SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres n°54 - mise en ligne par La Porte Latine - Juin 2012
Le 25 janvier 1964, par le Motu proprio Sacram liturgiam, Paul VI fondait le Consilium, soit le « Conseil pour mettre en oeuvre la Constitution conciliaire sur la liturgie ». Le 23 mai 1968, la Congrégation des Rites promulguait trois nouvelles Prières eucharistiques. En quatre ans, donc, une révolution liturgique majeure avait été réalisée : car la liturgie romaine n’avait jusqu’alors connu qu’une seule Prière eucharistique, appelée pour cette raison « Canon », c’est-à-dire « règle ».
En quelques mois…
Ce fut un travail énorme : « Le rite de la messe fut mis en chantier il y a cinq ans exactement.
Dix groupes d’études, comprenant une centaine de spécialistes de quinze nations, ont travaillé intensément et sans interruption en sessions spéciales et générales, et examiné chaque partie, chaque formule, chaque rite au point de vue de la théologie, de la pastorale, de l’histoire, des rubriques.
Certains points sont revenus des dizaines de fois sur la table de dissection » (Annibale Bugnini, « Le nouvel Ordo missæ », Osservatore romano, édition hebdomadaire en langue française, 23 mai 1969, p. 2, col. 1).
Il ne faut pas croire, toutefois, qu’on ait travaillé à la rédaction de ces nouvelles Prières eucharistiques durant quatre années : il avait d’abord fallu mettre en place le Consilium, ce qui avait évidemment demandé un certain temps. D’autre part, entre la réalisation des Prières eucharistiques et leur promulgation, un autre temps s’était écoulé : ces textes avaient, en effet, subi la relecture de la Congrégation des Rites, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et du Pape lui-même ; la Prière eucharistique III avait été « testée » au Synode des évêques ; enfin, le document juridique de promulgation avait dû être rédigé. Autrement dit, quelques mois seulement avait suffi pour élaborer des prières qui allaient être le coeur de la vie spirituelle de millions de prêtres et de fidèles.
En quelques heures…
Mais en réalité, c’est une erreur de croire que cette révolution fondamentale a été réalisée en quelques mois : c’est en jours qu’il faut compter, peut-être même en heures.
Nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, de documents fiables sur l’élaboration de la Prière eucharistique III, même s’il n’existe aucune raison particulière d’estimer qu’elle a été rédigée dans des conditions différentes des deux autres. En revanche, nous possédons des témoignages convergents et bien informés sur la genèse des Prières eucharistiques II et IV, et ils sont particulièrement déconcertants, voire effrayants, par ce qu’ils nous font connaître de l’atmosphère d’improvisation brouillonne dans laquelle elles furent préparées. Nous publions ci-après ces récits.
Hâte, systématisme et bricolage
Ce qu’on peut dire à partir de ces attestations, et plus généralement en parcourant l’ouvrage fondamental du maître d’oeuvre de la réforme liturgique, Mgr Annibale Bugnini (La riforma liturgica (1948-1975), Edizioni liturgiche, 1983), c’est d’abord que cette réforme s’est faite avec une hâte extrême : en quelques mois, en quelques années, l’édifice complet de la liturgie romaine, lentement élaboré en vingt siècles de tradition, a connu une refonte complète et radicale.
C’est ensuite que cette réforme s’est accomplie selon un schéma préétabli, « à travers des livres émanant d’experts et consistant essentiellement en programmes rituels » (Joseph Gélineau, « Tradition, création, culture », Concilium 182, février 1983, p. 25). La réforme liturgique est le fruit d’un étonnant systématisme, tout à fait différent de la riche et libre variété de la vie.
Enfin, cette réforme a consisté principalement en un bricolage des rites, un assemblage de pièces et de morceaux, prenant un texte ici, un geste là, une attitude ailleurs, et « mixant » le tout allégrement, avec le résultat de n’aboutir qu’à un patchwork sans unité organique.