Pour conclure l’année de la Foi, le Saint-Père, le pape
François, a publié l'Exhortation apostolique Evangelii gaudium sur la prédication de l’Evangile
dans le monde d’aujourd’hui. Par sa longueur – 289 points -, ce document
demande au lecteur et au théologien un grand effort s’ils veulent l’étudier
correctement. On aurait pu dire plus en moins de mots. Les lignes qui suivent
vont tâcher d’en donner un premier résumé, certainement incomplet.
I.
L’occasion de ce document est le Synode des évêques qui
s’est tenu du 7 au 28 octobre l’année dernière et qui était consacré au thème
de la nouvelle évangélisation : « J’ai accepté avec plaisir l’invitation
des Pères synodaux à rédiger la présente Exhortation. » (n° 16). En même
temps, ce document a été présenté par le nouveau pontife comme une sorte de
directoire. Ce double but et la prolixité du pape ont pour conséquence que ce
document ne présente pas de structures claires. Il manque de précision, de
rigueur et de clarté. Ainsi par exemple, un long passage est consacré à la
situation économique du monde contemporain, et un peu plus loin est exposée
l’importance de la prédication, jusqu’à donner les détails de sa préparation. A
plusieurs reprises, on aborde la question de la décentralisation de l’Eglise ;
et les questions œcuméniques et interreligieuses, elles, sont traitées en long
et en large. De plus, ce document n’est pas exempt de contradictions : le
pape va ainsi préciser qu’il ne s’agit pas d’une encyclique sociale, mais par
la suite les conditions économiques sont traitées selon un modèle semblable à
celui des encycliques des papes antérieurs.
Le pape François parle de l’Eglise comme si, jusqu’à
aujourd’hui, elle n’avait pas transmis l’Evangile ou l’avait fait de manière
imparfaite. Il se désole d’une attitude nonchalante, léthargique et fermée.
Cette réprimande constante nous touche désagréablement. On a l’impression que,
jusqu’à présent, peu de choses ont été faites pour la transmission de la foi et
de l’Evangile. Ses commentaires s’accompagnent toujours d’une référence à sa
propre personne. Le pronom personnel je n’apparaît pas moins de 184
fois dans le document, et on ne compte pas les « mon » et les « moi ».
La parole de Dieu dans l’Apocalypse s’impose quasi-automatiquement à notre
esprit : « Ecce nova facio omnia : voici que je fais toutes
choses nouvelles». (Apoc. 21, 5)
Le document contient sans doute nombre de considérations
positives, qui ne peuvent être passées sous silence. Donnons-en quelques-unes
au fil du texte.
Au n° 7, il est dit : « La société technique
a pu multiplier les occasions de plaisir, mais elle a bien du mal à secréter la
joie ». Quelle justesse dans cette constatation !
Au n° 22, on lit : « La parole a en soi un
potentiel que nous ne pouvons pas prévoir. L’Evangile parle d’une semence qui,
une fois semée, croît d’elle-même, y compris quand l’agriculteur dort »
(cf. Mc 4, 26-29). L’action de la grâce dépasse effectivement tout calcul
humain.
Au n° 25, il est rappelé que « ce n’est pas d’une
simple administration que nous avons besoin ». Si les évêques et les
prêtres prenaient ce mot à cœur et tournaient le dos aux commissions, aux
comités, aux forums, au vaste bureaucratisme pour agir en vrais théologiens et
pasteurs !
Un très beau paragraphe nous est donné au n° 37, avec une
longue citation de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin. Nous
ne pouvons pas nous empêcher de citer ce point en entier : « Saint
Thomas d’Aquin enseignait que même dans le message moral de l’Eglise il y a une
hiérarchie, dans les vertus et dans les actes qui en procèdent. (S. Th.
I-II, q. 66, a. 4-6) Ici, ce qui compte c’est avant tout ʺla foi
opérant par la charitéʺ (Ga. 5, 6). Les œuvres d’amour envers le prochain
sont la manifestation extérieure la plus parfaite de la grâce intérieure de
l’Esprit : ʺL’élément principal de la loi nouvelle, c’est la grâce de
l’Esprit Saint, grâce qui s’exprime dans la foi agissant par la charitéʺ. (S.
Th. I-II, q. 108, a. 1) Par là il affirme que, quant à l’agir extérieur,
la miséricorde est la plus grande de toutes les vertus : ʺEn elle-même la
miséricorde est la plus grande des vertus, car il lui appartient de donner aux
autres, et, qui plus est, de soulager leur indigence ; ce qui est éminemment le
fait d’un être supérieur. Ainsi se montrer miséricordieux est-il regardé comme
le propre de Dieu, et c’est par là surtout que se manifeste sa toute-puissanceʺ». (S.
Th. II-II, q. 30, a. 4.; cf. ibid.q. 40, a.4, ad 1.)
Au n° 42, le pape insiste sur le fait que la prédication
doit avant tout toucher les cœurs : « C’est pourquoi il faut
rappeler que tout enseignement de la doctrine doit se situer dans l’attitude évangélisatrice
qui éveille l’adhésion du cœur avec la proximité, l’amour et le
témoignage ».
Du n° 52 au n° 76, il traite des aspects économiques et met
en évidence des points intéressants. Le capitalisme effréné qui n’est que « le
résultat d’une réaction humaine devant la société de consommation,
matérialiste, individualiste » (n° 63) est cloué au pilori. « L’individualisme
post-moderne et mondialisé favorise un style de vie qui affaiblit le
développement et la stabilité des liens entre les personnes, et qui dénature
les liens familiaux » (n° 67). Et le pape de conclure au n° 69
qu’il est impératif « d’évangéliser les cultures pour inculturer
l’Evangile », c’est-à-dire que l’Evangile doit être enraciné dans la
société et dans la vie des peuples. Mais pourquoi ne parle-t-il pas ici, comme
ses prédécesseurs l’avaient fait avant le concile Vatican II, de l’Etat
catholique et de la société chrétienne, qui étaient présentés comme des fruits
de la foi catholique, et aussi, par une conséquence logique, comme une protection
pour cette foi ? Peut-être aurait-on pu espérer qu’avec ces doléances légitimes
sur l’économie actuelle, on se référât à Quadragesimo anno du pape
Pie XI, pour montrer les principes conduisant à des conditions économiques
justes ?
Le n° 66 aborde le thème de la famille, mais il omet de
rappeler que le mariage est l’union indissoluble d’un homme et d’une femme, à
l’heure où la mode actuelle des unions libres et la revendication de la
communion pour les divorcés-remariés l’auraient exigé. En outre, on aurait pu
s’attendre à ce qu’une attention plus grande soit portée à la famille
chrétienne dans le document papal, puisque c’est par elle que la première
transmission de l’Evangile se fait, de génération en génération.
Dans les n° 78 et 79, le pape décrit lucidement la vie
spirituelle des années postconciliaires : « Aujourd’hui, on peut
rencontrer chez beaucoup d’agents pastoraux, y compris des personnes
consacrées, une préoccupation exagérée pour les espaces personnels d’autonomie
et de détente, qui les conduit à vivre leurs tâches comme un simple appendice
de la vie, comme si elles ne faisaient pas partie de leur identité. (…) Ainsi,
on peut trouver chez beaucoup d’agents de l’évangélisation, bien qu’ils prient,
une accentuation de l’individualisme, une crise d’identité et une baisse
de ferveur. Ce sont trois maux qui se nourrissent l’un l’autre. La culture
médiatique et quelques milieux intellectuels transmettent parfois une défiance
marquée par rapport au message de l’Eglise, et un certain désenchantement.
Comme conséquence, beaucoup d’agents pastoraux, même s’ils prient, développent
une sorte de complexe d’infériorité, qui les conduit à relativiser ou à
occulter leur identité chrétienne et leurs convictions ». Comme les
serviteurs de l’Eglise devraient prendre les armes de l’Esprit et croire à
l’efficacité et la fécondité de tous les moyens que le Christ a mis dans les
mains de son Eglise : la prière, la prédication intégrale de la foi,
l’administration des sacrements, la célébration du saint Sacrifice de la Messe,
l’adoration du Saint-Sacrement de l’autel ! Au lieu de cela, ils succombent au «
sens de l’échec, qui… (les) transforme en pessimistes mécontents et déçus au
visage assombri. Personne ne peut engager une bataille si auparavant il
n’espère pas pleinement la victoire. Celui qui commence sans confiance a perdu
d’avance la moitié de la bataille et enfouit ses talents. Même si c’est avec
une douloureuse prise de conscience de ses propres limites, il faut avancer
sans se tenir pour battu, et se rappeler ce qu’a dit le Seigneur à saint Paul : ʺMa
grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesseʺ (2 Co.
12, 9). Le triomphe chrétien est toujours une croix, mais une croix qui en même
temps est un étendard de victoire, qu’on porte avec une tendresse combative
contre les assauts du mal ». (n°85)
Le n° 104 revêt une importance particulière puisqu’il
réaffirme que le sacerdoce, comme signe du Christ-Epoux, est réservé aux
hommes : « Le sacerdoce réservé aux hommes, comme signe du
Christ Epoux qui se livre dans l’Eucharistie, est une question qui ne se
discute pas ».
Au n° 112, la gratuité de la grâce et de l’œuvre de la
Rédemption est mise en évidence : « Le salut que Dieu nous offre
est œuvre de sa miséricorde. Il n’y a pas d’action humaine, aussi bonne
soit-elle, qui nous fasse mériter un si grand don. Dieu, par pure grâce, nous
attire pour nous unir à lui ». Au point suivant, on rappelle de manière
tout à fait juste que le salut n’est pas une affaire individuelle : « Personne
ne se sauve tout seul, c’est-à-dire, ni comme individu isolé ni par ses propres
forces ». (n°113) L’homme se sauve donc dans l’Eglise et par l’Eglise, ou
il ne se sauve pas.
Au n° 134, l’importance des universités et des écoles
catholiques pour la prédication de la foi et de l’Evangile est soulignée. On
peut toutefois regretter le peu de lignes consacrées à ces œuvres.
Le n° 214 s’oppose au meurtre de l’enfant à naître, vivant
encore dans le sein de sa mère. Malheureusement le pape ne se réfère aucunement
à l’injustice commise contre Dieu, et ainsi donc ni à l’ordre naturel ni aux
commandements, mais seulement à la valeur de la personne humaine.
Dans le n° 235, sont énumérés des principes sains pour
lutter contre l’individualisme : « Le tout est plus que la
partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci ». Tout le
paragraphe est mis sous le titre :« Le tout est supérieur à la
partie ». Développer le thème du bien commun aurait certainement pu faire
beaucoup de bien à cet endroit. Malheureusement, cela manque.
L’enthousiasme missionnaire et l’activité apostolique sont
superbement décrits au n° 267 : « Unis à Jésus, cherchons ce
qu’il cherche, aimons ce qu’il aime. Au final, c’est la gloire du Père que nous
cherchons, nous vivons et agissons ʺà la louange de sa grâceʺ (Eph.
1, 6). Si nous voulons nous donner à fond et avec constance, nous devons aller
bien au-delà de toute autre motivation. C’est le motif définitif, le plus
profond, le plus grand, la raison et le sens ultime de tout le reste. C’est la
gloire du Père que Jésus a cherchée durant toute son existence ».
II.
Bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu, nous dit
le principe classique de morale. Le bien provient d’une intégrité, mais en
revanche si une partie essentielle d’une chose est mauvaise, l’ensemble est
mauvais. Les belles parties du document papal, qui nous ont réjouis, ne peuvent
nous empêcher de constater la ferme volonté de réaliser le concile Vatican II,
non seulement selon la lettre, mais aussi selon l’esprit. La trilogie Liberté
religieuse – Collégialité – œcuménisme, qui, selon les paroles de Mgr Lefebvre,
correspond à la devise de la Révolution française : Liberté – Egalité
– Fraternité, est développée de manière systématique.
Tout d’abord, aux n° 94 et 95, les fidèles attachés à la
Tradition sont réprimandés et même accusés de néo-pélagianisme : « C’est
une présumée sécurité doctrinale ou disciplinaire qui donne lieu à un élitisme
narcissique et autoritaire, où, au lieu d’évangéliser, on analyse et classifie
les autres, et, au lieu de faciliter l’accès à la grâce, les énergies s’usent
dans le contrôle… Ni Jésus-Christ ni les autres n’intéressent vraiment… Dans
certaines d’entre elles, on note un soin ostentatoire de la liturgie, de la
doctrine ou du prestige de l’Eglise, mais sans que la réelle insertion de
l’Evangile dans le peuple de Dieu et dans les besoins concrets de l’histoire ne
les préoccupe ».
Comment le pape peut-il croire cela ? N’est-ce pas justement le dynamisme des
fidèles catholiques enracinés dans la foi qui démontre le contraire ? Pour ne
pas parler de notre Fraternité, n’y a-t-il pas les Franciscains de l’Immaculée,
une jeune congrégation missionnaire florissante, qui maintenant se trouve
gravement mutilée, sinon détruite par l’intervention brutale du Vatican ? Le
document ajoute par la suite : « De cette façon, la vie de
l’Eglise se transforme en une pièce de musée ou devient la propriété d’un petit
nombre ».
Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, les écoles
catholiques, instruments importants de re-christianisation, bénéficient d’une
simple mention, en une seule phrase. Ces établissements sont précisément pour
nous un moyen de transmettre l’Evangile. Dans notre Fraternité, nous avons la
joie de voir chaque année de nouvelles écoles ouvrir leurs portes.
Le sens de la réalité fait véritablement défaut dans ce
document ; ce qui donne l’illusion que la vérité vaincra par elle-même
l’erreur. Cette perspective s’appuie sur la parabole du bon grain et de
l’ivraie dans le n° 225 : « Il montre comment l’ennemi peut
occuper l’espace du Royaume et endommager avec l’ivraie, mais il est vaincu par
la bonté du grain qui se manifeste en son temps ». Une telle
interprétation est un contresens sur la parabole et une falsification de
l’Evangile.Le manque de réalisme est visible aussi au n° 44, où les prêtres
sont exhortés à ne pas faire du confessionnal « une salle de
torture ». Même si au cours de l’histoire de l’Eglise, de tels excès ont
effectivement existé ici ou là, où est-ce encore le cas aujourd’hui ?
N’aurait-il pas été mieux d’ajouter un chapitre sur la confession, sous ses
aspects de libération du péché, de délivrance de la culpabilité et de
réconciliation avec Dieu, comme point culminant de la nouvelle évangélisation
et du renouveau intérieur des âmes ?Cette naïveté, qui est plus encore une
contestation du péché originel, ou au moins de ses conséquences dans les âmes
et la société, se manifeste aussi au n° 84 où est cité le discours d’ouverture
du concile Vatican II, discours empli d’illusions du pape Jean XXIII : « Il
nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de
malheur qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près
de sa fin… Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruine et
calamité ». Malheureusement les années postconciliaires ont donné raison aux « prophètes
de malheur ».
Extrêmement étrange est l’observation faite au n° 129, à
savoir qu’il ne faut pas croire que « l’annonce évangélique doit se
transmettre toujours par des formules déterminées et figées, ou avec des
paroles précises qui expriment un contenu absolument invariable ». Cela
nous rappelle inévitablement la doctrine de l’évolution des dogmes, telle que les
modernistes la défendent et telle qu’elle a été expressément condamnée par le
pape saint Pie X, dans le serment antimoderniste.Cette attitude évolutionniste
se montre aussi au sujet de l’Eglise et de ses structures. La première partie
du chapitre 1 du document porte comme titre La transformation missionnaire
de l’Eglise. Et le concile Vatican II est présenté comme le garant de
l’ouverture de l’Eglise à une réforme permanente, parce qu’« il y a des
structures ecclésiales qui peuvent arriver à entraver un dynamisme
évangélisateur ». (26)
Le n° 255 parle de la liberté religieuse comme un droit
fondamental de l’homme. Le pape cite ici Benoît XVI, son prédécesseur sur la
Chaire de Pierre avec ces paroles : « Elle (la liberté
religieuse) comprendʺla liberté de choisir la religion que l’on estime vraie et
de manifester publiquement sa propre croyance.ʺ» Une telle déclaration est
directement opposée à la 15e proposition du Syllabus du pape Pie IX, où
est condamnée cette affirmation : « Il est libre à chaque homme d’embrasser
et de professer la religion qu’il aura été amené à regarder comme vraie par les
seules lumières de la raison ».La suite de ce n° 255 contredit la doctrine des
papes depuis la Révolution française jusqu’à Pie XII inclus. Le pape y parle
d’un « sain pluralisme ». Un tel pluralisme est-il compatible avec la
connaissance que le Verbe, deuxième Personne du seul vrai Dieu trinitaire, est
venu dans le monde pour le racheter, qu’Il est la source de toutes les grâces,
et qu’en Lui seul se trouve le salut ?Le document condamne aussi le
prosélytisme. Ce terme est devenu ambigu, de nos jours. Si on le comprend comme
recrutement pour la vraie religion avec des moyens impropres, il est
certainement à rejeter. Mais pour la plupart de nos contemporains, non
seulement toute activité missionnaire, mais aussi n’importe quelle sorte de
recrutement ou d’argumentaire en faveur de la vraie religion est considérée
comme étant déjà du prosélytisme.
Le concept de collégialité développé par le pape sera encore
beaucoup plus funeste pour l’avenir de l’Eglise. En fait, il faudrait lire le
n° 32 au complet : « Du moment que je suis appelé à vivre ce que
je demande aux autres, je dois aussi penser à une conversion (« nouvelle
orientation », dans la version allemande de l’exhortation. NdT) de la
papauté ». Le souverain pontife cite alors l’encyclique Ut unum
sint, du pape Jean-Paul II, où celui-ci demande de l’aide pour trouver « une
forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle mais sans
renoncement aucun à l’essentiel de sa mission ». Et le pape François de
conclure : « Nous avons peu avancé en ce sens ». Est-il
donc décidé à faire des progrès aussi sur ce point ? Mais quelle est sa vision
? Il le dit clairement : « Mais ce souhait ne s’est pas pleinement
réalisé, parce que n’a pas encore été suffisamment explicité un statut des
conférences épiscopales, qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes,
y compris une certaine autorité doctrinale authentique ». Selon notre
modeste opinion, une conférence épiscopale ne peut jamais être le sujet d’une
autorité doctrinale authentique puisqu’elle n’est pas d’institution divine,
mais seulement une institution pleinement humaine, de type organisationnel. La
papauté en soi est d’institution divine, de même chaque évêque par lui-même,
ainsi que tous les évêques dispersés dans le monde en union avec Pierre, mais
pas la conférence épiscopale. Si l’on continue sur ce chemin fatal, l’Eglise va
très rapidement se désagréger en Eglises nationales.Nous lisons au n° 16 : « Je
ne crois pas non plus qu’on doive attendre du magistère papal une parole
définitive ou complète sur toutes les questions qui concernent l’Eglise et le
monde ». Naturellement nous ne pouvons pas attendre que l’Eglise
prenne position sur toutes les questions, mais les papes du passé ont toujours
donné les principes d’action pour la conduite tant des individus que de la
société, et c’est ce que nous devrions espérer aussi aujourd’hui de
l’enseignement papal. Le Christ a institué Pierre afin qu’il paisse le
troupeau.
Nous en arrivons finalement à l’œcuménisme, au dialogue
œcuménique et interreligieux. Le n° 246 parle de la hiérarchie des vérités. Ce
terme ambigu a été déjà utilisé par le concile Vatican II dans son décret sur
l’œcuménisme Unitatis redintegratio, au n° 11. Par la suite, on a tenté de
mettre de côté la vérité catholique et de dissimuler ce qui pourrait être une
pierre d’achoppement pour nos « frères séparés ». En 1982, la
Congrégation de la Foi est intervenue et a déclaré que le terme de hiérarchie
des vérités ne veut pas dire qu’une vérité est moins importante qu’une autre,
mais qu’il existe des vérités desquelles découlent d’autres vérités partielles.
Nous ne pouvons qu’être reconnaissants de cette clarification. La foi
catholique, vertu théologale, réclame l’acceptation de la Révélation intégrale,
en raison de Dieu qui se révèle. Cette clarification donne, en outre, un
exemple de la manière avec laquelle on pourrait rectifier les ambiguïtés des
textes du concile Vatican II, à l’exception des points franchement erronés. La
fin de ce même n° 246, nous invite, nous catholiques, à apprendre des
orthodoxes la signification de la collégialité épiscopale et de l’expérience de
la synodalité.Nous lisons au n° 247 que l’alliance du peuple juif avec Dieu n’a
jamais été supprimée. Cette alliance n’était-elle pas instituée par Dieu afin
de préparer son Incarnation salvifique en la personne de Jésus-Christ ?
N’était-elle pas une ombre et un modèle qui devaient faire place à la
réalité : umbram fugat veritas ? N’est-ce pas la nouvelle et
éternelle Alliance conclue dans le saint Sacrifice du Christ sur le Calvaire,
qui a remplacé l’ancienne ? Le voile du temple ne s’est-il pas fendu de haut en
bas au moment du sacrifice du Golgotha ? Si, selon la déclaration de saint
Paul, au chapitre XI de l’épître aux Romains, une grande partie ou même la
totalité des Juifs se convertiront à la fin des temps, ce n’est que par la
reconnaissance du Christ, seul sauveur de tous et de chacun des individus, et
par l’intégration dans l’Eglise qui se compose de païens et de Juifs convertis.
Il n’y a pas de chemin de salut séparé pour les Juifs, en dehors du Christ. Par
ailleurs, l’Eglise a déjà depuis longtemps assimilé les valeurs du judaïsme de
l’Ancien Testament. Pensons spécialement à la prière des psaumes et aux livres
de l’Ancien Testament. Nous ne pouvons plus parler d’une « riche
complémentarité » avec le judaïsme contemporain.
Les n° 250 à 253 sont consacrés à l’Islam et on y lit que le
dialogue interreligieux « est une condition nécessaire pour la paix
dans le monde ». Le n° 252, dans la ligne du n° 16 de Lumen Gentium du
concile Vatican II, prétend que les musulmans « professent avoir la
foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique ». Mais les musulmans ne
rejettent-ils pas expressément le mystère de la Sainte Trinité, et ne nous
reprochent-ils pas pour cela d’être polythéistes ? Le pape dit en plus
qu’ils ont une profonde vénération pour Jésus-Christ et Marie, utilisant les
paroles de Nostra aetate (n° 3). Mais vénèrent-ils vraiment le Christ
comme le Fils de Dieu, égal à lui dans son essence ? Cela semble presque
être un détail sans importance (dans le document romain. NdT).
Au point suivant, le pape arrive à des conclusions
concrètes : « Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec
affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la
même manière que nous espérons et nous demandons d’être accueillis et respectés
dans les pays de tradition islamique ». Ce numéro se termine par la fausse
affirmation scandaleuse : « Face aux épisodes de fondamentalisme
violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam
doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations parce que le véritable
Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence». Le
Saint-Père n’a-t-il jamais lu le Coran ?
Au n° 254, on aborde le sujet des non-chrétiens en général,
et le fait que leurs signes et rites « peuvent être la voie que
l’Esprit lui-même suscite pour libérer les non-chrétiens de l’immanentisme
athée ou d’expériences religieuses purement individuelles.» Cela ne
veut-il pas dire que l’Esprit-Saint œuvre dans toutes les religions
non-chrétiennes et qu’elles sont toutes des chemins de salut ? La foi de
l’Islam en un seul Dieu est certainement – si on parle de manière abstraite –
supérieure au polythéisme des païens. Cependant pédagogiquement et psychologiquement,
il est beaucoup plus facile de convertir un païen que de convertir un musulman,
car celui-ci est intégré dans un système socioreligieux : sortir de ce
système met en danger sa vie. Mais les religions non-chrétiennes ne sont
nullement des chemins neutres de vénération de Dieu, car elles sont trop
souvent mêlées à des éléments démoniaques qui empêchent l’homme de parvenir à
la grâce du Christ, de se faire baptiser et ainsi de sauver son âme.
Rien n’a causé plus de dommage à la protection et à la
transmission de la foi dans les cinquante dernières années que cet œcuménisme
débordant qui n’est rien d’autre que « la dictature du
relativisme » religieux (cardinal Ratzinger). Ce mal a fait
disparaître la définition de l’Eglise comme Corps mystique du Christ, seule
épouse de l’Agneau sacrifié et unique chemin de salut. C’est justement cet
œcuménisme qui a transformé l’Eglise missionnaire en une communauté «
dialoguisante » œcuménique parmi d’autres communautés religieuses.
Appeler dans le cadre de cet œcuménisme l’Eglise à la joie
de l’Evangile et vouloir la transformer en une Eglise missionnaire, n’est pas
peu tragico-comique. Comment peut-elle penser et agir de manière missionnaire,
quand elle ne croit pas à sa propre identité et à sa mission ?
Conclusion
Quoique l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium puisse
contenir des aspects justes, comme dans la semence dispersée, elle n’est dans
l’ensemble rien d’autre qu’un développement consécutif au concile Vatican II,
dans ses conclusions les plus inacceptables. Nous ne voyons pas en ce dernier « des
voies pour la marche de l’Eglise pour les prochaines années » (n°1),
mais plutôt un autre pas funeste pour le déclin de l’Eglise, la décomposition
de sa doctrine, la dissolution de ses structures, et même pour l’extinction de
son esprit missionnaire qui est pourtant évoqué à maintes reprises (dans
l’exhortation). Ainsi Evangelii gaudium devient Dolor fidelium,
un chagrin et une douleur pour les fidèles.
Les catholiques attachés à la Tradition de l’Eglise se
doivent de suivre la devise du pontificat de saint Pie X :Instaurare omnia
in Christo, tout renouveler dans le Christ. C’est ce que nous voyons comme le
seul chemin, la seule voie « pour la marche de l’Eglise pour les
prochaines années » (n° 1). Aussi réfugions-nous par le chapelet
quotidien auprès de Celle qui a vaincu toutes les hérésies dans le monde.
Abbé Franz Schmidberger
Directeur du Séminaire Herz Jesu de Zaitzkofen (Allemagne)
(Source : FSSPX/Zaitzkofen – Traduit de l’allemand – DICI du
17/12/13)