Certains se disent "atterrés" par l'image rétrograde qui risque une fois encore d'être accolée à l'Eglise; d'autres se montrent plutôt "satisfaits" de voir promue "l'unité des catholiques". Au lendemain de la levée de l'excommunication des quatre évêques intégristes, officialisée samedi 24 janvier par le Vatican, tous affichent un certain scepticisme sur les effets réels de cette décision hautement symbolique. Une perplexité à laquelle s'ajoute l'indignation s'agissant de l'un des quatre évêques, Mgr Williamson, qui a récemment nié l'existence des chambres à gaz. Mettant fin à vingt ans de schisme provoqué par l'ordination illicite de ces évêques par Mgr Marcel Lefebvre, contestataire intransigeant des orientations induites par le concile Vatican II (1962-1965), la décision de Benoît XVI a une résonance particulière en France. Le pays abrite une grande partie des troupes intégristes, ralliées sous la bannière de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), évaluées à 150 000 personnes à travers le monde.
Venu en droite ligne de l'Action française, parti royaliste et ultranationaliste de Charles Maurras, le mouvement créé par Mgr Lefebvre n'a pas bonne presse au sein d'une partie de l'épiscopat français, du clergé et des fidèles les plus âgés. Attachés à la tradition liturgique, contempteurs de la liberté religieuse et du dialogue avec les autres confessions, les intégristes sont convaincus que le "modernisme" porté par VaticanII est à l'origine de la crise de l'Eglise.
"RESSOURCE DE CHRÉTIENTÉ"
S'il a qualifié la décision du pape de "geste d'ouverture", l'archevêque de Paris, André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France, a convenu qu'elle constituait une "secousse" pour l'Eglise. Déjà contraints, bon gré mal gré, de libéraliser la messe en latin après le motu proprio du pape en 2007, les évêques vont devoir s'atteler à "un devoir d'explication" pour faire passer cette nouvelle décision.
"Pourquoi faire autant d'efforts pour des gens si critiques envers l'Eglise ?", s'interrogent nombre de fidèles. "L'Eglise a toujours vécu les schismes comme une souffrance. Et déjà au bout d'une génération, certains jeunes ne savent plus pourquoi ils se battent en dehors de l'Eglise", justifie un évêque.
Il s'agit aussi de serrer les rangs face à la déchristianisation des sociétés occidentales. Dynamiques et militants, les intégristes de la Fraternité attirent des vocations, et forment 180 séminaristes. "Benoît XVI voit dans les intégristes des ressources de chrétienté qu'il ne trouve plus dans un monde sécularisé. Et il est convaincu de la capacité intégrative de l'Eglise qui oblige à la négociation", avance Philippe Portier, directeur d'étude à l'Ecole pratique des hautes études. "Face à l'islam, il faut trouver toutes les voies pour recréer l'unité", estime un fidèle, rencontré à la manifestation "pro-vie" organisée dimanche à Paris.
Un grand scepticisme demeure sur la volonté réelle des membres de la FSSPX de "revenir au sein de l'Eglise". "Pour les intégristes, aborder les problèmes de fond, cela signifie amener les tenants du concile sur leurs positions, assure l'historien Emile Poulat. Ils ne seront pas plus dedans qu'avant". Annonçant la levée de l'excommunication à ses fidèles, Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité, a rappelé : "Nous faisons nôtres tous les conciles jusqu'à Vatican II au sujet duquel nous émettons des réserves". Pour l'heure, faute d'un statut juridique, les évêques et les 480 prêtres intégristes ne peuvent toujours pas célébrer les sacrements en dehors de leurs propres églises.
"Le problème, souligne un bon connaisseur de l'Eglise, c'est que s'il vient aux intégristes l'idée de brûler un cinéma ou d'occuper une église, les évêques français ne pourront plus dire : ces gens ne sont pas des nôtres ."
Stéphanie Le Bars |