SOURCE - La Vie - 26 juin 2012
Une lettre confidentielle du secrétaire du
supérieur général des lefebvristes indique que Mgr Fellay n'a finalement
pas l'intention de signer la dernière proposition du Vatican, qu'il
juge "clairement inacceptable". Repli stratégique ou jet d'éponge
définitif?
Les divisions internes à la
Fraternité sacerdotale Saint Pie X sont-elles en train d'avoir raison du
processus de réconciliation entre les lefebvristes et Rome? C'est la
question que l'on peut légitimement se poser à la lecture de cette
lettre du secrétaire général, l'abbé Christian Thouvenot. Dans un document classé confidentiel
et qui a fuité sur Internet dans les heures suivant sa diffusion,
l'abbé Thouvenot fait part aux supérieurs des différents districts de la
Fraternité des dernières décisions de Mgr Fellay.
La première des décisions, c'est celle de ne pas signer la dernière version du fameux Préambule doctrinal, le
document indispensable à la réconciliation et qui a fait l'objet ces
derniers mois de plusieurs allers-retours entre les parties. Réamendé
par Rome suite aux ajustements proposés par la Fraternité, il prévoyait
dans sa dernière version, selon l'abbé Pfluger (FSSPX), de résoudre les divergences doctrinales et ecclésiales entre Rome et Menzingen par la formule suivante: "L’entière
Tradition de la foi catholique doit être le critère et le guide de
compréhension des enseignements du Concile Vatican II, lequel à son
tour éclaire certains aspects de la vie et de la doctrine de l’Église,
implicitement présents en elle, non encore formulés. Les affirmations
du Concile Vatican II et du Magistère Pontifical postérieur relatifs à
la relation entre l’Église catholique et les confessions chrétiennes
non-catholiques doivent être comprises à la lumière de la Tradition
entière".
Dans la lettre aux supérieurs de districts, dont
l'authenticité est assurée, l'abbé Thouvenot explique que le préambule
modifié remis le 13 juin à Mgr Fellay par le cardinal Levada, actuel
préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, en charge du
dossier à Rome, est le "texte d'avril dernier mais amendé de telle
sorte qu'il reprend, en substance, les propositions de septembre 2011.
Mgr Fellay lui a aussitôt fait savoir qu'il ne pourrait pas signer ce
document, clairement inacceptable".
La seconde décision n'est pas une surprise: il s'agit d'une décision disciplinaire envers Mgr Williamson, le plus ingérable des évêques de la Fraternité: "J'informe
tous les membres du chapitre que, en vertu du canon 2331 § 1 et 2, le
Supérieur général a privé de l'office de capitulant Mgr Williamson pour
ses prises de position appellant à la rébellion et pour sa désobéissance
continuellement répétée. Il lui a également défendu de se rendre à
Ecône pour les ordinations".
En clair, Mgr Williamson ne pourra pas participer au
Chapitre général de la Fraternité prévu en juillet, et qui doit
entériner ou refuser l'accord avec Rome. Pas un mot en revanche sur les
deux autres évêques, Mgrs Tissier de Mallerais et De Galarreta, qui ont
pourtant clairement affiché leur hostilité à un accord, et prévenu
qu'ils ne suivraient pas leur Supérieur général en cas de signature ;
mais à moins de reconnaître qu'il est officiellement isolé - seul face
aux trois autres évêques de la FSSPX - Mgr Fellay pouvait difficilement
exclure les deux autres.
La troisième décision témoigne de la fragilité extrême de la position de Mgr Fellay à l'intérieur de la Fraternité. "Mgr
Fellay a décidé de différer les ordinations des religieux dominicains
d'Avrillé et des capucins de Morgon, qui étaient prévues à Ecône le 29
juin prochain. Ce retard aux ordres lui a simplement été dicté par le
souci de s'assurer de la loyauté de ces communautés avant d'imposer les
mains à leurs candidats". La fronde des opposants à la
réconciliation avec Rome ne s'étend donc pas seulement aux évêques, ni
aux simples abbés dont plusieurs ont pris assez violemment parti contre
Mgr Fellay ces dernières semaines, mais aussi aux postulants et
supérieurs des communautés religieuses lefebvristes: en clair, ceux qui
représentent l'avenir de la Fraternité.
Il est notable enfin dans cette lettre que le
Supérieur général ménage Benoît XVI et fait retomber la responsabilité
de l'échec des pourparlers sur le cardinal Levada, en charge du dossier à
Rome: "Notre Supérieur général a répondu à la lettre du 16 mars du
cardinal Levada qui tentait d'imposer le Préambule doctrinal du 14
septembre 2011. [...] Selon des sources concordantes, le nouveau texte
semblait satisfaire le Souverain Pontife".
Cette formule semble conforter la thèse que Mgr
Fellay n'a pas perdu tout espoir de parvenir à un accord, puisque le
cardinal Levada va quitter son poste dans les mois qui viennent, ayant
atteint l'âge de la retraite. Lui mettre sur le dos la responsabilité de
la fin des pourparlers permet donc de temporiser, d'essayer de rallier
le maximum de membres de la Fraternité à sa position et de survivre au
Chapitre général de juillet sans froisser Rome définitivement. Mais ne
nous y trompons pas: c'est bien un coup violent porté à l'éventualité
d'un accord. Coup mortel ou pas? L'avenir devrait le dire très vite.