31 mai 2017

[Céline Hoyeau & Mélinée Le Priol - La Croix] Les lefebvristes français restent sur leurs gardes

SOURCE - Céline Hoyeau & Mélinée Le Priol - La Croix - 31 mai 2017

Un accord entre Rome et les héritiers de Mgr Marcel Lefebvre, trente ans après son excommunication, pourrait être annoncé d’ici cet été. Cette perspective suscite chez les fidèles proches de la Fraternité Saint-Pie-X des réactions mitigées.

À la mi-mai, Saint-Nicolas-du-Chardonnet était en ébullition. L’abbé Patrick de La Rocque, curé de cette emblématique église du centre de Paris, occupée par les traditionalistes depuis 1977, venait d’être relevé de ses fonctions par ses supérieurs de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) avec six autres responsables de la Fraternité. En cause, leur opposition publique au récent texte du Vatican reconnaissant les mariages entre fidèles lefebvristes.

Un énième épisode symptomatique des crispations provoquées par la perspective, plus réelle que jamais, d’une réconciliation avec Rome. Le Vatican pourrait en effet accorder prochainement à la FSSPX une prélature personnelle, cadre juridique très souple sur le modèle de l’Opus Dei : la Fraternité ferait alors partie de la structure hiérarchique de l’Église sans toutefois être circonscrite à un territoire comme les diocèses.

Même parmi ceux qui voient d’un plutôt bon œil une telle réintégration, les inquiétudes sont vives. « Une fois qu’on sera rattaché à Rome, aura-t-on la même liberté ? », interroge Caroline, paroissienne de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. « Nos écoles pourront-elles continuer, sans toujours devoir demander des autorisations à l’évêque du lieu… Ne nous donne-t-on pas une prélature pour nous empêcher de faire ce qu’on veut ? »
« Plus le temps passe, plus les écarts se creusent »
« Méfiance », « risque », « danger » : ces mots reviennent souvent dans la bouche de Thomas, fiscaliste en entreprise, qui fréquente lui aussi Saint-Nicolas-du-Chardonnet. S’il se dit partisan du ralliement conduit par Mgr Bernard Fellay, le supérieur de la FSSPX, ce trentenaire redoute que la main tendue par Rome soit « un prétexte pour nous faire rentrer dans le rang ». Pour autant, estime-t-il, la FSSPX n’a « rien à perdre ».

« Plus le temps passe, plus les écarts se creusent, et si l’on attend trop, on va aboutir à un schisme réel. Pour moi, ce serait trop douloureux. Si l’on considère que l’Église reste l’épouse du Christ, s’en séparer n’a pas de sens. » Thomas craint aussi que la Fraternité devienne à terme une entité marginale, sans chef ni autorité. « Mgr Lefebvre ne voulait pas qu’on reste trop longtemps à l’écart, sous peine d’être gagnés par un esprit sectaire », renchérit Caroline.
Elle-même souhaite cet accord, mais constate que beaucoup, autour d’elle, sont déstabilisés par la figure du pape François, qu’elle juge pour sa part « inattendu » et « surprenant ». « Il tend la main à tout ce qui est à l’écart mais ses idées très progressistes sont bien éloignées de la ligne de Mgr Lefebvre. » En cause, l’œcuménisme prôné par le pape et l’exhortation apostolique Amoris Laetitia. « Chez nous, les catholiques de tout temps, on a maintenu l’infaillibilité du mariage », s’offusque Caroline.
Des réfractaires surtout en France
Si ces craintes sont bien réelles, les réfractaires à un accord avec Rome ne semblent représenter qu’une minorité, cantonnée au district de France. En Allemagne, en Suisse ou aux États-Unis, les négociations sont suivies favorablement, et une pétition lancée voici près de deux semaines en plusieurs langues, contre l’accord portant sur les nullités de mariage, n’a recueilli que 500 signatures dans le monde.

Pour Marie-Alix Doutrebente, paroissienne de Notre-Dame de Consolation à Paris, ce sont les « derniers soubresauts » de quelques prêtres qui résistent d’autant plus que l’accord est proche… La majorité, aux yeux de cette femme qui a collaboré à la fondation, il y a 20 ans, d’un groupe de dialogue informel entre catholiques des deux bords, est dans l’attente d’un heureux dénouement. « Pour nous, les fidèles, c’est une vraie souffrance depuis quarante ans. Nous aspirons à retrouver notre place dans l’Eglise et prier sur les mêmes bancs. »
Montrer à l’Église le droit chemin
Les esprits sont plus mûrs également, rappelle-t-elle, depuis la publication du motu proprio, il y a dix ans, par lequel Benoît XVI a libéralisé la messe tridentine. « Beaucoup de familles qui ne fréquentaient que les chapelles de la Fraternité Saint-Pie-X suivent aujourd’hui aussi la messe à l’Institut du Christ-Roi ou dans les paroisses diocésaines où elle est célébrée selon la forme extraordinaire. »

Une fois réintégrés et « dédiabolisés » comme ils disent, les lefebvristes affirment cependant vouloir montrer à l’Église le droit chemin. « Nous n’avons rien changé à la doctrine de toujours, veut croire Caroline. La Fraternité pourrait rendre à l’Église un grand service en lui apportant cette rigueur dans la foi. Et nos nombreuses vocations religieuses pourraient bénéficier à tous les catholiques. » Un retour, peut-être, mais, semble-t-il, sans rien céder sur le fond.
-----
Trois évêques français reconnaissent les mariages de la Fraternité Saint-Pie X 
L’archevêque de Strasbourg Mgr Luc Ravel est devenu mercredi 31 mai le troisième évêque français à appliquer la lettre de la commission Ecclesia Dei du 27 mars dernier concernant les mariages dans la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX). 
Après Mgr Alain Planet, évêque de Carcassonne et Narbonne, et Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Ravel va donc donner à certains prêtres de la FSSPX dans son diocèse la délégation nécessaire pour bénir ou recevoir les consentements du mariage. 
Cette autorisation est un pas de plus vers le retour des lefebvristes dans la pleine communion de l’Église catholique : cette dernière ne reconnaissait pas, jusqu’ici, les mariages célébrés par un prêtre de la FSSPX.
Céline Hoyeau et Mélinée Le Priol