SOURCE - Jean Madiran - Présent - 16 décembre 2011
Le débat qui, selon les points de vue, a (ou n’a pas) eu lieu, ou plutôt qui a été jusqu’ici refusé sur Vatican II, est très précisément celui qui fut (re)lancé par l’un des premiers actes de Benoît XVI, son discours du 22 décembre 2005 à la Curie : il reconnaissait officiellement qu’il y avait bien un problème entre deux « herméneutiques », c’est-à-dire deux interprétations du Concile, l’une dans un esprit de continuité, et non pas l’autre (la plus courante en fait), dans un esprit de rupture avec la tradition magistérielle antérieure. Ce test de la continuité interprétative a germé et cheminé lentement dans les hauts lieux ecclésiastiques jusqu’à provoquer le récent article ambigu de Mgr Ocariz (dans L’Osservatore Romano) dont nous parlions jeudi dernier. Mais si la continuité est enfin reconnue comme un critère essentiel, cela contribue à remettre au premier plan le coup de théâtre, ou plutôt le coup d’Etat conciliaire d’octobre 1962.
On l’avait plus ou moins oublié. L’attention publique a été ramenée sur lui par le livre de Robert de Mattei Il concilio Vaticano II, una storia mai scritta (cf. p. 203-208 et la suite, notamment p. 235-238). De son côté Mgr Gherardini en a tiré un argument qui mérite d’être examiné en lui-même.
De quoi s’agit-il ? Le coup d’Etat ecclésiastique avait débuté le 13 octobre 1962, à la première assemblée conciliaire, par une intervention illégale du cardinal Liénart. Il s’ensuivit le rejet, en bloc, sans examen, de tous les schémas annotés et approuvés par Jean XXIII. Ils avaient été rédigés par la Commission préparatoire que Jean XXIII avait instituée en 1959 et qui, par un travail de trois années, avait établi le projet de 54 décrets et 15 constitutions dogmatiques. « La première rupture, dit Gherardini, fut fatale : un refus grossier de tous ces schémas. » Ils étaient destinés à fournir la base et le point de départ des discussions ; ils constituaient le programme que Jean XXIII avait établi pour le concile qu’il convoquait ; ils étaient une synthèse du « magistère pluriséculaire, résumé et actualisé ». La rupture est évidente, elle est massive, elle est un fait total, un fait révolutionnaire : « la révolution d’octobre dans l’Eglise », ainsi définie et approuvée par le futur cardinal Congar, que l’on soupçonna d’avoir imaginé une analogie léniniste avec la « révolution d’octobre » soviétique, la révolution de 1917, alors que, peut-être, il s’agissait simplement de la révolution d’octobre 1962 dans l’Eglise.
Cette rupture, analyse Gherardini, « avant de porter sur des matières déterminées, a porté sur l’inspiration de fond. On avait décrété un certain type d’ostracisme, mais pas envers l’une ou l’autre des vérités révélées et proposées comme telles par l’Eglise » ; « un acharnement particulier contre le thomisme considéré comme dépassé et désormais très éloigné de la sensibilité et des problématiques de l’homme moderne » ; mais « rejeter saint Thomas allait entraîner un effondrement doctrinal ».
La rupture d’octobre 1962 a été manigancée et imposée par une conjuration minoritaire, mais acceptée, approuvée, finalement glorifiée et vécue par une très large majorité. Ce fut une décision conciliaire et non pas une abusive et sournoise interprétation postconciliaire. La totalité du Concile ne se ramène pas forcément à la rupture : cela demande examen et vérification, ce sera le vrai débat, tôt ou tard. Quand Vatican II cite des conciles antérieurs, ces citations n’en sont pas forcément dévalorisées. Il reste seulement la crainte, ou le soupçon, qu’elles aient été faites parfois, qu’elles aient été faites souvent, qu’elles aient été faites surtout pour faire passer le reste.
Jean Madiran
Article extrait du n° 7498 du Samedi 17 décembre 2011
Le débat qui, selon les points de vue, a (ou n’a pas) eu lieu, ou plutôt qui a été jusqu’ici refusé sur Vatican II, est très précisément celui qui fut (re)lancé par l’un des premiers actes de Benoît XVI, son discours du 22 décembre 2005 à la Curie : il reconnaissait officiellement qu’il y avait bien un problème entre deux « herméneutiques », c’est-à-dire deux interprétations du Concile, l’une dans un esprit de continuité, et non pas l’autre (la plus courante en fait), dans un esprit de rupture avec la tradition magistérielle antérieure. Ce test de la continuité interprétative a germé et cheminé lentement dans les hauts lieux ecclésiastiques jusqu’à provoquer le récent article ambigu de Mgr Ocariz (dans L’Osservatore Romano) dont nous parlions jeudi dernier. Mais si la continuité est enfin reconnue comme un critère essentiel, cela contribue à remettre au premier plan le coup de théâtre, ou plutôt le coup d’Etat conciliaire d’octobre 1962.
On l’avait plus ou moins oublié. L’attention publique a été ramenée sur lui par le livre de Robert de Mattei Il concilio Vaticano II, una storia mai scritta (cf. p. 203-208 et la suite, notamment p. 235-238). De son côté Mgr Gherardini en a tiré un argument qui mérite d’être examiné en lui-même.
De quoi s’agit-il ? Le coup d’Etat ecclésiastique avait débuté le 13 octobre 1962, à la première assemblée conciliaire, par une intervention illégale du cardinal Liénart. Il s’ensuivit le rejet, en bloc, sans examen, de tous les schémas annotés et approuvés par Jean XXIII. Ils avaient été rédigés par la Commission préparatoire que Jean XXIII avait instituée en 1959 et qui, par un travail de trois années, avait établi le projet de 54 décrets et 15 constitutions dogmatiques. « La première rupture, dit Gherardini, fut fatale : un refus grossier de tous ces schémas. » Ils étaient destinés à fournir la base et le point de départ des discussions ; ils constituaient le programme que Jean XXIII avait établi pour le concile qu’il convoquait ; ils étaient une synthèse du « magistère pluriséculaire, résumé et actualisé ». La rupture est évidente, elle est massive, elle est un fait total, un fait révolutionnaire : « la révolution d’octobre dans l’Eglise », ainsi définie et approuvée par le futur cardinal Congar, que l’on soupçonna d’avoir imaginé une analogie léniniste avec la « révolution d’octobre » soviétique, la révolution de 1917, alors que, peut-être, il s’agissait simplement de la révolution d’octobre 1962 dans l’Eglise.
Cette rupture, analyse Gherardini, « avant de porter sur des matières déterminées, a porté sur l’inspiration de fond. On avait décrété un certain type d’ostracisme, mais pas envers l’une ou l’autre des vérités révélées et proposées comme telles par l’Eglise » ; « un acharnement particulier contre le thomisme considéré comme dépassé et désormais très éloigné de la sensibilité et des problématiques de l’homme moderne » ; mais « rejeter saint Thomas allait entraîner un effondrement doctrinal ».
La rupture d’octobre 1962 a été manigancée et imposée par une conjuration minoritaire, mais acceptée, approuvée, finalement glorifiée et vécue par une très large majorité. Ce fut une décision conciliaire et non pas une abusive et sournoise interprétation postconciliaire. La totalité du Concile ne se ramène pas forcément à la rupture : cela demande examen et vérification, ce sera le vrai débat, tôt ou tard. Quand Vatican II cite des conciles antérieurs, ces citations n’en sont pas forcément dévalorisées. Il reste seulement la crainte, ou le soupçon, qu’elles aient été faites parfois, qu’elles aient été faites souvent, qu’elles aient été faites surtout pour faire passer le reste.
Jean Madiran
Article extrait du n° 7498 du Samedi 17 décembre 2011