SOURCE - DICI - abbé Arnaud Rostand - 22 juin 2012
Entretien accordé à The Angelus Press par l’abbé Arnaud Rostand, supérieur du district des Etats-Unis de la Fraternité Saint-Pie X, le 11 juin 2012. Extraits.
A propos d’un accord entre Rome et la Fraternité, que répondriez-vous à l’argument que la foi est ce qui compte le plus, et qu’il est impossible d’aller plus loin si l’on n’est pas parfaitement en accord sur le plan de la foi ?
En effet, la foi est ce qui importe le plus. Cela a été notre combat pendant quarante ans de défendre l’intégrité de la foi. Cependant, il n’est pas juste de dire que l’unité de l’Eglise n’est fondée que sur la foi. Si vous ouvrez votre catéchisme et trouvez la question concernant l’unité de l’Eglise, vous lisez que l’Eglise est une parce que les catholiques croient en la même doctrine, reçoivent les mêmes sacrements, et enfin parce qu’ils sont dirigés par une même tête. Il y a donc trois principes d’unité de l’Eglise.
Il est évident qu’aujourd’hui, la priorité est le combat pour la foi. Pourtant nous ne pouvons pas perdre de vue les autres principes d’unité de l’Eglise. Il est donc important de garder à l’esprit le rôle et la mission du pape dans l’Eglise : c’est de l’aspect visible de l’Eglise qu’il est question ici. La Fraternité Saint-Pie X, à la suite de Mgr Lefebvre, n’a jamais adopté une position sédévacantiste, selon laquelle il n’y aurait plus de pape, etc. Chaque fois que le pape nous demande de faire quelque chose, s’il n’y a pas de contradiction avec la foi ou avec les principes moraux, nous obéissons. Nous n’avons pas le choix ! C’est une reconnaissance de la visibilité de l’Eglise.
Aujourd’hui, je pense qu’on nous demande un acte de foi dans l’Eglise. Pendant de nombreuses années nous avons vu, et voyons toujours, l’Eglise être attaquée de toutes parts, y compris de l’intérieur ; nous avons vu tant d’abus, d’erreurs, d’hérésies, que nous pourrions oublier que Notre-Seigneur Jésus-Christ guide toujours son Eglise à travers la structure visible de l’Eglise qu’il a fondée.
La foi n’est elle pas menacée aujourd’hui ?
Le problème de la foi est toujours là, c’est le problème essentiel dans l’Eglise d’aujourd’hui, cette foi pour laquelle la Fraternité s’est toujours battue. Cependant, quand on parle de reconnaissance de la Fraternité par Rome, il s’agit essentiellement de respecter la règle de prudence. Si la Fraternité peut être reconnue par Rome tout en conservant sa liberté, et que la foi peut être préservée, la règle de prudence nous pousse à aller plus loin. Et Mgr Fellay a été très clair sur ces deux points, il est hors de question que nous acceptions que la foi soit compromise.
Et si le fait même d’accepter une reconnaissance par Rome était une forme de compromission ?
C’est une question intéressante, et l’une des objections majeures à la reconnaissance de la Fraternité aujourd’hui : dans les décennies précédentes, nous avons vu tant d’erreurs, qu’un accord pourrait en soi revenir à une compromission de la foi ? Eh bien non ! Car, encore une fois, nous avons échangé sur les points de doctrine avec Rome, qui désormais connaît exactement notre position. Cette position concernant la liberté religieuse, l’œcuménisme, etc. est publique et connue, et nous n’avons fait aucune déclaration, et n’avons aucunement l’intention d’en faire, qui indiquerait que nous serions prêts à revenir sur notre combat pour la foi. La reconnaissance de la Fraternité et le combat de la foi, ce n’est pas une même chose. En 1970, quand Mgr Lefebvre demanda la reconnaissance de la nouvelle société qu’il avait fondée, ou quand il signa le protocole de 1988, diriez-vous qu’il compromettait la foi simplement parce qu’il demandait la bénédiction de l’Eglise sur cette société de prêtres qu’il avait fondée ? Non… Mgr Lefebvre n’a jamais mis la foi en péril, et la situation aujourd’hui entre la Fraternité et Rome est comparable à celle de 1988, où il y eut la possibilité du protocole.
Certains semblent s’inquiéter du silence qui a entouré les dernières avancées dans ce rapprochement : s’il n’y a rien que de vrai et de juste à la possibilité d’une reconnaissance de la Fraternité par Rome, pourquoi tant de discrétion ?
Vous savez, la discrétion sur certaines affaires est naturelle, c’est une chose commune dans la vie courante. Tout prêtre sait qu’il ne peut pas partager toutes les informations qu’il reçoit, et je ne parle pas seulement du secret de la confession. Un supérieur, un prêtre, même dans son apostolat ordinaire, doit prendre des décisions sans faire part de tout ce qui les motive, et cela est également vrai pour un homme d’affaires, pour un père de famille… Vous n’expliquez pas à vos enfants toutes les raisons de votre décision. C’est un aspect normal de la vie, il n’y a rien là de surprenant.
La discrétion qui entoure le rapprochement entre Rome et la Fraternité est une nécessité compte tenu de la situation actuelle de l’Eglise. Nous savons quelle pression peut être exercée par les médias, ou par toute personne, sur Rome ou sur Mgr Fellay ! Quand de tels échanges ont lieu, il faut qu’ils se fassent à l’abri des pressions. Il ne s’agit pas pour Mgr Fellay de suivre un groupe ou un autre, mais de prendre la bonne décision selon sa conscience : c’est sa responsabilité. Cette discrétion est donc normale, et n’est certainement pas un signe de mauvais augure.
Que pouvez-vous dire de la prélature personnelle qui est apparemment proposée à la Fraternité Saint-Pie X ?
Eh bien ! Je ne peux pas vous dire grand-chose, car nous ne connaissons pas encore les conditions précises de la prélature. Et il est incroyable que certains s’appuient sur des rumeurs pour attaquer la Fraternité Saint-Pie X et Mgr Fellay, alors que rien n’est public ni connu !
N’y a-t-il pas un danger, si la Fraternité était régularisée, qu’au lieu d’influencer l’Eglise, elle soit au contraire influencée par certaines tendances modernistes ? L’exemple d’autres congrégations ayant conclu un accord avec Rome ne pourrait-il pas être considéré comme une leçon pour la Fraternité ?
C’est vraiment une question de prudence. Et ici je voudrais préciser un point. En matière de prudence, la décision incombe d’abord au Supérieur. Une décision prise pour toute la Fraternité Saint-Pie X n’est pas mise dans les mains de tout le monde !
En effet, il y a un danger, même aujourd’hui dans notre situation, et il restera après une éventuelle reconnaissance canonique, parce que le plus grand danger, c’est notre faiblesse. Mais il y a deux grandes différences entre nous et les autres congrégations. La première est que nous avons eu des discussions doctrinales avec Rome. La seconde, c’est que nous avons des évêques, ce qui est une force pour notre foi et dans notre travail, pour poursuivre ce que nous avons toujours fait.
Monsieur l’abbé, concernant les croisades du rosaire, il y a certains soupçons que celles-ci n’aient été que des ruses pour « amadouer » les fidèles… (sous-entendu : les habituer à un accord qui aurait été déjà signé secrètement. NDLR de DICI)
Tout d’abord, nous avons fait ces croisades du rosaire de tout notre cœur. Elles ont été demandées par Mgr Fellay afin d’implorer du Ciel un soutien pour l’œuvre de la Fraternité, puis dans une intention particulière. Il est scandaleux de dire, plusieurs années après le début des ces croisades du rosaire, qu’elles étaient un stratagème, ou quelque chose de ce genre. Cela n’a pas le moindre sens, et je pense que c’est vraiment injuste. Nous avons toujours reçu, et recevons encore un grand nombre de courriers concernant ces croisades : on nous demande l’intention de prière de la prochaine croisade, ou encore on nous en propose. Cela fait partie de notre combat, c’est même là l’une des œuvres les plus grandes de Mgr Fellay durant ses années en tant que supérieur général : appeler à la prière de supplication afin que le Ciel nous envoie l’aide dont nous avons besoin pour accomplir notre mission sur terre. Je pense que Notre Dame aura un rôle décisif dans la résolution de la situation où nous nous trouvons. Je ne sais pas comment elle s’y prendra, mais je ne vois pas comment le chapelet pourrait ne pas avoir un rôle décisif.
Que pouvez-vous dire sur le prochain Chapitre général, dont la date approche ?
Le prochain Chapitre général, qui aura lieu en juillet, sera un Chapitre général comme les autres. Il réunira le supérieur de la Fraternité, les supérieurs des districts, les directeurs des séminaires ainsi que les prêtres les plus anciens de la Fraternité ; on y traitera des différentes affaires internes de la Fraternité. Nos statuts nous imposent un Chapitre général tous les douze ans pour l’élection de notre Supérieur général, pour vérifier que nous suivons bien nos statuts et que l’esprit de la Fraternité Saint-Pie X est bon.
Le Chapitre général de juillet est un chapitre qui fera un bilan de mi-mandat, et que Mgr Fellay avait annoncé il y a 6 ans déjà. Voilà ce qui va se passer à Ecône, en juillet.
Ce n’est donc pas un Chapitre extraordinaire, convoqué à cause des derniers événements concernant le rapprochement entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X ?
Non, en effet, ce Chapitre, comme je l’ai dit, était prévu depuis six ans. Bien sûr, la situation actuelle donne une raison de plus à la convocation de ce Chapitre, mais elle n’en est pas à l’origine. Le Chapitre commencera par une retraite d’une semaine, que suivront tous les capitulants, puis nous nous réunirons pour traiter pendant une semaine de différentes affaires.
L’Eglise n’est pas une démocratie, et la Fraternité Saint-Pie X non plus. Ce qui signifie que certains hommes sont responsables de certaines choses et prennent des décisions pour les autres : c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a fondé l’Eglise ainsi. Il a donné tous pouvoirs au Vicaire du Christ, et il a donné le pouvoir aux évêques, à l’intérieur de l’Eglise, de prendre des décisions pour leur diocèse. Il n’est donc pas surprenant que Mgr Fellay doive prendre des décisions qui auront des conséquences pour nous tous. C’est normal, c’est ainsi que l’Eglise a été fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ce qui est à noter ici, c’est que la Fraternité Saint-Pie X a toujours attaqué la collégialité, une nouveauté de Vatican II, parce qu’elle a diminué le pouvoir du pape, celui des évêques dans leur diocèse, et a donné une responsabilité au collège des évêques quand la décision revient (en droit) au pape. Aujourd’hui, certains demandent que cette décision concernant Rome ne soit pas prise par Mgr Fellay seul, mais qu’elle soit votée par le Chapitre ou même par les fidèles ou l’ensemble des prêtres… Alors nous mettrions en pratique ce contre quoi nous nous sommes battus pendant 40 ans ? Ce qu’ils demandent n’est qu’une certaine application de cette collégialité que nous avons toujours rejetée.
Que voudriez-vous dire à l’intention de tous ceux qui vivent cette situation dans la Fraternité Saint-Pie X ?
Je voudrais d’abord remercier les fidèles pour les croisades du rosaire passées, et surtout celle que nous venons de terminer. Les fidèles ont été très généreux, ils ont récité des millions de chapelets et fait un grand nombre de sacrifices. Je leur en suis très reconnaissant. Je les invite à continuer de prier : ce n’est pas parce que la croisade du rosaire est terminée que nous devons nous arrêter. Nous avons besoin de tout cela et en aurons besoin pour encore longtemps. Donc, continuez d’offrir vos chapelets en famille aux intentions de l’Eglise, du pape, de Mgr Fellay, de la Fraternité Saint-Pie X : Notre Dame peut nous aider, et nous aidera à sortir de cette situation. Nous avons confiance en la Divine Providence et en la Vierge Marie.
Je voudrais aussi remercier les prêtres du district des Etats-Unis pour leur unité. Je suis en contact avec eux régulièrement, et je leur sais gré de leur unité de cœur et de leur soutien à Mgr Fellay, ainsi que de la façon dont ils se soutiennent les uns les autres en ces temps difficiles.
Je suis très fier du district des Etats-Unis, fier de l’esprit de foi des prêtres, fier de la générosité des fidèles, de notre apostolat ici, et je remercie le Bon Dieu pour tout cela.
(Source : FSSPX/USA – DICI n°257 du 22/06/12)
Voir l’entretien dans sa version originale ici.