SOURCE - Jean-Marie Guénois - Le Figaro - 13 avril 2012
La signature d'un document fixant les relations entre le Saint-Siège et les disciples de Mgr Lefebvre est une question de jours.
Officiellement, le Vatican attend la réponse de Mgr Bernard Fellay, le chef de fil des lefebvristes. Sitôt reçue à Rome - «c'est une affaire de jours et non plus de semaines», indique-t-on au Vatican -, elle sera «aussitôt» analysée. Si elle est conforme aux attentes, le Saint-Siège annoncera très vite un accord historique avec cette branche de fidèles, connus sous le nom d'«intégristes».
Mais officieusement et dans la plus grande discrétion, les émissaires ont travaillé, de part et d'autre, pour «aboutir à un accord». Ces dernières semaines, les ultimes réglages ont été finalisés entre Rome et Écône pour répondre au mieux aux demandes de «clarifications» sollicitées par le Vatican, le 16 mars dernier.
Une négociation très délicateC'est ainsi que la réponse finale de Mgr Fellay, extrêmement pesée et bien préparée, devrait dénouer - pour de bon, cette fois - une négociation très délicate qui fut relancée par Benoît XVI dès son élection en 2005.
La commission «Ecclesia Dei», abritée au sein de la congrégation pour la Doctrine de la foi, le plus important ministère du Vatican, est en charge de ce dossier. Mais il est aussi, à ce point, personnellement suivi par Benoît XVI. Et il veut un accord.
Ce qui laisse penser les personnes bien informées qu'une issue positive va vraiment voir le jour. Même au prix de la subsistance de profondes divergences à propos du concile Vatican II.
Des différences totalement assumées du reste, par le Pape. Il a placé son pontificat dans cette ligne de réinterprétation du concile Vatican II. Selon deux axes: évacuer l'esprit de «rupture» des années 68 et éviter d'opposer la plus haute tradition de l'Église à sa modernité.
Cinquante ans d'oppositionLundi, Benoît XVI aura 85 ans. Il est fatigué. Son entourage ne le cache pas. Il a dû se reposer cette semaine à Castel Gandolfo de son épuisant périple au Mexique et à Cuba, puis des longs offices de la semaine sainte. Il devait retrouver le Vatican vendredi soir. En priorité sur son bureau: cette décision sur le dossier lefebvriste. Elle sera l'une des plus lourdes du pontificat.
Depuis cinquante ans, les lefebvristes sont en opposition avec le Saint-Siège à propos du concile Vatican II. Et en rupture juridique formelle, depuis juin 1988, quand Mgr Marcel Lefebvre ordonna quatre évêques malgré l'interdit du Pape.
Joseph Ratzinger fut chargé à l'époque par Jean-Paul II des négociations avec l'évêque frondeur. Il n'a jamais accepté cet échec. Ni, une fois devenu pape, la perspective d'un schisme durable dans l'Église.
Benoît XVI pousse l'Église à se réconcilier avec elle-mêmeLes uns derrières les autres, Benoît XVI a abattu, de toute son autorité de pape, les obstacles qui empêchaient une pleine réconciliation avec les disciples de Mgr Marcel Lefebvre.
Et si un accord final est annoncé dans les jours qui viennent, l'essentiel du travail a déjà été fourni par ce pape.
- Rétablissement en 2007 - comme rite «extraordinaire» dans l'Église catholique - de la messe dite en latin, c'est-à-dire, selon le missel de Jean XXIII en vigueur avant le concile Vatican II.
- Levée des excommunications, en 2009, qui frappaient les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre.
- Lancement des discussions doctrinales entre le Saint-Siège et la fraternité Saint Pie X, la même année, à propos du concile Vatican II.
L'échec apparent de ces dernières, il y a un an, avait donné l'impression d'un échec total de la négociation. Le désaccord doctrinal entre les lefebvristes et Rome à propos du concile Vatican II est effectivement abyssal. On avait simplement oublié que l'objet de ces échanges n'était pas de trouver un accord, mais d'établir la liste des différences et de leur pourquoi.
C'est donc en parfaite connaissance de cause, et donc sans aucune ambiguïté, que Rome entend sceller cette unité retrouvée avec Ecône, fief des lefebvristes en Suisse. Elle passera probablement par l'attribution d'un statut spécial - une «prélature personnell» - déjà expérimentée par l'Opus Dei. Cette structure donne une véritable autonomie d'action dès lors que la foi catholique est partagée. Son supérieur rend compte directement au pape et non aux évêques.
Mais la vraie «révolution» que Benoît XVI cherche à laisser aux yeux de l'histoire de l'Église catholique est ailleurs. Elle touche non pas des aspects périphériques de l'Église catholique. Ceux-ci font d'ailleurs déjà bondir les groupes opposés à cette réconciliation. Lesdits «progressistes» de l'Église conciliaire qui voient les «acquis» du concile Vatican II remis en cause. Lesdits «ultras» des rangs lefebvristes qui voient là une trahison et une compromission avec la Rome moderniste.
Cette révolution a pour ambition une vision élargie de l'Église catholique. Le théologien Benoît XVI n'a jamais admis qu'en 1962, la bimillénaire Église catholique se coupe de la culture et de la force de son passé. Plus qu'une réconciliation avec les lefebvristes, il vise donc, par ce geste, une réconciliation de l'Église catholique avec elle-même.