Résister et inventer |
02 novembre 2006 - Noël Bouttier - temoignagechretien.fr (éditorial) |
Résister et inventer par Noël Bouttier Le 19 avril 2005, l’accession au siège pontifical de Joseph Ratzinger fut un moment fondamental pour nous. Nous avons un pape théologien attaché à la vérité de la foi, plutôt qu’un pape moraliste. » (1) Celui qui s’exprime ainsi n’est autre que Guillaume de Tanoüarn, un des membres du nouvel Institut du Bon-Pasteur créé par Benoît XVI en septembre. Ce que dit ce proche de l’abbé Laguérie ne laisse pas de nous inquiéter. Pas simplement parce qu’un tel institut, créé contre l’avis de l’Église bordelaise, sème la division : nous n’avons jamais été des inconditionnels de la discipline à tous crins. Non, ce qui nous heurte au plus haut point, c’est ce sentiment que Rome a choisi, peut-être par cynisme, de jouer la carte des nostalgiques du « bon vieux catholicisme triomphant » pour asseoir son projet suprême : lutter contre toutes les formes de relativisme. Finalement, ce pape n’est pas à l’aise avec la diversité d’expressions du catholicisme. Comment pourrait-il comprendre des Églises africaines ou indiennes qui, tout en étant « romaines », sont confrontées tous les jours aux malheurs du monde : la violence entre religions, la misère, les ravages du sida ? Un évêque européen d’un lointain territoire me confiait récemment combien il se sentait parfois à des années-lumière des débats doctrinaux de ses pairs métropolitains. Annoncer l’Évangile aujourd’hui en restant confiné dans des cercles théologiques n’a pas beaucoup de sens, ou plutôt n’est pas porteur d’Espérance pour ceux qui croupissent, au Nord, au Sud, dans les oubliettes de la mondialisation. Qu’ont d’ailleurs à dire ceux qui s’activent à remettre en selle la messe en latin sur l’humiliation des damnés de toutes sortes ? Qu’ils doivent se résigner ? Cette polarisation depuis dix-huit mois sur le « règlement intérieur » de l’Église est-elle vraiment évangélique et conforme à l’universalité du message ? Comme il veut faire de la réintégration des brebis égarées de l’aventure lefebvriste une priorité de son pontificat, Benoît XVI entend leur donner des gages, par exemple en réactivant la liturgie ancienne héritée de Pie V (2). L’Église de France qu’on croyait endormie s’est, devant la menace, réveillée. De nombreux prélats sont montés au créneau, publiquement ou en coulisses, contre cette remise en cause de l’héritage de Vatican II. La mobilisation au sommet, mais aussi les réactions de nombreux croyants qui s’expriment dans la presse catholique, semblent avoir quelque écho à Rome, qui pourrait surseoir, voire renoncer, à ce motu proprio si controversé. Critiquer les initiatives d’arrière-garde du pape ne peut suffire ; l’état alarmant du catholicisme, au moins occidental, exige une vraie réflexion. « Une autre Église est possible », écrivons-nous dans le manifeste que nous publions à la veille de l’assemblée générale des évêques à Lourdes. Il ne s’agit pas ainsi de dresser un réquisitoire contre le début de pontificat de Benoît XVI, mais plutôt de lancer des pistes pour une présence pertinente de l’Église catholique. « Ne pas revendiquer de régime de faveur », « s’ouvrir aux diversités du monde », « encourager les chrétiens à s’engager dans la vie politique, syndicale et associative »… ces quelques convictions doivent être enrichies, contestées, mises sur la place publique. C’est d’ailleurs la principale demande que nous formulons aux responsables de l’Église de France : favoriser les conditions d’un débat sur les missions prioritaires de catholiques qui évoluent maintenant dans une société majoritairement non chrétienne – ce qui, à la différence d’autres, ne nous fait pas peur. Avec ce manifeste, Témoignage chrétien veut encourager l’esprit de confrontation d’idées et d’inventions qui ne fut pas pour rien dans les intuitions, encore d’actualité, de ce fameux concile Vatican II. 1. Marianne du 21 octobre 2006. 2. Lire le dossier du n°3221 : « Les réacs attaquent ». |