25 juin 2016

[F . Louis-Marie, o.s.b., abbé - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du Barroux] Haïr… les vices ?

SOURCE - Les Amis du Monastère - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du Barroux - n°158 - juin 2016

Saint Benoît demande au Père Abbé de haïr les vices et de lutter à temps et à contretemps contre le péché. Comment comprendre cela à la lumière de la miséricorde, à laquelle saint Benoît exige aussi de ne rien préférer? 

Pour commencer, il faut bien admettre que les pères du désert, et saint Benoît, leur fidèle successeur, ont fait de cette lutte continuelle un élément essentiel de leur chemin de conversion. La patience de Dieu est présentée comme une invitation divine à se convertir, et donc à lutter contre ses défauts. Le code pénitentiel de la Règle est très strict : tout murmure, retard, négligence, fausse note doivent être combattus, corrigés et réparés par une digne satisfaction. Le modèle du moine est l’ermite, celui qui est capable, Dieu aidant, d’affronter avec assurance la lutte contre les vices de la chair et de l’esprit. Au chapitre quatrième, intitulé « Quels sont les instruments des bonnes œuvres », sur 72 commandements, 50 sont négatifs : « Ne point satisfaire la colère, ne point jurer de peur de se parjurer… » Comme si la lutte contre les vices était plus importante que les préceptes positifs.
   
Mais comment faire pour haïr les vices chrétiennement sans tomber dans la haine tout court? 
   
Il est clair que pour saint Benoît l’âme de toute conversion est la lumière divine : « Ouvrons nos yeux à la lumière qui divinise. » Dans notre propre conversion, s’il est bon d’avoir la frayeur de l’enfer, il est plus essentiel de désirer la vie éternelle de toute l’ardeur de son âme. S’il est bon de vivre sous le regard de Dieu auquel rien, aucune action, aucune pensée, aucun désir n’échappent, il est plus fondamental d’être bien persuadés qu’avant que nous l’invoquions, le Seigneur nous dit : « Je suis là. » Oui, Il est là pour nous guider, nous éclairer, nous aider. S’il est bon de pleurer nos péchés et de les confesser à un ancien, c’est à condition de ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu. 
     
Et aux supérieurs qui ont charge d’âmes, les évêques, les prêtres, les abbés, les pères et mères de famille, saint Benoît donne bien la mission de lutter contre les vices, les défauts des tempéraments et les manquements.

C’est une mission sacrée pour laquelle le supérieur devra rendre compte au jugement dernier. Il subira donc un examen non seulement de l’état de son âme, mais aussi des âmes à lui confiées par le Seigneur. Mais qu’il corrige en pensant toujours à la parabole de la paille et de la poutre. Que le souci des affaires d’autrui le rende plus attentif aux siennes propres. Qu’il s’adapte à tous les tempéraments. Qu’il pense à corriger progressivement. Avant de sévir, qu’il n’oublie jamais d’instruire. Le choix d’un supérieur devrait toujours se faire sur l’examen de sa doctrine et du mérite de sa vie. Combien de pauvres fidèles sont dans l’ignorance à cause du manque d’enseignement ou pis, du péché d’hérésie de la part de clercs! C’est une lourde charge, un véritable labeur, que de trouver la bonne parole. Pour reprendre l’expression de saint Paul, c’est un «enfantement continuel».

Enfin, s’il est bon que le supérieur cherche à se faire craindre, il doit avant tout chercher à se faire aimer, en raison même du nom qu’il porte : « Père ». Et, vous l’avez sans doute compris, s’il est bon de haïr les vices, c’est uniquement dans le but bien supérieur d’aimer ses frères. 

+ F . Louis-Marie, o.s.b., abbé