22 juin 2012

[DICI] Revue de presse : La rencontre de Mgr Fellay avec le cardinal Levada, 13 juin 2012

SOURCE - DICI - 22 juin 2012

Le lendemain de l’entretien de Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, avec le cardinal William Levada (sur la photo), Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans l’après-midi du 13 juin 2012, la Maison générale de la Fraternité a publié un communiqué où l’on peut lire : « Au cours de cette rencontre, Mgr Fellay a entendu les explications et les précisions du cardinal Levada, auquel il a présenté la situation de la Fraternité Saint-Pie X et a exposé les difficultés doctrinales que posent le concile Vatican II et le Novus Ordo Missae. La volonté de clarifications supplémentaires pourrait déboucher sur une nouvelle phase de discussions. » Plusieurs observateurs ont compris que les problèmes doctrinaux avaient été au centre de l’échange. Jean-Marie Guénois écrivait dans Le Figaro du 14 juin : « Ce qui bloque, c’est toujours la question du Concile Vatican II. Cause de rupture à l’époque, ce Concile demeure source de fortes divergences. Elles sont connues : les lefebvristes récusent notamment l’abandon de la messe en latin selon l’ancien rite (pourtant rétablie en 2007 sous le mode ‘extraordinaire’ par Benoît XVI) mais aussi l’ouverture de l’Église catholique au monde et le dialogue interreligieux. L’inconnue, en revanche – clé de cette négociation – est la marge de liberté de critique, accordée dans ce cas, par Rome, aux lefebvristes, à propos du Concile Vatican II. » L’agence Apic titrait sa dépêche du 15 juin : « Vatican II et le Novus Ordo Missae, un frein à la reconnaissance canonique ». Et le site Summorum Pontificum s’interrogeait le même jour : « Une prélature personnelle, mais pour quand ? », proposant cette analyse : « (Mgr Fellay) est retourné à Menzingen ce jeudi avec un nouveau document en main. Selon plusieurs sources, il s’avère que ce document ne correspondait pas à celui qui était attendu et que plusieurs modifications importantes y ont été apportées. (…) Dans l’état, Mgr Fellay ne pouvait donc signer ce document « doctrinalement modifié », d’où le report annoncé dans les deux communiqués, celui du Saint-Siège puis celui pour l’extérieur, de la Fraternité Saint-Pie X. (…) Il se pourrait qu’il y ait eu un grippage à l’intérieur même de la Curie, même si rien pour l’heure ne permet de confirmer sérieusement cette piste. De son côté, fidèle à la ligne qu’il a adoptée, bien décidé à ne rien abdiquer doctrinalement (or il semblerait que des difficultés d’ordre doctrinal auraient été ajoutées au dernier moment), Mgr Fellay va poursuivre sa réflexion et sa consultation, dans le cadre du chapitre général et plus largement certainement. »
Dans l’entretien qu’il avait accordé à DICI le 8 juin dernier, soit cinq jours avant de rencontrer le cardinal Levada, Mgr Fellay avait déclaré : « Pouvons-nous nous taire devant tous ces problèmes » qui demeurent, comme l’œcuménisme ou la liberté religieuse ? Indiquant qu’il voyait dans ces problèmes doctrinaux la cause de l’ « apostasie silencieuse » constatée par Jean-Paul II lui-même, il ajoutait : « Si nous voulons faire fructifier le trésor de la Tradition pour le bien des âmes, nous devons parler et agir. Nous avons besoin de cette double liberté de parole et d’action. »
Hypothèses d’explication
Le rappel de cette nécessaire liberté, pour le bien de l’Eglise, a-t-elle inquiété les autorités romaines ? Nul ne le sait, l’entretien du 13 juin n’ayant fait l’objet d’aucune indiscrétion. Toujours est-il qu’avant même cette rencontre deux journalistes de tendances pourtant divergentes fournissaient une analyse similaire qui peut être un élément d’explication aujourd’hui. Le 10 mai, alors que venait d’être publié sur Internet un échange de correspondance privée entre Mgr Fellay et les trois autres évêques de la Fraternité, Patrice de Plunkett, peu suspect de sympathie excessive pour la Fraternité Saint-Pie X, affirmait sur son blog, en des termes dont nous lui laissons la responsabilité : « La lettre Tissier-Gallareta-Williamson [sic] récuse d’avance tout accord avec Rome. Elle n’a rien d’original : c’est la rhétorique du schisme avec ses cris de guerre et ses fantasmes… Aberrant, mais sans aucune ambiguïté. La lettre Fellay (sic) est bien plus manœuvrière. Citons son paragraphe 8, qui prône un mouvement dialectique au sein de l’Eglise contre un concile de l’Eglise :
« Ce mouvement nouveau, né il y a au moins une dizaine d’années, va se renforçant. Il touche bon nombre (encore une minorité) de jeunes prêtres, de séminaristes et même déjà un petit nombre de jeunes évêques qui se distinguent nettement de leurs prédécesseurs, qui nous disent leur sympathie et leur soutien, mais qui sont encore passablement étouffés par la ligne dominante de la hiérarchie en faveur de Vatican II. Cette hiérarchie est en perte de vitesse. Cela est objectif et montre qu’il n’est plus illusoire de considérer un  »combat intra muros », dont nous sommes bien conscients de la dureté et difficulté… » Donc, si les mots ont un sens :
  • Mgr Fellay rejette toujours en bloc le concile Vatican II (auquel Benoît XVI est profondément attaché dans une herméneutique de la continuité) ;
  • Mgr Fellay prétend jouir (en tant que ténor du rejet de Vatican II) du « soutien » d’une fraction du clergé officiel, dont « de jeunes évêques » ;
  • Mgr Fellay veut dresser cette fraction du clergé contre « la ligne dominante dans la hiérarchie en faveur de Vatican II » ;
  • par ces motifs, Mgr Fellay envisage désormais de porter « intra muros » (sic) le combat lefebvriste, contre Vatican II en gros et en détail. »
Au même moment, à propos du même échange de lettres entre les évêques, Marco Bongi, journaliste italien proche de la Fraternité Saint-Pie X qui a réalisé un entretien remarqué avec l’abbé Davide Pagliarani en 2011 (voir DICI n°239 du 13/08/11), faisait ce commentaire : « Je crois que, malgré les apparences, c’est Mgr Fellay qui se montre plus combatif et moins accommodant. Je m’explique : les trois évêques, même s’ils proposent en paroles le combat à outrance et refusent toute concession à « l’ennemi » moderniste, aimeraient mieux, en pratique, maintenir fermement les troupes à l’intérieur des casernes ; des discours pugnaces, des exercices dans les « polygones de tir », de grandes manœuvres sur le pré devant le séminaire d’ Ecône, mais dans la pratique pas de conflit ouvert. Jamais on ne se salira les mains avec la poudre sur un véritable champ de bataille. Une position apparemment fière et combative, en réalité assez commode. En revanche, Mgr Fellay, avec le flair d’un stratège, estime que c’est le moment venu d’affronter l’adversaire à découvert et que, dans la bataille rangée, on pourrait découvrir de nouveaux alliés insoupçonnés qui viendront difficilement nous chercher, tant qu’on restera enfermés dans la caserne. » – Là aussi, nous laissons à l’auteur de ce commentaire la responsabilité de sa comparaison martiale. Les autorités romaines l’ont-elles adoptée ? Nous ne pouvons l’affirmer en l’absence de toute information sérieuse. D’autres sites avancent l’hypothèse, fort plausible mais non vérifiée, de pressions exercées par des conférences épiscopales, par des instances non-catholiques, voire par certains gouvernements européens… Ces pressions sont-elles invincibles ? La suite le dira.
Quand les sédévacantistes informent les progressistes
En attendant, il n’est pas inintéressant de constater la vive prédilection d’hebdomadaires progressistes, comme La Vie ex-catholique, pour les sites sédévacantistes. Ainsi Natalia Trouiller relaie-t-elle, dans sa « Matinale chrétienne » du 15 juin, tout ce qui se trouve sur ses ces sites contre Mgr Fellay. Est-ce prudent ? Le fait suivant montre que non.
 
Le 2 mai 2012, cette chrétienne matinale avait titré une de ses notes : « FSSPX : un abbé démissionne », il s’agissait d’un prêtre argentin, l’abbé Gabriel Grosso. L’agence suisse Apic reprenait l’information le 7 mai, avec ce titre plus explicite : « Argentine : Un abbé de la FSSPX démissionne à cause du rapprochement avec Rome ». La traduction française de la lettre de démission de l’abbé Grosso, adressée en espagnol à l’abbé Christian Bouchacourt, supérieur du district d’Amérique du sud, se trouve sur un site sédévacantiste français, en date du 30 avril 2012, qui indique que l’original a été publié sur un site sédévacantiste argentin, le 23 avril 2012. Curieusement cette lettre était disponible sur un site français dès le mois d’août 2011. Comment expliquer ce mystère ?

Une simple vérification auprès de l’abbé Bouchacourt aurait permis à Natalia Trouiller d’apprendre que la lettre de l’abbé Grosso date du 30 juillet 2011. Les deux sites sédévacantistes français et argentin ont repris une lettre de l’an dernier, sans donner sa date, afin de pouvoir écrire : « 30 avril 2012 – un autre prêtre quitte la FSSPX… » Et l’Apic de commenter : « …à la veille d´un éventuel accord avec le Vatican. Outre les querelles verbales, le dernier épisode en date est la démission fin avril de l´abbé Gabriel Grosso, un prêtre argentin du district d´Amérique du Sud de la FSSPX. » – A un tout autre niveau, celui de l’affaire des fuites qui secoue actuellement le Vatican, le P. Federico Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, a  tenu à mettre en garde une fois de plus, le 18 juin, les journalistes contre les « indiscrétions », en les invitant à vérifier la fiabilité de leurs sources.
 
Mais qui est l’abbé Gabriel Grosso ? Ce religieux de la Société du Verbe-Divin a été un an à l’Institut du Bon Pasteur à Santiago du Chili. Puis, en 2009, il s’est rapproché de la Fraternité Saint-Pie X, comme collaborateur, où il n’a jamais souhaité s’engager. Il n’a donc pas démissionné ; il a fait savoir qu’il cessait sa collaboration par cette lettre du 30 juillet 2011 où il écrivait, entre autres, à l’abbé Bouchacourt : « (…) Ces considérations, parmi beaucoup d’autres, m’éloignent de la Fraternité, car si selon vous et vos confrères, prononcer de tels prêches revient à faire peur aux fidèles, selon moi, au contraire, nous devons enseigner ceci : ‘Quand donc vous verrez l’abomination de la désolation, annoncée par le prophète Daniel, établie en lieu saint, – que celui qui lit, entende, – alors que ceux qui sont dans la Judée s’enfuient dans les montagnes‘ (St Mat. 24 : 15-16). » Avant d’annoncer qu’il se retirait chez ses parents.
Le 8 juin, l’hebdomadaire Rivarol, après avoir ouvert ses colonnes à l’abbé Francesco Ricossa, prêtre italien « non una cum » (qui ne cite pas le nom du pape à la messe), a publié un entretien avec Mgr Bernard Tissier de Mallerais. A cette occasion, la rédaction de l’hebdomadaire rappelle qu’en 1968 Mgr Marcel Lefebvre lui avait adressé un long article. Il est utile de relire quelques lignes de ce texte où le prélat missionnaire déplorait, dans l’immédiat après-Concile, ce qu’il nommait le ‘collégialisme’ : « Ce collégialisme s’applique aussi à l’intérieur des diocèses, des paroisses, des congrégations religieuses, de toutes les communautés d’Eglise, de telle sorte que l’exercice du gouvernement devient impossible : l’autorité est constamment mise en échec. (…) Ainsi la dialectique est introduite dans l’Église par le collégialisme ou la démocratisation et, en conséquence, la division, le malaise, le manque d’unité et de charité. Les adversaires de l’Eglise peuvent se réjouir de cet affaiblissement du magistère et du gouvernement collégialisés. (…) Le réalisme, le bon sens et surtout la grâce de l’Esprit Saint aideront à rendre à l’Église ce qui a toujours fait sa vigueur et son adaptation : des apôtres au magistère et au gouvernement personnels, agissant selon les normes de la prudence et du don de conseil. » (Mgr Marcel Lefebvre, « Un peu de lumière sur la crise actuelle de l’Église », Rivarol, 7 mars 1968)
Comment on écrit l’histoire
Dans l’Apic du 6 juin 2012, le cardinal Henri Schwery qui fut évêque de Sion (Suisse) au moment des sacres de 1988, relate à sa façon et avec son vocabulaire, les rapports qu’il eut alors avec le cardinal Joseph Ratzinger et Mgr Marcel Lefebvre : « Au début mai 1988, je reçois un téléphone du cardinal Ratzinger me demandant de venir à Rome le lendemain pour prendre acte que la commission (où se trouvaient l’abbé Bernard Tissier de Mallerais et l’abbé Patrice Laroche de la FSSPX, NDLR) a soumis ses conclusions au pape qui les a acceptées et que le document a été soumis à Mgr Lefebvre qui l’a signé ce jour-même. Je lui ai alors demandé si Mgr Lefebvre est encore à Rome et s’il en connaît l’adresse. À sa réponse positive, j’ai réagi : Alors c’est foutu ! (sic) – Pourquoi ? – Parce que tout son état-major est là-bas. Or chaque fois que Mgr Lefebvre m’a promis quelque chose, le lendemain il a changé d’avis après avoir consulté ses proches collaborateurs, en l’occurrence surtout l’abbé Schmidberger. Le cardinal Ratzinger m’a sérieusement repris : ‘Vous ne devez pas être pessimiste. Venez demain. C’est signé. J’ai d’ailleurs déjà convoqué les présidents des conférences épiscopales allemande et française.’ Je me suis donc présenté le lendemain vers 10h du matin à Rome. Le cardinal avait le visage plutôt allongé. Et m’explique qu’il a averti les présidents des conférences épiscopales française et allemande de ne pas venir car malheureusement Mgr Lefebvre avait téléphoné dans la soirée pour dire qu’il retirait sa signature. Hélas ! »
L’abbé Emmanuel du Chalard, témoin oculaire, interrogé par DICI, rectifie : « L’abbé Schmidberger n’était pas à Albano lors de la signature du 5 mai. Il y avait simplement l’abbé Tissier de Mallerais et l’abbé Laroche. Après la messe du 6 mai et avant le petit déjeuner, Mgr Lefebvre a écrit sa lettre au cardinal Ratzinger et il m’a demandé de la porter au cardinal Ratzinger ». Mgr Tissier de Mallerais, dans sa magistrale biographie de Mgr Lefebvre cite cette confidence du fondateur d’Ecône à un de ses chauffeurs : « Si vous saviez la nuit que j’ai passée au soir de ma signature sur les fameux accords ! Oh ! Comme il me tardait que le jour arrive pour que je puisse remettre à M. l’abbé du Chalard la lettre de dédit que j’avais préparée pendant la nuit. » « Le lendemain, poursuit-il, après sa messe et prime, il va finir sa lettre dont il montre l’enveloppe à l’abbé du Chalard au petit-déjeuner ». Puis, au sujet de la décision de procéder aux sacres épiscopaux, Mgr Tissier de Mallerais écrit : « Cette décision, il la prendra seul. Le Vatican va le croire ‘prisonnier de son entourage’ et lui enverra exprès, la veille des sacres, une grande Mercédès à Ecône pour le soustraire à ses prétendus geôliers. ‘C’est étonnant, dira-t-il que l’on invoque toujours mon entourage, alors que c’est moi qui ai soutenu mon entourage pour aller jusqu’aux sacres’. C’est vrai : ni le tenace Schmidberger ni le bouillant Aulagnier n’ont poussé à la roue. » (in Marcel Lefebvre, une vie, Clovis 2002, pp. 584 et 589).

(Sources : Le Figaro/La Vie/ Apic/ Rivarol/divers blogs/sources privées DICI n°257 du 22/06/12)