L'arrivée du motu proprio inquiète fortement l'Eglise de France Le motu proprio libéralisant l'usage du missel dit "de saint Pie V" doit être publié samedi 7 juillet à Rome. Il sera accompagné d'une lettre de Benoît XVI expliquant aux évêques pourquoi il a pris cette décision. Le site Internet la-croix.com mettra en ligne ces deux documents en français dès leur publication.
Depuis jeudi 5 juillet, les évêques de France ont sur leur bureau une longue lettre de Benoît XVI accompagnant la pièce jointe, un « motu proprio ». C’est un décret du pape, il a force de loi, il est intitulé Summorum pontificum et sera publié samedi 7 juillet.
Il doit permettre un usage plus large du missel dit « de saint Pie V » dans l’Église catholique latine : ce missel – la liturgie de la messe, mais aussi l’ensemble des lectures liturgiques, les fêtes des saints, la célébration des sacrements, la prière du bréviaire… – que beaucoup ont en mémoire pour l’avoir pratiqué jusqu’au dernier Concile. La dernière des nombreuses versions successives qu’il avait connues depuis le concile de Trente date de 1962, entérinée par Jean XXIII à la veille de Vatican II.
À l’origine, seul le texte du motu proprio devait être publié. Mais la pression des évêques français, notamment lors de l’assemblée de Lourdes à l’automne dernier où ils avaient signé un « message de soutien » au cardinal Ricard (La Croix du 10 novembre 2006), ainsi que des épiscopats allemand et américain, si elle n’a pas fait reculer Rome sur le fond, l’a beaucoup fait réfléchir. Au point de reporter de plusieurs mois la publication du motu proprio et de laisser le temps à Benoît XVI de rédiger cette lettre expliquant l’esprit de sa décision.
Le but essentiel : réduire le schisme de Mgr Lefebvre
Car, en France, le terrain est miné, et le pape le sait désormais. Même s’il faut attendre la fin de cette année 2007 pour savoir combien de nouvelles messes « tridentines » (selon la forme du concile de Trente) seront célébrées dans les diocèses (probablement une petite cinquantaine, sur les 20 000 messes dominicales ?), beaucoup d’évêques redoutent la portée symbolique de ce geste du pape. Il pourrait être perçu par certains prêtres et fidèles comme une remise en cause de Vatican II – ce qui est tout le contraire de l’intention de Benoît XVI. Tenues au secret pontifical, les rares personnes vraiment informées de ce dossier – il a échappé aux circuits habituels de la production de textes romains, car géré directement par le pape et son entourage proche – ont pu confirmer deux informations.
La première est que Benoît XVI rappelle, dans sa lettre aux évêques, que son but essentiel est de réduire le schisme de Mgr Lefebvre, sans effectuer le moindre retour en arrière : la messe dite « de Paul VI », issue du Concile, reste « la » messe de l’Église catholique, l’ancien rite devenant « une forme extraordinaire de l’unique rite romain ». Autre insistance de la lettre (déjà développée par le pape devant la Curie fin 2005) : Vatican II doit être interprété non comme rupture, mais dans la continuité avec l’ensemble de la tradition de l’Église catholique.
Vive préoccupation dans l'épiscopat
Seconde information d’ores et déjà acquise : Summorum pontificum mettra fin aux dispositions du précédent motu proprio sur ce sujet, Ecclesia Dei adflicta (Jean-Paul II, 1988. Pour le consulter, cliquez ici), qui réservait aux évêques le pouvoir d’autoriser des prêtres à célébrer la messe selon le missel de 1962. Désormais, tout prêtre pourrait donc célébrer en privé selon l’ancien rite. Les célébrations publiques, elles, exclues pendant les jours pascals, devraient être limitées dans les paroisses à raison d’une seule messe par dimanche, et à condition que le groupe demandeur soit établi de manière stable sur ce territoire. Aucun prêtre ne pourrait toutefois être obligé de célébrer selon l’ancien missel. Sans parler d’autres dispositions normatives qui figureraient encore dans ce motu proprio.
Quelques sondages dans l’épiscopat français montraient dès mercredi 4 juillet une vive préoccupation face à ce nouveau dispositif. Non pas tant sur son application, car les deux tiers des diocèses pratiquent déjà ce système de dispense qui permet l’usage de cette liturgie. Mais plutôt sur ses effets potentiellement diviseurs dans les diocèses : cette libéralisation, même si elle ne concerne qu’une minorité, risque en effet d’aiguiser des antagonismes ecclésiaux.
Où trouver des prêtres disponibles ?
L’autre préoccupation épiscopale est plus technique : déjà confrontés à la pénurie de prêtres, la plupart des évêques voient mal où trouver des prêtres disponibles. Ils envisagent donc de « gérer » ces mesures à un niveau diocésain plutôt qu’à l’échelle paroissiale. D’autres se sentant déjà « harcelés » par des groupes traditionalistes, minoritaires mais très actifs en matière de pétitions et de réactivité sur Internet, et redoutent une mise en œuvre conflictuelle de cette nouvelle mesure. Tous les évêques interrogés s’accordent, notamment dans les diocèses ruraux ou semi-urbains, sur le fait que cette mesure ne concerne chez eux que quelques dizaines de personnes au maximum. Et tous sont vigilants pour ne pas laisser se constituer, au sein des Églises diocésaines, des « chapelles » qui, une fois acquise cette libéralisation du recours à l’ancien missel, demanderaient de plus une catéchèse spécifique, des groupes scouts idoines, bref, une vie d’Église parallèle.
Jean-Marie GUENOIS |