SOURCE - Paix Liturgique n°335 - 15 mai 2012
Nos lecteurs connaissent bien le traitement médiatique des catholiques attachés à la forme extraordinaire du rite romain : soit ils sont passés sous silence – et l’on sait ce que signifie de ne pas exister médiatiquement aujourd’hui ; soit ils sont maltraités, au moyen de toute une série d’amalgames et de préjugés bien rodés.
Nous avons découvert avec d’autant plus de gratitude l’initiative de La République du Centre qui, le 9 novembre dernier, consacrait sa une et deux pleines pages intérieures à un dossier au titre éloquent : « Messe en latin, tradition ou intégrisme ? » C’était une première, d’autant plus que le dossier était réalisé par des journalistes non-confessionnels quand les journalistes « religieux » n’y voient jamais matière à enquête, puisque pour eux ce sujet n’existe pas…
I – LE DOSSIER DE LA RÉPUBLIQUE DU CENTRE
À l’automne 2011, un ancien enfant de la paroisse d’Olivet, au Sud d’Orléans, va trouver le curé : il vient d’être ordonné prêtre, est moine bénédictin à Notre-Dame-de-Donezan dans l’Ariège (une fille de Fontgombault, où l’on pratique la liturgie traditionnelle) et aimerait célébrer à Olivet pour sa famille une première messe solennelle dans la forme extraordinaire du rite romain. Le curé – réputé plutôt avancé dans ses idées mais aussi connaisseur excellent et passionné du chant grégorien – donne son accord. Comme cela survient à l’époque où les « tradis » font grand bruit à Paris du côté du Théâtre de la Ville, La République du Centre décide d’y regarder de plus près. Une équipe de journalistes réfléchit ; ils préparent l’enquête avec soin, veulent aborder la question avec du recul. Leurs lecteurs les féliciteront pour leur ton détaché, leur hauteur de vue.
D’emblée, le problème est clairement posé par un titre choc, provoquant, qui réunit en quelques mots l’objet du débat et l’interrogation “ automatique ” sous-jacente, à propos de la « messe en latin » : tradition ou intégrisme ? Certes, la « messe en latin » ne résume pas à elle seule le clivage qui s’est opéré dans l’Église après Vatican II. C’est en effet le chambardement postconciliaire en matière liturgique qui a tout précipité. On a vu dans les paroisses, du jour au lendemain, les expérimentations les plus hasardeuses. Tout semblait permis. Tout sauf justement ce que le Concile avait d’abord recommandé de préserver, à savoir le latin et le chant grégorien. La « messe en latin » est donc bien au cœur du débat.
Le bon mot
Le rite extraordinaire - la messe en latin pour les profanes – agite encore les fantasmes. Jugée obscurantiste par une partie du clergé lui-même, il a longtemps servi de ligne de fracture entre Rome et les « intégristes » qui refusent Vatican II. Depuis que Benoît XVI a rétabli son usage, la ligne de partage est plus floue. Alors, lefebvriste, traditionaliste, intégriste : quel est le bon mot ? Dès qu’il est question de religion, l’amalgame n’est jamais bon. Il gangrène les discours, déchaîne les passions. Une chose est sûre, derrière la messe en latin se cache une multiplicité de pratiques et de sensibilités dans la grande famille catholique.
La couleur est annoncée, chaque mot est pesé. Cette entrée en matière, aussi ramassée qu’exhaustive, donne le ton : à l’adresse de son public, pour une large part catholique, La République du Centre annonce qu’elle se défie des « fantasmes » et des « amalgames ». En précisant : environ 15% des pratiquants de l’Orléanais seraient des « tradis ».
Sous cette donnée chiffrée, un encadré rappelle l’objet du Motu Proprio du 7 juillet 2007 et signale les trois lieux du diocèse où la messe traditionnelle est célébrée chaque dimanche. Signalons que pour parvenir à ce chiffre déjà « énorme », les journalistes n’ont pas mené une enquête « scientifique » mais ont tout simplement comparé les fidèles allant dans l’agglomération orléanaise à la messe de forme extraordinaire avec ceux de la même agglomération allant à la forme ordinaire…
Le titre du premier grand article élève le débat sans complexe :
LEUR FOI TRANSCENDÉE DANS LA TRADITION
Des chants en latin. Beaucoup d’encens. De nombreux chrétiens. Un profond recueillement. Reportage lors d’une messe célébrée selon la liturgie ancienne
Blandine Lamorisse (qui signe l’article) note qu’il y a des scouts : « les garçons aux premiers rangs ; les filles au fond de la nef ». C’est souvent l’inverse, mais les garçons avaient dû arriver les premiers... Qu’importe le détail, la journaliste rend compte de la « ferveur », de l’alternance de chants en latin et en français, de la participation active des fidèles (ce qui est, par parenthèse, la remarque habituelle de ceux qui assistent pour la première fois à une liturgie traditionnelle : la participation très forte les étonne). Deux témoignages sont retenus à la sortie de la messe : « Je trouve plus facile de prier et de se recueillir dans ce rite là » et « Intégriste vient littéralement du mot intégral. Dès lors je suis intégriste dans le sens où j’applique intégralement la doctrine. Le problème est que ce mot a été dévoyé par les musulmans. »
Un encadré et un article plus court clôturent cette première page du dossier. L’encadré est une « explication de texte » portant sur trois termes : Rite extraordinaire, Vatican II, Lefebvristes. L’article – « Une situation apaisée dans le diocèse » – résume un entretien avec Mgr Blaquart, pour qui « les traditionnalistes ont toute leur place » dans le diocèse. L’évêque d’Orléans « met en garde contre tout amalgame » entre les « traditionalistes » qui « participent pleinement à la vie du diocèse » et les « lefebvristes » qui (entre autres) « n’acceptent pas le dialogue interreligieux issu de Vatican II ».
La pleine page en vis-à-vis est consacrée à la Fraternité Saint Pie X. Elle comprend un long entretien avec l’abbé Jean-Yves Cottard et la relation d’une visite à sa « paroisse », installée depuis une dizaine d’années dans un ancien corps de ferme, à La Chapelle-Saint-Mesmin. Décidément, La Rép’ est sans complexe : offrir une si large tribune à ceux qui sont justement les plus décriés. Le titre de l’article n’est pas moins provocant : « Nous ne posons pas de bombe ! »
L’entretien avec l’abbé Cottard est mené rondement par Alexandre Charrier. Les réponses de l’abbé sont frappées au coin du bon sens. On le sent détendu. Nous ne citerons qu’un passage, celui touchant à la question liturgique :
Pourquoi n’acceptez-vous pas les réformes de Vatican II?
Je n’ai pas de problème avec le fait de présenter les vérités de la foi de façon plus compréhensible pour les hommes de notre temps mais cela a donné lieu à des abus insupportables. Je tiens à ce que soit respecté ce que Dieu a fait. Sous prétexte de créativité liturgique, tout est devenu permis. La réforme n’est valable que si elle apporte un progrès. Or est-ce que le séminaire est plein? Est-ce que les églises sont pleines ?
Du deuxième article, nous livrerons pour conclure, in extenso, ce témoignage capital : Guillaume, 22 ans, dit avoir eu le « coup de foudre » il y a cinq ans. Issu d’une famille catholique, il ne se sentait jusque là, « pas très impliqué ». Le rite tridentin lui a fait découvrir une autre dimension spirituelle. « La messe en français est vide à côté. Les curés sont plus libres et on est parfois perdu. » Même si le rite extraordinaire reste largement minoritaire, il ne se sent pas en marge. « Cela ne m’empêche pas d’avoir de très bonnes relations avec d’autres catholiques – au sein des scouts notamment – qui, eux, fréquentent les églises du diocèse. »
Sauf la dimension spirituelle, rarement évoquée, il y a là de quoi renverser tous les préjugés devenus habituels en la matière : non, il n’y a pas que des personnes âgées à goûter la liturgie ancienne ; non, les plus jeunes ne sont pas nécessairement tombés dedans au berceau, oui, on peut être bel et bien « perdu » à la messe nouvelle, finalement moins compréhensible que la messe en latin parce que le vent de liberté postconciliaire a résulté en une infinité de pratiques liturgiques déroutantes (et ajoutons : qui aurait le front de prétendre qu’il comprend mieux le mystère de la transsubstantiation quand il entend « ceci est mon corps » au lieu de « hoc est corpus meum » ?) ; oui, on peut pratiquer dans une forme du rite romain sans pour autant se couper des « autres » catholiques.
Nous encourageons ceux qui le peuvent à parcourir l’intégralité du dossier. Le tableau que nous en avons brossé permettra aux autres, nous l’espérons, d’avoir un aperçu de sa qualité. Les journalistes du quotidien orléanais ont traité avec une (hélas) rare objectivité ces catholiques dont le cœur bat pour la messe en latin.
II – LE SONDAGE DE PAIX LITURGIQUE
Pour en savoir plus, nous avons décidé de commanditer une enquête d’opinion auprès des catholiques du diocèse d’Orléans qui nous donnerait des chiffres précis. La République du Centre déclarait dans son dossier : « Environ 15 % des pratiquants de l’Orléanais seraient des ‘‘ tradis ’’ ». Dans l’agglomération orléanaise, par leur pratique, c’est vrai, et c’est déjà très bien. In re, en réalité, comme disent les théologiens, mais in voto, par le « désir », c’est peut-être beaucoup plus fort. Les « tradis anonymes », pour parler comme Karl Rahner sont sûrement beaucoup plus nombreux…
Nous avons donc demandé à JLM études une enquête auprès de la population du Loiret (diocèse d’Orléans). Cette enquête a été réalisée par téléphone selon les méthodes scientifiques habituelles, du 24 novembre au 6 décembre 2011. Elle a concerné 854 personnes résidant dans le département et âgées de plus de 18 ans. Le premier indice fourni fut de savoir que dans le Loiret 53 % des personnes se déclarent « catholiques », ce qui est dans la moyenne nationale basse. Quant aux autres chiffres ils sont tout simplement… extraordinaires.
En effet :
- 57 % des catholiques pratiquants (assistant au moins une fois par mois à la messe) considèreraient normale la coexistence des deux formes du rite dans leur paroisse ;
- 35 % auraient l’intention d’assister tous les dimanches à la messe selon la forme extraordinaire si elle était célébrée dans leur paroisse ;
- 22 % le feraient au moins une fois par mois.
Les chiffres de notre sondage confirment hautement ce dont les journalistes de La République du Centre avaient l’intuition dans des proportions que nous-mêmes n’osions imaginer il y a quelques années. Mais il ne s’agit que de sondages, de tendances comme diraient les professionnels… Le meilleur moyen de vérifier ces éléments dans les faits reste évidemment l’application du Motu Proprio dans toutes les paroisses !
D’ailleurs avant d’en arriver là, il est clair que de nombreux catholiques du diocèse d’Orléans ont fait savoir à leurs curés leur désir de vivre leur foi catholique en union avec l’Église dans leur paroisse au rythme de la forme extraordinaire, et au moins trois groupes de demandeurs formels se sont fait connaître depuis le 7 juillet 2007 :
- à Pithiviers : demande qui répondrait aux attentes des fidèles du nord du diocèse où rien n’est proposé actuellement ;
- à Chatillon-sur-Loire et Briare : demande qui répondrait aux attentes des fidèles du sud du diocèse où rien n’est proposé actuellement ;
- à La Source-Orléans : bien que deux messes dominicales soient proposées à Notre Dame de Recouvrance (ainsi que la messe de la Fraternité Saint Pie X en banlieue proche d’Orléans, à la Chapelle Saint Mesmin), une demande forte se dessine dans ce quartier d’Orléans, et y répondre positivement serait tout simplement tenir compte de la particularité des grandes agglomérations où nous savons que les fidèles se déplacent peu.
Après les trois lieux existants, répondre à l’attente de ces trois groupes serait un second pas important vers une « situation apaisée », pour citer Mgr Blaquart, qui permettrait de faire patienter les nombreux fidèles plus isolés qui, à défaut de pouvoir bénéficier de la messe extraordinaire dans leur paroisse, pourrait ainsi bénéficier des bienfaits du Motu Proprio sans avoir à faire des dizaines de kilomètres.
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 - Nous nous ne pouvons que nous réjouir du fait que l’équipe de La République du Centre ait effectué pour rédiger son dossier un vrai travail de journalisme d’information, sans parti-pris, en adoptant une attitude ouverte, réceptive et objective, sur un sujet rarement traité, et encore plus rarement avec calme et pondération.
2 - Dans le difficile contexte sociétal, comme on dit, que nous connaissons, l’Église catholique a un rôle majeur à jouer. Véritable phare dans la tempête, elle donne des repères essentiels, élargit les perspectives, élève les points de vue, offrant à tous cette charité surnaturelle puisée à la source vive de Celui qui l’a fondée. N’est-ce pas le moment de tourner la page de quarante années de guerre liturgique ? N’est-il pas temps de déposer les armes et de relever plutôt nos manches – tous – pour contribuer, chacun à notre mesure, à mettre un peu de levain dans la pâte ? L’expérience de la messe célébrée à Olivet, qui a rassemblé des dizaines de fidèles habitués pour certains à la forme extraordinaire et découvrant pour d’autres cette forme du rite, s’est non seulement très bien passée mais a montré l’attente des fidèles de vivre dans la Paix et de pouvoir bénéficier de la liturgie traditionnelle dans un cadre normal, sans avoir à se battre ou à faire des kilomètres pour en bénéficier.
Mgr Fort, ancien évêque d’Orléans, avait généreusement anticipé le Motu Proprio Summorum Pontificum en donnant un lieu, dès 2006, aux demandeurs de son diocèse : l’église de Cercottes, à 10 km d’Orléans. Quand la voûte de l’église (sans chauffage) commença de s’effondrer en 2009, Mgr Fort donna à la communauté une belle église du centre ville, désaffectée depuis quarante ans : Notre-Dame de Recouvrance. Son successeur, Mgr Blaquart, a entériné et approuvé. Plus aucun prêtre du diocèse ne remet en cause la présence de cette communauté, florissante et bien intégrée au diocèse.
Nous nous réjouissons que Mgr Blaquart estime à cet égard que l’Orléanais vit aujourd'hui une « situation apaisée ». Nous ne nous arrêtons pas sur son apparent mépris pour les « lefebvristes », un réflexe post-conciliaire que les événements en cours devraient rendre caduque d'ici peu…
3 - N’oublions cependant pas que si plus de 50 % des pratiquants du diocèse d’Orléans souhaiteraient vivre leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire, ce ne sont pas les quelques lieux où celle-ci est célébrée qui suffisent et qu’il est impératif que sa célébration soit étendue, sinon à toutes les paroisses du diocèse, au moins à chacun de ses doyennés… C’est d’ailleurs ce qu’implorent les fidèles qui ont fait savoir à leurs curés leurs désirs.
Si le diocèse d’Orléans est exemplaire en comparaison avec tant de diocèses où l’appel du Pape à la générosité n’est pas entendu, il reste que bien des catholiques doivent encore rester sur leur faim : car trois lieux sur « une centaine », cela fait 3 %. Pas de quoi satisfaire 15 % de pratiquants, et moins encore 60 % de « silencieux » qui n’oseront jamais demander mais qui n’attendent qu’un geste de générosité de leurs pasteurs ! N’est-ce pas dans chaque doyenné sinon paroisse qu’il conviendrait de proposer chaque dimanche une messe selon la forme extraordinaire du rite romain ?
Nous invitons donc les responsables du diocèse à considérer de près les chiffres de notre sondage, dont tous les détails sont consultables sur notre site, et à tirer les conclusions pastorales que ces résultats suggèrent.
Monseigneur Blaquart, votre diocèse est sous les feux de la rampe en ce 600ème anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc. Permettez-nous de reprendre la belle conclusion des propos que cet événement vous a inspirés et convenir avec vous que le souvenir de celle que Péguy considérait « la fille la plus sainte après la Sainte Vierge » nous renvoie « à notre conscience, aux fondements de nos engagements et à la pureté de nos actes ». Excellence, puisse sainte Jeanne d'Arc purifier nos engagements et nos actes du poison des vieilles idéologies ! Puisse l’expérience de réconciliation liturgique et pastorale réussie dans trois paroisses de votre diocèse vous inciter à laisser d’autres lieux s'ouvrir à la forme extraordinaire de la messe. Alors, que de moissons nouvelles, que de beaux fruits spirituels pour tous !
Nos lecteurs connaissent bien le traitement médiatique des catholiques attachés à la forme extraordinaire du rite romain : soit ils sont passés sous silence – et l’on sait ce que signifie de ne pas exister médiatiquement aujourd’hui ; soit ils sont maltraités, au moyen de toute une série d’amalgames et de préjugés bien rodés.
Nous avons découvert avec d’autant plus de gratitude l’initiative de La République du Centre qui, le 9 novembre dernier, consacrait sa une et deux pleines pages intérieures à un dossier au titre éloquent : « Messe en latin, tradition ou intégrisme ? » C’était une première, d’autant plus que le dossier était réalisé par des journalistes non-confessionnels quand les journalistes « religieux » n’y voient jamais matière à enquête, puisque pour eux ce sujet n’existe pas…
I – LE DOSSIER DE LA RÉPUBLIQUE DU CENTRE
À l’automne 2011, un ancien enfant de la paroisse d’Olivet, au Sud d’Orléans, va trouver le curé : il vient d’être ordonné prêtre, est moine bénédictin à Notre-Dame-de-Donezan dans l’Ariège (une fille de Fontgombault, où l’on pratique la liturgie traditionnelle) et aimerait célébrer à Olivet pour sa famille une première messe solennelle dans la forme extraordinaire du rite romain. Le curé – réputé plutôt avancé dans ses idées mais aussi connaisseur excellent et passionné du chant grégorien – donne son accord. Comme cela survient à l’époque où les « tradis » font grand bruit à Paris du côté du Théâtre de la Ville, La République du Centre décide d’y regarder de plus près. Une équipe de journalistes réfléchit ; ils préparent l’enquête avec soin, veulent aborder la question avec du recul. Leurs lecteurs les féliciteront pour leur ton détaché, leur hauteur de vue.
D’emblée, le problème est clairement posé par un titre choc, provoquant, qui réunit en quelques mots l’objet du débat et l’interrogation “ automatique ” sous-jacente, à propos de la « messe en latin » : tradition ou intégrisme ? Certes, la « messe en latin » ne résume pas à elle seule le clivage qui s’est opéré dans l’Église après Vatican II. C’est en effet le chambardement postconciliaire en matière liturgique qui a tout précipité. On a vu dans les paroisses, du jour au lendemain, les expérimentations les plus hasardeuses. Tout semblait permis. Tout sauf justement ce que le Concile avait d’abord recommandé de préserver, à savoir le latin et le chant grégorien. La « messe en latin » est donc bien au cœur du débat.
Le bon mot
Le rite extraordinaire - la messe en latin pour les profanes – agite encore les fantasmes. Jugée obscurantiste par une partie du clergé lui-même, il a longtemps servi de ligne de fracture entre Rome et les « intégristes » qui refusent Vatican II. Depuis que Benoît XVI a rétabli son usage, la ligne de partage est plus floue. Alors, lefebvriste, traditionaliste, intégriste : quel est le bon mot ? Dès qu’il est question de religion, l’amalgame n’est jamais bon. Il gangrène les discours, déchaîne les passions. Une chose est sûre, derrière la messe en latin se cache une multiplicité de pratiques et de sensibilités dans la grande famille catholique.
La couleur est annoncée, chaque mot est pesé. Cette entrée en matière, aussi ramassée qu’exhaustive, donne le ton : à l’adresse de son public, pour une large part catholique, La République du Centre annonce qu’elle se défie des « fantasmes » et des « amalgames ». En précisant : environ 15% des pratiquants de l’Orléanais seraient des « tradis ».
Sous cette donnée chiffrée, un encadré rappelle l’objet du Motu Proprio du 7 juillet 2007 et signale les trois lieux du diocèse où la messe traditionnelle est célébrée chaque dimanche. Signalons que pour parvenir à ce chiffre déjà « énorme », les journalistes n’ont pas mené une enquête « scientifique » mais ont tout simplement comparé les fidèles allant dans l’agglomération orléanaise à la messe de forme extraordinaire avec ceux de la même agglomération allant à la forme ordinaire…
Le titre du premier grand article élève le débat sans complexe :
LEUR FOI TRANSCENDÉE DANS LA TRADITION
Des chants en latin. Beaucoup d’encens. De nombreux chrétiens. Un profond recueillement. Reportage lors d’une messe célébrée selon la liturgie ancienne
Blandine Lamorisse (qui signe l’article) note qu’il y a des scouts : « les garçons aux premiers rangs ; les filles au fond de la nef ». C’est souvent l’inverse, mais les garçons avaient dû arriver les premiers... Qu’importe le détail, la journaliste rend compte de la « ferveur », de l’alternance de chants en latin et en français, de la participation active des fidèles (ce qui est, par parenthèse, la remarque habituelle de ceux qui assistent pour la première fois à une liturgie traditionnelle : la participation très forte les étonne). Deux témoignages sont retenus à la sortie de la messe : « Je trouve plus facile de prier et de se recueillir dans ce rite là » et « Intégriste vient littéralement du mot intégral. Dès lors je suis intégriste dans le sens où j’applique intégralement la doctrine. Le problème est que ce mot a été dévoyé par les musulmans. »
Un encadré et un article plus court clôturent cette première page du dossier. L’encadré est une « explication de texte » portant sur trois termes : Rite extraordinaire, Vatican II, Lefebvristes. L’article – « Une situation apaisée dans le diocèse » – résume un entretien avec Mgr Blaquart, pour qui « les traditionnalistes ont toute leur place » dans le diocèse. L’évêque d’Orléans « met en garde contre tout amalgame » entre les « traditionalistes » qui « participent pleinement à la vie du diocèse » et les « lefebvristes » qui (entre autres) « n’acceptent pas le dialogue interreligieux issu de Vatican II ».
La pleine page en vis-à-vis est consacrée à la Fraternité Saint Pie X. Elle comprend un long entretien avec l’abbé Jean-Yves Cottard et la relation d’une visite à sa « paroisse », installée depuis une dizaine d’années dans un ancien corps de ferme, à La Chapelle-Saint-Mesmin. Décidément, La Rép’ est sans complexe : offrir une si large tribune à ceux qui sont justement les plus décriés. Le titre de l’article n’est pas moins provocant : « Nous ne posons pas de bombe ! »
L’entretien avec l’abbé Cottard est mené rondement par Alexandre Charrier. Les réponses de l’abbé sont frappées au coin du bon sens. On le sent détendu. Nous ne citerons qu’un passage, celui touchant à la question liturgique :
Pourquoi n’acceptez-vous pas les réformes de Vatican II?
Je n’ai pas de problème avec le fait de présenter les vérités de la foi de façon plus compréhensible pour les hommes de notre temps mais cela a donné lieu à des abus insupportables. Je tiens à ce que soit respecté ce que Dieu a fait. Sous prétexte de créativité liturgique, tout est devenu permis. La réforme n’est valable que si elle apporte un progrès. Or est-ce que le séminaire est plein? Est-ce que les églises sont pleines ?
Du deuxième article, nous livrerons pour conclure, in extenso, ce témoignage capital : Guillaume, 22 ans, dit avoir eu le « coup de foudre » il y a cinq ans. Issu d’une famille catholique, il ne se sentait jusque là, « pas très impliqué ». Le rite tridentin lui a fait découvrir une autre dimension spirituelle. « La messe en français est vide à côté. Les curés sont plus libres et on est parfois perdu. » Même si le rite extraordinaire reste largement minoritaire, il ne se sent pas en marge. « Cela ne m’empêche pas d’avoir de très bonnes relations avec d’autres catholiques – au sein des scouts notamment – qui, eux, fréquentent les églises du diocèse. »
Sauf la dimension spirituelle, rarement évoquée, il y a là de quoi renverser tous les préjugés devenus habituels en la matière : non, il n’y a pas que des personnes âgées à goûter la liturgie ancienne ; non, les plus jeunes ne sont pas nécessairement tombés dedans au berceau, oui, on peut être bel et bien « perdu » à la messe nouvelle, finalement moins compréhensible que la messe en latin parce que le vent de liberté postconciliaire a résulté en une infinité de pratiques liturgiques déroutantes (et ajoutons : qui aurait le front de prétendre qu’il comprend mieux le mystère de la transsubstantiation quand il entend « ceci est mon corps » au lieu de « hoc est corpus meum » ?) ; oui, on peut pratiquer dans une forme du rite romain sans pour autant se couper des « autres » catholiques.
Nous encourageons ceux qui le peuvent à parcourir l’intégralité du dossier. Le tableau que nous en avons brossé permettra aux autres, nous l’espérons, d’avoir un aperçu de sa qualité. Les journalistes du quotidien orléanais ont traité avec une (hélas) rare objectivité ces catholiques dont le cœur bat pour la messe en latin.
II – LE SONDAGE DE PAIX LITURGIQUE
Pour en savoir plus, nous avons décidé de commanditer une enquête d’opinion auprès des catholiques du diocèse d’Orléans qui nous donnerait des chiffres précis. La République du Centre déclarait dans son dossier : « Environ 15 % des pratiquants de l’Orléanais seraient des ‘‘ tradis ’’ ». Dans l’agglomération orléanaise, par leur pratique, c’est vrai, et c’est déjà très bien. In re, en réalité, comme disent les théologiens, mais in voto, par le « désir », c’est peut-être beaucoup plus fort. Les « tradis anonymes », pour parler comme Karl Rahner sont sûrement beaucoup plus nombreux…
Nous avons donc demandé à JLM études une enquête auprès de la population du Loiret (diocèse d’Orléans). Cette enquête a été réalisée par téléphone selon les méthodes scientifiques habituelles, du 24 novembre au 6 décembre 2011. Elle a concerné 854 personnes résidant dans le département et âgées de plus de 18 ans. Le premier indice fourni fut de savoir que dans le Loiret 53 % des personnes se déclarent « catholiques », ce qui est dans la moyenne nationale basse. Quant aux autres chiffres ils sont tout simplement… extraordinaires.
En effet :
- 57 % des catholiques pratiquants (assistant au moins une fois par mois à la messe) considèreraient normale la coexistence des deux formes du rite dans leur paroisse ;
- 35 % auraient l’intention d’assister tous les dimanches à la messe selon la forme extraordinaire si elle était célébrée dans leur paroisse ;
- 22 % le feraient au moins une fois par mois.
Les chiffres de notre sondage confirment hautement ce dont les journalistes de La République du Centre avaient l’intuition dans des proportions que nous-mêmes n’osions imaginer il y a quelques années. Mais il ne s’agit que de sondages, de tendances comme diraient les professionnels… Le meilleur moyen de vérifier ces éléments dans les faits reste évidemment l’application du Motu Proprio dans toutes les paroisses !
D’ailleurs avant d’en arriver là, il est clair que de nombreux catholiques du diocèse d’Orléans ont fait savoir à leurs curés leur désir de vivre leur foi catholique en union avec l’Église dans leur paroisse au rythme de la forme extraordinaire, et au moins trois groupes de demandeurs formels se sont fait connaître depuis le 7 juillet 2007 :
- à Pithiviers : demande qui répondrait aux attentes des fidèles du nord du diocèse où rien n’est proposé actuellement ;
- à Chatillon-sur-Loire et Briare : demande qui répondrait aux attentes des fidèles du sud du diocèse où rien n’est proposé actuellement ;
- à La Source-Orléans : bien que deux messes dominicales soient proposées à Notre Dame de Recouvrance (ainsi que la messe de la Fraternité Saint Pie X en banlieue proche d’Orléans, à la Chapelle Saint Mesmin), une demande forte se dessine dans ce quartier d’Orléans, et y répondre positivement serait tout simplement tenir compte de la particularité des grandes agglomérations où nous savons que les fidèles se déplacent peu.
Après les trois lieux existants, répondre à l’attente de ces trois groupes serait un second pas important vers une « situation apaisée », pour citer Mgr Blaquart, qui permettrait de faire patienter les nombreux fidèles plus isolés qui, à défaut de pouvoir bénéficier de la messe extraordinaire dans leur paroisse, pourrait ainsi bénéficier des bienfaits du Motu Proprio sans avoir à faire des dizaines de kilomètres.
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 - Nous nous ne pouvons que nous réjouir du fait que l’équipe de La République du Centre ait effectué pour rédiger son dossier un vrai travail de journalisme d’information, sans parti-pris, en adoptant une attitude ouverte, réceptive et objective, sur un sujet rarement traité, et encore plus rarement avec calme et pondération.
2 - Dans le difficile contexte sociétal, comme on dit, que nous connaissons, l’Église catholique a un rôle majeur à jouer. Véritable phare dans la tempête, elle donne des repères essentiels, élargit les perspectives, élève les points de vue, offrant à tous cette charité surnaturelle puisée à la source vive de Celui qui l’a fondée. N’est-ce pas le moment de tourner la page de quarante années de guerre liturgique ? N’est-il pas temps de déposer les armes et de relever plutôt nos manches – tous – pour contribuer, chacun à notre mesure, à mettre un peu de levain dans la pâte ? L’expérience de la messe célébrée à Olivet, qui a rassemblé des dizaines de fidèles habitués pour certains à la forme extraordinaire et découvrant pour d’autres cette forme du rite, s’est non seulement très bien passée mais a montré l’attente des fidèles de vivre dans la Paix et de pouvoir bénéficier de la liturgie traditionnelle dans un cadre normal, sans avoir à se battre ou à faire des kilomètres pour en bénéficier.
Mgr Fort, ancien évêque d’Orléans, avait généreusement anticipé le Motu Proprio Summorum Pontificum en donnant un lieu, dès 2006, aux demandeurs de son diocèse : l’église de Cercottes, à 10 km d’Orléans. Quand la voûte de l’église (sans chauffage) commença de s’effondrer en 2009, Mgr Fort donna à la communauté une belle église du centre ville, désaffectée depuis quarante ans : Notre-Dame de Recouvrance. Son successeur, Mgr Blaquart, a entériné et approuvé. Plus aucun prêtre du diocèse ne remet en cause la présence de cette communauté, florissante et bien intégrée au diocèse.
Nous nous réjouissons que Mgr Blaquart estime à cet égard que l’Orléanais vit aujourd'hui une « situation apaisée ». Nous ne nous arrêtons pas sur son apparent mépris pour les « lefebvristes », un réflexe post-conciliaire que les événements en cours devraient rendre caduque d'ici peu…
3 - N’oublions cependant pas que si plus de 50 % des pratiquants du diocèse d’Orléans souhaiteraient vivre leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire, ce ne sont pas les quelques lieux où celle-ci est célébrée qui suffisent et qu’il est impératif que sa célébration soit étendue, sinon à toutes les paroisses du diocèse, au moins à chacun de ses doyennés… C’est d’ailleurs ce qu’implorent les fidèles qui ont fait savoir à leurs curés leurs désirs.
Si le diocèse d’Orléans est exemplaire en comparaison avec tant de diocèses où l’appel du Pape à la générosité n’est pas entendu, il reste que bien des catholiques doivent encore rester sur leur faim : car trois lieux sur « une centaine », cela fait 3 %. Pas de quoi satisfaire 15 % de pratiquants, et moins encore 60 % de « silencieux » qui n’oseront jamais demander mais qui n’attendent qu’un geste de générosité de leurs pasteurs ! N’est-ce pas dans chaque doyenné sinon paroisse qu’il conviendrait de proposer chaque dimanche une messe selon la forme extraordinaire du rite romain ?
Nous invitons donc les responsables du diocèse à considérer de près les chiffres de notre sondage, dont tous les détails sont consultables sur notre site, et à tirer les conclusions pastorales que ces résultats suggèrent.
Monseigneur Blaquart, votre diocèse est sous les feux de la rampe en ce 600ème anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc. Permettez-nous de reprendre la belle conclusion des propos que cet événement vous a inspirés et convenir avec vous que le souvenir de celle que Péguy considérait « la fille la plus sainte après la Sainte Vierge » nous renvoie « à notre conscience, aux fondements de nos engagements et à la pureté de nos actes ». Excellence, puisse sainte Jeanne d'Arc purifier nos engagements et nos actes du poison des vieilles idéologies ! Puisse l’expérience de réconciliation liturgique et pastorale réussie dans trois paroisses de votre diocèse vous inciter à laisser d’autres lieux s'ouvrir à la forme extraordinaire de la messe. Alors, que de moissons nouvelles, que de beaux fruits spirituels pour tous !