La volonté du pape de réintroduire la messe en latin pour satisfaire des traditionalistes suscite de vifs mécontentements au sein de l'épiscopat français. Par Catherine COROLLER
QUOTIDIEN : samedi 4 novembre 2006
Que des mécontents. A l'exception de la minichapelle intégriste de l'abbé Philippe Laguérie, qui en est directement bénéficiaire puisqu'elle a permis au prêtre excommunié, ancien fidèle de l'évêque schismatique Marcel Lefebvre, de rentrer dans le giron de Rome, la main tendue du pape Benoît XVI aux catholiques traditionalistes sème la consternation dans l'Eglise de France. Chez les modérés évidemment, et dans les rangs de ceux qui craignent que cette frange extrême droitière des catholiques n'y puise une légitimité inédite. Mais aussi chez les conservateurs comme Robert Le Gall, archevêque de Toulouse, qui souligne les «craintes et questions» des évêques. Officiellement, le sujet n'est pas à l'ordre du jour de l'assemblée plénière des évêques de France, qui s'ouvre ce samedi à Lourdes (Hautes-Pyrénées). Mais l'essentiel des travaux pourrait y être consacré.
La fronde gronde.
Depuis que le pape a annoncé en septembre sa décision de reconnaître l'Institut du Bon-Pasteur, la fronde gronde au sein de la hiérarchie catholique. Directement rattachée au Saint-Siège, cette nouvelle chapelle intégriste échapperait à l'autorité des évêques. Début octobre, deuxième séisme : on apprend à Rome «de sources concordantes» que Benoît XVI s'apprêterait à signer un décret facilitant la célébration de la messe en latin selon le rite de saint Pie V, dit «tridentin». Aujourd'hui, seule est autorisée la messe en langue vernaculaire selon le rite dit de Paul VI, la célébration de la messe en latin étant soumise à autorisation expresse de l'évêque du lieu. Benoît XVI espère-t-il ainsi mettre fin au schisme de 1988 des catholiques intégristes adeptes de Mgr Lefebvre ? Si Philippe Laguérie a réintégré l'Eglise catholique, les négociations du Saint-Siège avec la principale mouvance intégriste, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, ont échoué. D'où cette initiative papale censée restaurer l'unité de l'Eglise. Les catholiques auraient ainsi le choix entre deux rites, et c'est cette «biritualisation» qui inquiète Le Gall : «Libéraliser ce "rite extraordinaire" [la messe de Pie V par rapport à la messe de Paul VI, celle-ci correspondant au rite "ordinaire" ndlr], risque d'exacerber les oppositions.»
«Bousculés». Phénomène inhabituel dans cette grande muette qu'est l'Eglise catholique, plusieurs évêques ont pris la parole pour contester tout à la fois la réintégration de Laguérie et le biritualisme. «Cela faisait bien quinze, vingt ans qu'ils n'avaient rien dit sur l'institution romaine», observe Noël Bouttier, rédacteur en chef de Témoignage chrétien. La base aussi se fait entendre. Le 18 octobre, une trentaine de prêtres «nés après le concile de Vatican II» et se disant «à l'aise avec l'esprit de [leur] temps» écrivent aux évêques, au président de la Conférence des évêques de France, Jean-Pierre Ricard, et au nonce apostolique à Paris pour regretter que le pape les renvoie à une «vie liturgique d'un autre âge». «Autour de moi, aussi bien les laïcs que les prêtres sont bousculés», dit un prêtre lyonnais.
La main tendue de Rome aux intégristes peut-elle susciter des vocations, en attirant les fidèles vers l'aile la plus réactionnaire de l'Eglise ? «A côté des vieilles familles traditionalistes, vous voyez arriver un certain nombre de convertis récents, issus de milieux modestes, sans statut social, complètement ignorants au plan religieux et très identitaires», signale Olivier Landron, professeur à l'université catholique d'Angers. Témoignage chrétien, qui a ouvert un blog vendredi sur le sujet, titrait il y a quelques semaines : «Les réacs attaquent.» «En quelques heures, on a eu une centaine de messages, tous les mêmes, raconte Bouttier. C'est orchestré. Chez les tradis, il y a les Versaillais mais aussi des gens ultradynamiques, jeunes, identitaires, parfois liés à l'extrême droite, parfois non, et qui utilisent très bien l'outil Internet.» Or, selon lui, Benoît XVI «leur a donné des gages, ou ils l'interprètent comme ça». Résultat, «ils se sentent portés». Et ont lancé la reconquête. |