6 novembre 2006

Mgr Philippe Barbarin : « Le Pape n'a pas pour but de diviser l'Église »
Propos recueillis par Sophie de Ravinel - Le Figaro - le 06 novembre 2006 - lefigaro.fr
Pour l'archevêque de Lyon, les questions liturgiques ne sont pas fondamentales. Les crispations actuelles sur la libéralisation de la messe en latin relèvent plus d'une absence de confiance envers Benoît XVI et les évêques. Lourdes - Le primat des Gaules, le cardinal Philippe Barbarin* est intervenu ce week-end devant ses pairs, réunis en assemblée à Lourdes.
 
LE FIGARO. - Il semble que Rome souhaite entendre l'avis des évêques français sur le dossier du rite latin tridentin. Quels sont vos craintes et vos souhaits ?
Cardinal Philippe Barbarin. - Je n'ai pas de crainte mais des désirs clairs. Je souhaite que tout le monde travaille à l'unité de l'Église, qui est garantie par son magistère, cet enseignement vivant qui transmet une Parole éternelle dans les différentes cultures, au fil des siècles. Et le rocher de cette unité est le Pape. Relisons donc attentivement la constitution du concile sur la liturgie, qui demande aux célébrants une grande humilité. Ils doivent s'impliquer totalement et en même temps s'effacer devant le mystère. Vous comprenez qu'il s'agit d'un point beaucoup plus fondamental que la prétendue dichotomie entre le français ou le latin, l'avant ou l'après-concile...
Est-ce une critique des applications du concile ? Lors de la rupture du XVIe siècle, François de Sales a pointé nos erreurs et nos péchés comme en étant la cause, sans pour autant justifier Martin Luther. Il a appelé les catholiques à une vigoureuse conversion. Les difficultés actuelles nous invitent à une attitude analogue. Il n'est pas question d'approuver des crispations liturgiques et encore moins l'acte schismatique d'Écône, mais bien de montrer toute la beauté de la liturgie et de la vivre.
Vous ne semblez pas souhaiter la libéralisation du rite tridentin... La question essentielle n'est pas là. En quatre ans, à Lyon, je n'ai jamais rencontré de problème avec la communauté de l'église Saint-Georges où la messe est ­célébrée selon le rite de saint Pie V. C'est le cardinal Decourtray qui en avait donné l'autorisation dès 1989. Et depuis, tout allait bien. En mai dernier, sur le conseil du Pape lui-même, j'y ai d'ailleurs célébré cette messe, et donné la confirmation aux jeunes paroissiens. Le problème réside dans la confiance que l'on accorde ou pas aux pasteurs que sont le pape, les évêques... Il réside aussi dans des ruptures internes aux communautés traditionalistes, qui engendrent des divisions et des souffrances inutiles.
Benoît XVI, en voulant résoudre le schisme, ne risque-t-il pas de créer d'autres divisions ? Certes, je sens beaucoup d'inquiétudes dans mon diocèse. Mais je réponds : n'ayez pas peur ! On se fait toute une montagne du futur texte ; mais, à mon avis, cette réaction est davantage fondée sur nos propres angoisses que sur les réels projets de Benoît XVI. Le Pape n'a pas pour but de diviser l'Église. Il veut tendre la main, avant qu'il soit trop tard, à ceux qui se sont éloignés. Je sens pourtant que l'affaire n'est pas gagnée. Lorsqu'un schisme en est à ses débuts, on peut encore parvenir à s'expliquer... C'est plus compliqué après plusieurs décennies. Ceux qui sont en rupture avec Rome estiment que le successeur de Pierre n'est pas fidèle à la tradition. Le Pape serait prisonnier d'un complot qui ravage l'Église entière depuis le dernier concile. Il est évident qu'il existe des tas de gens impurs à l'intérieur de l'Église, mais le Christ, qui a confié son Église à un traître - l'apôtre Pierre -, n'est pas effrayé par nos péchés !
Quel est votre regard sur la campagne présidentielle ? Pour le bien de la nation, il faut restaurer l'autorité de l'État. Elle lui est conférée par le peuple et ne doit pas être prisonnière de la puissance des lobbies. D'un chef d'État, on veut se sentir aimé. On souhaite être conduit par quelqu'un qui n'a pas peur de l'autorité qu'il exerce, qui n'a pas les yeux rivés sur les sondages. On dit parfois que les hommes politiques sont prisonniers de leur électorat. Mais je pense qu'ils sont prisonniers de l'idée qu'ils se font de leurs électeurs. Au fond, je souhaite un chef de l'État fort, mais humble aussi, un vrai serviteur conscient des limites de son pouvoir et de ses limites personnelles.
Quelles sont les limites de cette autorité ? Il y a des domaines essentiels d'exercice de cette autorité : la santé, l'éducation, la défense, les transports, les affaires internationales... Mais l'État n'a pas autorité pour décréter ce qu'est un couple, un homme ou une femme. Cela nous est donné, et légiférer dans ce domaine entraînerait une rupture des équilibres fondamentaux. Nous le paierions très cher, socialement et financièrement. L'écologie nous a appris à ne pas profiter de notre pouvoir pour détruire l'équilibre de la création. Nous savons que les conséquences peuvent être catastrophiques. Il nous faut réfléchir à une écologie humaine, ne pas confondre la liberté avec l'autonomie, et le désir avec le droit. Quand tous nos désirs deviennent des droits, on entre dans le royaume du n'importe quoi.
Le désir des homosexuels à avoir des enfants est-il absurde ?
Pour moi, oui. Un enfant a le droit à un père et à une mère. C'est un bien fondamental pour la construction de sa personne, et on sait d'expérience les souffrances qu'il peut vivre lorsqu'il en est privé. Cette structure familiale n'est pas culturelle, mais fondamentale. Inscrire dans le droit le mariage de deux personnes du même sexe et a fortiori leur permettre d'adopter un enfant, serait introduire un désordre colossal dans la vie sociale.

Il vient de publier une lettre pastorale, Suivre Jésus de près, publiée chez DDB-Parole et Silence.