre du motu proprio, dont la publication fut pour nous un grand succès (depuis le 14 septembre, la messe en latin est libéralisée) et nous ordonnons cinq nouveaux prêtres." Dans son homélie, le cardinal romain, président de la commission Ecclesia Dei, chargée à Rome du rapprochement avec les traditionalistes, enfonce le clou : "Si l'Institut du Bon Pasteur reçoit cinq nouveaux prêtres, c'est toute l'Eglise catholique qui les reçoit."
"C'est bien que Rome fasse un geste d'encouragement envers un jeune institut, mais ce n'est pas un geste d'ampleur nationale", nuance Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France, dont la présence à l'ordination relève de la "politesse". Selon les évêques, la publication du motu proprio n'a suscité qu'une poignée de demandes pour davantage de messes en latin, preuve que les besoins sont couverts.
Une vision démentie par l'abbé Laguérie. "En matière d'évangélisation, c'est l'offre qui crée la demande", estime-t-il. En instaurant la messe en latin dans des chapelles privées, son mouvement entend le démontrer. "Quand la messe en latin sera en vente libre, elle trouvera preneur, juge aussi Guillaume de Tanoüarn, prêtre-assistant de l'un des ordinands de Bordeaux. La société revient sur l'esprit des années 1960 et 1970. C'est aussi le cas dans l'Eglise." "Le rite ancien reste "in" à travers les siècles", assure de son côté René-Sébastien Fournié, l'un des prêtres ordonnés samedi. A 33 ans, après être passé, comme beaucoup de ses confrères, dont l'abbé Laguérie, par la Fraternité Saint-Pie X, le mouvement schismatique de Mgr Lefebvre, ce multi-diplômé s'est engagé à ne célébrer la messe qu'en latin.
Mais la publication du motu proprio, la volonté persistante du Vatican de rallier les schismatiques et la solennité accordée par Rome à ces ordinations ne suffisent pas à masquer les limites du rapprochement entre catholiques. Si Mgr Ricard reconnaît avoir facilité l'implantation de l'Institut à Bordeaux, il rappelle aussi que "tous les points de Vatican II n'y sont pas reçus de la même façon" que chez la majorité des catholiques. "Alors que le catholicisme s'effondre et qu'il faudrait mettre toutes les forces dans la bataille, les évêques ne sont pas prêts psychologiquement à nous confier des paroisses", regrette l'abbé Laguérie. Le service d'ordre aux abords de l'église Saint-Éloi, samedi, soulignait, à sa manière, les craintes de possibles contestations.
Stéphanie Le Bars
Mouvance traditionaliste La Fraternité Saint-Pie X. Créée en 1970 par Mgr Marcel Lefebvre, elle compterait 130 prêtres en France, 471 dans le monde et 182 séminaristes. Mgr Lefebvre fut excommunié en 1988 pour avoir ordonné illégalement quatre évêques.
La Fraternité sacerdotale Saint-Pierre. Erigée de droit pontifical par le Saint-Siège en 1988, elle compterait 180 prêtres et 107 séminaristes à travers le monde. Chaque année 4 à 5 Français sont ordonnés prêtres.
L'Institut du Bon Pasteur. Créé par Philippe Laguérie en septembre 2006, il compterait une vingtaine de prêtres et une quarantaine de séminaristes.
L'abbé Laguérie, exclu de la Fraternité Saint-Pie X en 2004, a rallié Rome il y a un an.
Dans les diocèses. Quelque 120 messes sont célébrées chaque semaine selon le rite ancien.
Article paru dans l'édition du 25.09.07 |