SOURCE - Pierre Hafeu - Eschaton - 16 mai 2012
Je publie ici un article de notre collaborateur Pierre Hafeu dont je ne partage pas la position mais qui permet de bien saisir les deux lignes qui s’opposent dans la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Pierre Hafeu soutient que le refus d’obéissance de Mgr Lefebvre, lors des sacres de 1988, était essentiellement de nature doctrinale. En conséquence, les problèmes doctrinaux n’étant toujours pas réglés, la Fraternité ne peut accepter d’accord sans renier son fondateur. Je pense pour ma part que l’état de nécessité que la Fsspx a toujours invoqué pour justifier les sacres de 1988 reposait essentiellement sur le fait que Mgr Lefebvre disait avoir obtenu des garanties insuffisantes de Rome lui assurant de pouvoir continuer à faire « l’expérience de la Tradition ». Sans ces garanties Mgr Lefebvre a jugé nécessaire, compte tenu de la crise que traversait l’Eglise, qu’il ne pouvait se dispenser de doter la FSSPX d’évêques susceptibles de lui succéder à sa mort. Certes Mgr Lefebvre a toujours mis en lien la crise dans l’Eglise avec certains enseignements du Concile et certains actes posés par les papes à sa suite. Il n’a jamais caché refuser certaines orientations doctrinales et pastorales engagées par les papes depuis Vatican II, mais la rupture n’est intervenue que parce qu’il a estimé que son oeuvre, nécessaire au rétablissement de l’Eglise, n’était pas garantie dans sa pérennité par les propositions que lui avaient faites le cardinal Ratzinger en 1988. Si Mgr Fellay estime le contraire actuellement, alors les fidèles de la Fsspx doivent le suivre. Il n’y a pas à hésiter une seconde.
Julien Gunzinger
Remarques sur les actuelles discussions entre Rome et Écône et sur leurs conséquences quant à la cohésion interne de la Fsspx - pour Eschaton, de notre collaborateur Pierre Hafeu
Trois des évêques de la Fsspx sont réticents à l’accord qui s’annonce, et pour cause : il leur faudrait accepter ce qu’ils combattent depuis plus de vingt ans. Je crains donc que l’accord annoncé ne brise la Fsspx en deux factions, l’une trahissant Le combat historique de la Fsspx en acceptant le Concile en sa totalité (condition de la prélature personnelle proposée par Rome à la Fsspx), l’autre refusant cette réconciliation factice. Comme l’écrivent Mgrs Galarreta, Tissier de Mallerais et Williamson : « Si nous luttons depuis 20 ans pour résister aux erreurs conciliaires, ce n’était pas pour nous mettre maintenant entre les mains de ceux qui professent ces erreurs. »[1]
Surtout, j’attends de voir la teneur exacte des discussions doctrinales préparatoires ayant eu lieu entre théologiens romains et théologiens de la Fsspx. Car la Fsspx a jusqu’ici toujours affirmé qu’un accord doctrinal était le préalable à la réconciliation. Mgr Fellay lui-même : « il est impossible et inconcevable de passer à la troisième étape, donc d’envisager des accords, avant que les discussions n’aient abouti à éclairer et corriger les principes de la crise. »[2] Les discussions ont-elles permis de corriger les fausses doctrines de la Rome progressiste ? J’en doute. Je doute que Rome soit disposée à admettre que les erreurs doctrinales sont dans les énoncés conciliaires. On connait trop l’idéologie romaine : il n’y a pas d’erreurs dans le Concile mais dans l’interprétation du Concile. Pas d’erreurs donc dans Nostra Ætate ou Dignitatis humanæ… D’où la vive réaction des trois confrères de Mgr Fellay : « les trois évêques de la FSSPX qui ne font pas partie du Conseil Général souhaitent lui faire savoir, avec tout le respect qui convient, l’unanimité de leur opposition formelle à tout accord semblable. »[3]
Bref, je crains que Fellay ne soit en train de détruire la Fsspx prête à imploser en deux obédiences, l’une ralliée, l’autre toujours rebelle. Je doute d’ailleurs que les ralliés puissent pratiquer subversivement l’entrisme. Ils seront, comme pour les prêtres de l’Institut du Bon Pasteur, manipulés et récupérés par la Rome progressiste. C’est ainsi que la Commission Pontificale Ecclesia Dei en est à leur proposer un changement de statuts. Quand à la liturgie, en violation des statuts accordés à l’IBP, non plus des célébrations exclusivement selon la forme extraordinaire du rite romain mais aussi des célébrations selon la forme ordinaire de ce rite, motif pris qu’il serait souhaitable d’uniformiser les Statuts de l’Institut avec l’esprit du Motu Proprio Summorum Pontificum. Quand à la doctrine, « diminuer « la critique, même sérieuse et constructive » des aspects du Concile Vatican II qui soulèvent des difficultés, pour insister davantage « sur l’herméneutique du renouvellement dans la continuité », en adoptant « comme base » le « Nouveau Catéchisme » »[4]. Le procédé ne peut tromper personne : Rome intègre puis disloque.
Qui peut d’ailleurs s’en étonner ? Le Pape a plénitude de juridiction sur l’Église entière. Le Pape peut donc, par les organes du Pontificat que sont les Congrégations romaines, modifier unilatéralement le droit concédé, les statuts accordés à l’IBP. Il ne s’agit pour le moment que de suggérer aux autorités de l’IBP un changement de statut. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Rome sait aussi user du langage de la fermeté. Tout le piège des ralliements est là. En se ralliant à la hiérarchie romaine en place, s’affirme du fait-même qu’elle n’est pas responsable de la crise frappant l’Église. Impossible lors de dissentir aux ordres de Rome : une fois rallié, l’obéissance est de mise, les raisons du dissentiment étant réputées nulles.
La rébellion de la Fsspx se voulait légitime, arguant de l’évidence du fait (evidentia facti) d’état de nécessité lié à la corruption doctrinale frappant l’Église et ses chefs. En effet, suite à la déclaration de l’excommunication latæ sententiæ consécutive aux sacres sans mandats, cette conséquence juridique d’une présomption de juris et jure que les évêques sacrés et consécrateurs étaient réellement schismatiques. Or, à la différence de la présomption de juris simpliciter, qui peut être renversée par la preuve du fait contraire, la présomption de juris et de jure ne peut être détruite qu’en établissant soit une erreur dans la procédure, soit l’évidence du fait contraire : à défaut d’être évident, sa preuve est irrecevable, par où la présomption de juris et de jure diffère, quant à ses effets, de la présomption de juris simpliciter. Quand pour leur défense théologiens et canonistes de la Fsspx arguaient d’un état de nécessité à même de justifier d’avoir agit sans mandat et contre la volonté expresse du Pape, ils supposaient cet état de nécessité si flagrant qu’évident. Soit donc le combat de la Fsspx était illégitime, soit non. Si non, c’était à raison de l’évidence de si graves désordres frappant l’Église qu’impliquant un état de nécessité : le salut des âmes exigeait qu’on passa outre le refus formel du Pape et sacra sans mandat. Or la Fsspx a toujours vu dans le Concile la cause même des désordres d’après concile. Et voilà qu’on nous annonce un ralliement à Rome sans accord doctrinal préalable. Que s’en suivra-t-il ? Ceci qu’en se ralliant aux autorités en place sera reconnu qu’elles ne sont pas en cause dans les désordres frappant encore l’Église. Il sera lors pratiquement impossible de dissentir aux ordres de Rome.
À défaut d’accord doctrinal préalable, l’acceptation d’une prélature personnelle signera le triomphe des progressistes sur les traditionalistes, ces derniers se livrant pieds et poings liés à une hiérarchie pourtant dénoncée scélérate des décennies durant.
Mgr Fellay signera-t-il la ruine de la tradition?
[1] Lettre du 7 avril 2012 des trois évêques à leur confrère Mgr Fellay.
[2] Revue Fideliter, n.171.
[3] Lettre du 7 avril 2012 des trois évêques à leur confrère Mgr Fellay.
[4] Tiré de Disputationes Theologicae, le blog de l’IBP.