SOURCE - Le Monde - La Monde Académie - 17 juin 2016
Occupée depuis octobre dernier, l'église Sainte-Rita est un lieu qui intrigue. Une dizaine de jeunes y ont élu domicile pour lutter contre sa démolition.
Occupée depuis octobre dernier, l'église Sainte-Rita est un lieu qui intrigue. Une dizaine de jeunes y ont élu domicile pour lutter contre sa démolition.
Barricadée, taguée, défraîchie. L’église Sainte-Rita est fatiguée. C’est à peine si on remarque cet édifice, pris au piège entre les places de parking et le passage régulier des camions de livraison. Sous la voûte en béton armé, des jeunes vont et viennent. Vendue à un promoteur immobilier il y a quatre ans, l’église est un territoire occupé depuis sa démolition annoncée à l’automne 2015. Une lutte singulière se joue ici, en plein cœur du XVe arrondissement de Paris.
“Si on ne dort pas là, ils viendront à 6h du matin”, explique Pierre dans son treillis militaire. Originaire du quartier, il est l’un des rares à occuper l’église jour et nuit, avec sa femme et leur enfant en bas âge. Le regard fuyant , dissimulé sous sa chevelure mi-longue, il hésite à répondre, finit par accepter. Issu d’une famille catholique traditionaliste, il a grandi à Paris avant de choisir, à 27 ans, de s’installer à Sainte-Rita tant que celle-ci sera menacée. Comme la majorité de la quinzaine d’occupants, Pierre déclare être passé par l’armée, après un BTS en maths appliquées. “J’étais fusilier marin, mais j’ai arrêté à la fin de mon contrat de 5 ans”.
Depuis quelques mois, les résidents tentent de redonner une nouvelle vie à l’édifice. Du mobilier liturgique est rapporté, des cadres de la Vierge Marie habillent timidement les murs décrépis, des bouquets se fanent sur les commodes. Et dans les coins, des matelas éventrés. Un pêle-mêle d’espoirs et d’idées. Sans doute aussi bigarré que ceux qui occupent le lieu.
La situation de Sainte-Rita a toujours été particulière. Construite au début du XXème siècle, elle fut gérée par une association gallicane. Elle n’est donc pas propriété de l’Etat, contrairement à la plupart des églises françaises, ce qui a permis sa vente.
Le 4 octobre 2015, veille de la démolition prévue, Pierre se rend sur les lieux avec quelques amis. Dès le lendemain, “on a eu des emmerdes avec les mecs des bulldozers payés pour la détruire par leur agence d’intérim. Le ton est monté assez vite. Mais à 7h30, Philippe Goujon, maire du XVe, est arrivé avec son écharpe et tous ses suppléants”. La destruction est suspendue. Depuis, Pierre dort dans les annexes du bâtiment, entretient l’église au quotidien et surveille les lieux. “Quand il y a des mecs qui viennent à cinq ou six, voire même dix ou quinze, qui sont tous bourrés, sous coke ou shités, tu as beau leur mettre quelques baffes dans la tête, ils ne comprennent pas et reviennent”. Un combat de tous les jours qu’il tente d’éloigner des revendications politiques. Ce sont ses premiers mots : “celui qui veut rentrer dans l’église doit laisser la politique sur le pas de la porte”.
La réalité semble plus complexe et sa langue se délie au fil de la conversation. Il se revendique anti-capitaliste et anti-européen, puis rajoute: “Si la jeunesse d’aujourd’hui continue d’essayer de changer les choses par la force c’est mal barré. Il faudrait s’intéresser aux cultures alternatives. Éviter de se servir tous les jours de sa carte bleue, de retirer de l’argent”. Son regard se tourne vers une petite table à l’entrée de l’église. Quelques plantes en pots. Du thym. Du basilic. Un arrosoir. Les jeunes s’essayent au jardinage, parlent permaculture et gaspillage alimentaire. “Ici, juste à côté, les magasins jettent 300 à 400 kilos de nourriture. Sans compter le Monoprix qui escorte ses poubelles, via une société privée d’éboueurs.”
Ici, s’enchevêtrent les luttes et les espoirs : protection du patrimoine, révolution sociale, défense de la patrie et de la foi chrétienne, démocratie directe, lutte contre le gaspillage alimentaire… Difficile d’y voir clair. Pas étonnant, après tout, dans un lieu dédié à Sainte Rita, dite patronne des “causes désespérées et des choses impossibles”.
Franck, 32 ans, vient de rejoindre l’occupation. Rangers, pull-over noir et treillis militaire, il a revêtu sa “tenue de soirée” comme il aime à le dire. Il a perdu son travail en Belgique, nettoyeur industriel, “une condition d’esclave”. Après une période d’errance, il défend, avant-tout, le patrimoine: “des châteaux, des maisons, des églises...: c'est notre Histoire ! on veut détruire l'identité nationale”.
Son père, qui a fait mai 68, lui a dit un jour : « j'ai honte de ce qu'on vous a laissé ». Il continue fièrement: “Mon grand-père était dans la Résistance, on a toujours été là pour défendre la terre de France”. Franck, lui, s’emballe: “Je suis Napoléonien. Il a su remettre les choses en place avec le code civil, donner de l’ordre aux citoyens. Mais je suis pour la démocratie directe et participative”. Pourfendeur du système, il rêve de la destitution du gouvernement “par la loi mais avec l’armée en cas de violence. Je veux la révolution... mais j’aime l’ordre”.
Quand on lui fait remarquer combien sa position est trouble, Franck triomphe : “J’aime être confus. Ca permet de se protéger contre les idées reçues, ne pas être cerné d’emblée”. Et si ses ambiguités rappelaient celles d’Alain Soral, idéologue bien connu des jeunes? “Oui, c’est un type interressant, mais je ne fais pas confiance aux leaders de la Dissidence”. Franck avait voté Chirac à la présidentielle de 2002. Il n’aurait pas choisi Le Pen, “des gens dangereux qui ne peuvent apporter que le conflit”. Maintenant? Il ne vote plus.
À l’extérieur, des gens prennent parfois le temps de s’arrêter devant l’Eglise, intrigués par les palissades de chantier pleines de graffitis et d’autocollants déchirés de l’Action Française. “On a laissé les barrières pour se mettre à l’abri des projectiles”, explique Franck. Les occupants sont, il faut dire, dans le collimateur de certains groupuscules de gauche qui voient dans Sainte-Rita une “zad d’extrême droite”.
Une femme sort avec précipitation de l'église. C’est Karen, fille de militaire, mère célibataire de 35 ans, sans emploi. Elle insiste pour parler: “Là, j’ai pas le temps, mais prenez mon numéro !”. Plus tard, elle explique que sa vie a basculé depuis son “engagement”, multiplie les appels pour raconter l’absence de repère chez les jeunes et “de figure paternelle chez nos dirigeants politiques”. La voix dérape dans l’émotion pour dénoncer “l’oppression permanente de l’argent”. Les silences s’enchaînent. “Face à ça on se crée notre propre famille, avec des systèmes d’autogestion, comme un village." Elle conclut, "Ca m’a fait du bien parler, merci”.
L’abbé Guillaume Tarnoüarn est l’un des membres éminent de ce “village”. Il ressemble à n’importe quel abbé, cheveux blancs, ventre rond, soutane, qui reçoit, bonhomme, dans un café voisin. Traditionaliste, il officie en latin, se revendique de la “Manif pour tous” et ne cache pas sa proximité avec la pensée de Charles Maurras. Contacté par Le Monde, le spécialiste Jean-Yves Camus le présente comme un “prêtre en règle”, un “esprit indépendant et original”. Mais, à vrai dire, tout cela n’a pas vraiment d’importance pour les occupants de l’Eglise : ils le voient surtout comme un philosophe qui fait la messe à 16h chaque dimanche depuis décembre dernier. Tous n’y vont d’aillleurs pas. Lui les a surnommé les “zadistes”,”des jeunes marginaux mais pas des cloches”, “une petite arche de Noë”. Tout en faisant bien attention de se distancer de l’ “hystérie politique” de certains. Il se dit “un protestataire parmi d’autre”, parce que “détruire une église en plein Paris est un symbole catastrophique”.
Trois jeunes catholiques s'arrêtent devant l’église, interpellés: “Elle va vraiment être rasée ? C’est juste pas possible”. Tout au long de la journée les personnes défilent, des retraités du quartier se recueillent ou assistent, curieux, à l’organisation de ce petit monde parallèle. Le mardi à 19h, heure du “chapelet médité”, une petite dizaine de personnes vient communier, comme Sara et Jean-Yves, couple de trentenaires, qui traverse tout Paris. Ils ne savent pas réellement qui sont les occupants mais saluent cette jeunesse qui tranche avec le “conformisme et la tiédeur ambiante”. Devant la porte, Morgane fume une mentholée. Elle est membre de l’association Communauté chrétienne Sainte Rita Paris XVème, une “bande jeune de 20 à 30 ans”. Elle aussi défend l’Eglise, mais sans y dormir. “On a eu du mal au début mais l’abbé Guillaume Tanoüarn nous a aidé. Maintenant, on est même sur twitter !”. En attendant la probable démolition, le cahier des intentions de prière ne désemplit pas. Un message non signé attire l’attention : “Sainte-Rita, sauvez la France”.
A l’ombre de la voûte en béton armée, une bande de jeune se tient à l’écart du monde moderne. Loin de tout mais proche de rien. Sainte-Rita, c’est faire l’expérience troublante d’approcher un lieu insaisissable. Un lieu confus où tout se brouille. Dans lequel plus rien n’a de prise. “Pour moi il y a une confusion mentale totale, très significative d’une société sans grand projet social, ni idéal commun”, dit l’abbé. “ Qu’est ce qu’ils leur restent ? Ils sont un peu orphelins de tout”.