SOURCE - Réginald - Le Forum Catholique - 14 juillet 2007
En présence du motu proprio Summorum Pontificum, notre sentiment premier est d’abord d’immense reconnaissance au Saint Père pour ce texte extraordinairement courageux, et d’action de grâces à la divine Providence pour cet acte du Successeur de Pierre. Comme nous ne pouvions manquer de nous y attendre, la réception de ce document soulève déjà des difficultés de part et d’autre. Du côté des amis de la liturgie traditionnelle, un point cristallise les perplexités. Il s’agit du passage suivant, que je traduis littéralement de l’italien :
« Évidemment, pour vivre la pleine communion [ecclésiale], les prêtres des communautés adhérant à l’usage ancien ne peuvent, par principe (in linea di principio), exclure la célébration selon les livres nouveaux. En effet, l’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de la valeur et de la sainteté du même » (lettre d’accompagnement).
Je voudrais proposer ici quelques observations, aussi rigoureuses que possible, sur ces deux phrases.
1) Alors que certains liseurs n’ont cité que la première phrase, notons d’abord qu’il y en a deux, et que la seconde se rapporte à la première comme à sa justification, et qu’elle est, sous ce rapport la plus importante.
2) Certains n’ont pas manqué de relever que ce passage ne se trouve pas dans le texte du motu proprio lui-même, mais dans sa lettre d’accompagnement. Ils semblent vouloir en déduire que ce rappel du Saint Père n’a pas force de loi pour les prêtres qui utilisent le missel de 1962. Au contraire, il faut souligner que ce document constitue l’interprétation authentique du motu proprio par son auteur lui-même, c’est-à-dire par le détenteur de l’Autorité suprême dans l’Église. Il serait par conséquent bien léger, pour ne pas dire plus, de balayer d’un revers de main cette indication, bien précise, du Saint Père.
3) Que demande, alors, Benoît XVI, aux « utilisateurs » du missel dit de Saint Pie V, par rapport au missel de Paul VI ? Dans le motu proprio lui-même, le Pape situe de façon parfaitement claire les deux missels par rapport à la lex credendi. À l’article premier, nous lisons en effet que, je traduis, « ces deux expressions de la “lex orandi” de l’Église n’impliquent de fait aucune division dans sa “lex credendi” ; en effet, ce sont deux usages (usus) d’un unique (unici) rite romain ». On n’a pas assez observé que le Souverain Pontife tranche ici un point d’une extrême importance : les différences entre les deux rites ne sont pas dogmatiques, puisque les deux missels expriment la même « loi de croyance », c’est-à-dire la même foi, et donc la même doctrine eucharistique. Il en découle que ces différences consistent en des accentuations différentes de certains aspects de l’ensemble du mystère eucharistique, et, si l’on veut, en ce que l’on nommerait de nos jours des registres culturels distincts. Saint Thomas d’Aquin note, dans le même esprit, que « les diverses coutumes que l’Église utilise dans le culte divin ne répugnent en rien à la vérité, et que par conséquent elles doivent êtres conservées » (Summa theologiae IIa-IIae, q. 93, art. 2, ad 3m). Dans l’art. 3, le Saint Père dispose qu’« une communauté singulière ou un institut tout entier » peut vouloir célébrer selon la forme extraordinaire du rite romain « souvent ou habituellement ou de façon permanente (permanenter) ». Par conséquent, les membres de tels instituts (dont les statuts sont approuvés) peuvent utiliser quotidiennement les livres de 1962. La coexistence, dans le même motu proprio, de ces deux articles, 1 et 3, soulève un problème : comment l’« usager permanent » de la forme extraordinaire du rite romain doit-il se rapporter concrètement à la forme ordinaire de ce même rite romain. C’est à ce problème précis que répond justement la lettre d’accompagnement !
4) Cette réponse est introduite par le mot italien ovviamente, qui signifie évidemment. Pour le Saint Père, il ne fait aucun doute que « la valeur et la sainteté du nouveau rite » doit être reconnue de tous, et que cette reconnaissance est incompatible avec l’« exclusion totale » de la célébration selon les livres nouveaux.
5) Il s’agit bien ici d’un acte de reconnaissance pratique, et non seulement purement théorique, comme le serait la signature d’un document confessant l’orthodoxie du nouveau rite. En effet, une « reconnaissance » d’un rite (et pas simplement d’un énoncé) qui exclurait l’usage de ce rite ne serait pas une vraie reconnaissance, puisque, dans cette hypothèse, celui qui « reconnaîtrait » le rite en question ne le reconnaîtrait pourtant pas comme digne d’être célébré, et donc ne l’accepterait pas comme un vrai rite, et encore moins comme la forme ordinaire du rite romain.
6) C’est pourquoi il me semble que les « usagers » du rite traditionnel sont invités, par cette lettre d’accompagnement, à accepter, au moins en des circonstances tout à fait occasionnelles, de célébrer selon la forme ordinaire du rite romain, par exemple par charité fraternelle envers leurs confrères prêtres.
7) Vouloir, par des arguties sophistiques, gommer ce passage de la lettre d’accompagnement de Benoît XVI ne relèverait-il pas d’une certaine mauvaise foi, nuisible à l’esprit du motu proprio et à la fécondité apostolique que le Saint Père en attend dans le prologue ?