28 janvier 2009





Levée de l’excommunication des lefebvristes. Mais la paix reste lointaine
28 janvier 2009 - Sandro Magister - chiesa.espresso.repubblica.it
Les motifs de conflit sont même en augmentation, y compris avec les fils d'Israël.Benoît XVI multiplie les gestes d'ouverture, mais n'obtien rien en échange.L'incident de l'évêque négationniste, avec un commentaire de la juive AnnaFoa.

ROMA, le 28 janvier 2009 – Il arrive souvent à Benoît XVI de se trouverparticulièrement en difficulté sur deux zones frontières qui se croisent: leslefebvristes et les juifs.

Le 24 janvier, le pape Joseph Ratzinger a levé l’excommunication des quatreévêques ordonnés illicitement par Marcel Lefebvre en 1988: excommunicationqu’ils avaient encourue "latae sententiae", c’est-à-direautomatiquement, du simple fait de leur ordination. Mais les quatre évêquesrestent suspendus "a divinis", c’est-à-dire qu’ils ne peuventexercer leur ministère au sein de l’Eglise catholique, et leur communautéreste en état de schisme.

L’un des quatre évêques, l'anglais Richard Williamson, ardent négationniste,a récemment réaffirmé ses idées niant l’extermination des juifs par lesnazis. La coïncidence entre ces déclarations et la levée de sonexcommunication – au moment, qui plus est, de la journée mondiale du souvenirde la Shoah, le 27 janvier – a provoqué de vives protestations chez beaucoupde juifs, y compris ceux qui sont en général les plus bienveillants enversl’Eglise catholique et le pape actuel.

Un concours de circonstances analogue avait provoqué, il y a quelques mois, unepolémique semblable. Quand Benoît XVI a libéralisé pour tous les catholiquesl’usage du rite ancien de la messe, point d’appui des lefebvristes, beaucoupde juifs ont protesté parce qu’il s’y trouvait une prière qu’ilsjugeaient inacceptable et offensante en ce qu’elle visait à leur"conversion". Le pape a réécrit le texte de la prière, maiscertains juifs ont également repoussé la nouvelle formule.

La raison de fond de ces turbulences est la théologie antisémite qui caractériseen général les lefebvristes. Pour beaucoup de juifs, l’Eglise catholiquen’agit pas assez pour combattre cet antisémitisme et exiger le repentir deses partisans.

En effet, les "magnanimes gestes de paix" accomplis plusieurs foispar Benoît XVI en direction des lefebvristes n’ont jusqu’à présent étésuivis, du côté de ceux-ci, d’aucune manifestation significative de repentiret de rapprochement.

Le premier de ces gestes a été l'audience que Benoît XVI a accordée, le 29août 2005, au successeur de Lefebvre et chef de la communauté, l’évêque– alors excommunié – Bernard Fellay.

Le second geste a été le discours adressé par le pape à la curie romaine le22 décembre 2005. Un discours d’une importance capitale, puisqu’il allaitau cœur de la question d’où est né le schisme lefebvriste: l'acceptation etl'interprétation du concile Vatican II. Benoît XVI a montré que Vatican II nemarquait aucune rupture avec la tradition de l’Eglise mais était au contrairedans la continuité de celle-ci, même là où il semblait marquer un netchangement par rapport au passé, avec la pleine reconnaissance de la libertéreligieuse comme droit inaliénable de tout être humain.

"L'Osservatore Romano" a republié ce discours du pape il y a troisjours, en même temps que le décret qui lève l’excommunication des quatre évêqueslefebvristes. Le 25 janvier était aussi le cinquantième anniversaire de lapremière annonce du concile par Jean XXIII. Mais, en plus de trois ans, laFraternité Sacerdotale Saint Pie X fondée par Lefevbre n’a donné aucunsigne d’adhésion aux thèses de Benoît XVI sur l'interprétation de VaticanII.

Le troisième geste a été la libéralisation de l’usage du rite ancien de lamesse, par le motu proprio "Summorum Pontificum" du 7 juillet 2007.Avec cette décision, le pape s’adressait d’abord à l’ensemble de l’Eglisecatholique, mais il avait aussi la volonté de mettre fin au schisme deslefebvristes.

Mais les lefebvristes ont simplement vu dans ce geste un alignement sur leurspositions. S’est ajoutée à cela la réaction de beaucoup de juifs à la prièrepour leur "conversion", bien que Benoît XVI l'ait ensuite reformulée.

Le quatrième geste a eu lieu ces jours-ci: c’est la levée del’excommunication. Le pape l’a accompli unilatéralement, comme "don depaix", dans l’espoir déclaré d’encourager une discussion rapide etune solution des points de désaccord.

Mais il faut préciser que, le 15 décembre, dans sa dernière lettre auxautorités de l’Eglise de Rome avant le "don", Fellay, le chef deslefebvristes, ne donnait aucun signe d’acceptation de Vatican II dans son intégralité:

"Nous sommes prêts à écrire avec notre sang le Credo, à signer leserment anti-moderniste, la profession de foi de Pie IV, nous acceptons etfaisons nôtres tous les Conciles jusqu’à Vatican II, au sujet duquel nous émettonsdes réserves".

Là-dessus sont arrivées les déclarations négationnistes de l’évêqueWilliamson, qui n’en est pas à sa première sortie de ce genre. Après le 11septembre 2001, il avait donné une explication hallucinée de la destructiondes Twin Towers, attribuée à un fantomatique "état policier" visantà soumettre l'Amérique et l'Europe.

A propos des lefebvristes, la critique qui est adressée à Benoît XVI dansla curie romaine et parmi les évêques est qu’il n’agit que par gestesunilatéraux, sans rien obtenr en échange.

On voit que tous ces gestes ont une cohérence et une consistance théologiquenettes. Mais ils tombent sur un terrain qui n’est pas convenablement cultivé.

Même la levée de l’excommunication des quatre évêques fait l’objet deces critiques. On note que les excommunications ont également été levéesentre Rome et Constantinople, mais que ce geste très symbolique a étéaccompli par un cheminement vers un vrai rapprochement œcuménique. Uncheminement que l’on ne retrouve pas chez les lefebvristes, avec qui les désaccordsrestent inchangés.

Il en est de même avec les juifs. On reconnaît à Benoît XVI le mérited’avoir produit les textes les plus hauts et les plus constructifs pour ledialogue entre les deux religions. Mais on remarque que trop de faitscontrastent avec ses paroles.

Voici, par exemple, ce qui est arrivé ces jours-ci. Lors de l'Angélus dudimanche 25 janvier, Benoît XVI a tenu des propos audacieux sur la"conversion" du juif Paul. Il a même dit que, pour Paul, le mot"conversion" était impropre, "parce que c’était déjà uncroyant, et même un juif fervent, et qu’il n’a pas dû abandonner la foijuive pour adhérer au Christ".

Mais le même jour, un évêque dont Benoît XVI venait de leverl’excommunication se répandait dans les médias du monde entier en proposaberrants contre les juifs.

Des voix catholiques autorisées ont fait remarquer que Ratzinger n’était pascoupable de ces propos, qui étaient sans lien avec la décision pontificale delever l’excommunication de l’évêque qui les avait prononcés. Mais, entermes de communication, le lien entre les deux faits s’est forméinexorablement. Partout la nouvelle était: le pape lève l’excommunication del’évêque négationniste.

D’autres ont eu beau jeu de reprocher aux autorités vaticanes d’être tropsilencieuses à l’égard d’un autre négationnisme, bien plus dangereux,celui que les dirigeants de l'Iran diffusent publiquement. En presque quatre ansde pontificat, en effet, le programme iranien d’élimination d’Israël n’aété condamné qu’une fois, en termes vagues, dans un texte officiel duVatican.

Mais aujourd’hui on ne peut reprocher au Saint-Siège d’être silencieuxface à la négation de la Shoah par l’évêque lefebvriste Williamson.

Une preuve en est cet article publié de manière très visible dans "L'OsservatoreRomano" du 26-27 janvier. Son auteur est Anna Foa, juive et professeurd’histoire à l'Université de Rome "La Sapienza":


L'antisémitisme seul mobile des négationnistes

par Anna Foa



Le négationnisme à propos de la Shoah n’est ni une interprétationd’historien, ni un courant d’interprétation de l’extermination des juifsperpétrée par le nazisme, ni une forme même radicale du révisionnismehistorique, avec lequel il ne faut pas le confondre. Le négationnisme est unmensonge qui se couvre du voile de l’histoire, qui prend une apparencescientifique, objective, pour cacher sa véritable origine, son véritablemobile: l'antisémitisme.

Un négationniste est également antisémite. Peut-être le seul antisémiteexplicite et manifeste, dans un monde comme le monde occidental où se direantisémite n’est pas si facile.

C’est la haine envers les juifs qui est à l'origine de cette négation de laShoah, née dès les premières années de l’après-guerre et qui se rattacheparfaitement au projet même des nazis quand ils cachaient les traces des campsd’extermination, en rasaient les chambres à gaz et se moquaient des déportésen leur disant que, même s’ils parvenaient à survivre, personne au monde neles croirait.

Le négationnisme traverse les clivages politiques, il n’est pas lié qu’àl'extrême droite nazie mais réunit différentes tendances: le pacifisme leplus extrême, l'anti-américanisme, l'hostilité envers la modernité.

Il naît en France, à la fin des années Quarante, de l’action de deuxhommes, Maurice Bardèche et Paul Rassinier, l'un fasciste déclaré, l'autrecommuniste. Par la suite, il se développe largement et ses zélateurs les plusconnus sont le français Robert Faurisson et l'anglais David Irving, ni l’unni l’autre n’étant historien de métier.

Dans leur négation de la réalité historique, les négationnistes développentdes procédés tout à fait hors du commun. Ils commencent par considérertoutes les sources juives, de quelque nature que ce soit, comme non fiables etmensongères. Ayant ainsi rejeté une bonne partie des témoins, tous lessouvenirs de survivants juifs et les travaux historiques d’historiens juifs ouprésumés tels, ils s’attellent à la démolition du reste des témoignages,preuves et documents.

Selon eux, tout ce qui est postérieur à la défaite du nazisme n’est pasfiable parce que relevant de la "vérité des vainqueurs". Ilscontinuent à répéter inlassablement que l’histoire de la Shoah a été écritepar les vainqueurs et mettent en doute toutes les informations d’originejudiciaire, depuis le procès de Nuremberg, comme résultant de pressions,tortures ou violences.

Mais il reste encore à réfuter une partie de la documentation, celled’origine nazie qui date d’avant 1945. Là, les négationnistes ont découvertqu’aucune affirmation écrite par les nazis après 1943 ne peut être considéréecomme véridique, parce qu’à cette époque les nazis commençaient à perdrela guerre et qu’ils auraient pu dire des choses destinées à plaire auxfuturs vainqueurs. "Et voilà", le tour est joué: la Shoah n’existepas!

Le négationnisme cherche en particulier à prouver, par de complexesraisonnements techniques, l'inexistence des chambres à gaz: elles n’auraientpas pu fonctionner, elles auraient eu besoin de cheminées très hautes et ainside suite. Cette thèse, qui a donné la notoriété à un pseudo-ingénieur,Fred Leuchter, domine dans les sites internet négationnistes.

Aujourd’hui le négationnisme est considéré dans beaucoup de pays d'Europecomme un délit, même si une partie de l'opinion publique répugne toujours –c’est le cas de l’auteur de ces lignes – à transformer des menteurs enmartyrs en les mettant en prison. Il y a également beaucoup de gens quisoutiennent le négationnisme par hostilité envers Israël.

Mais il faut répéter que, derrière le négationnisme, il y a un seul mobile,un seul but: l'antisémitisme. Tout le reste est mensonge.