SOURCE - Riposte Catholique - 8 mai 2019
Le P. Thomas Michelet, op, s’est fait ici le défenseur de l’application d’une herméneutique de continuité au chapitre VIII de l’exhortation apostolique Amoris lætitia. Comme je l’ai expliqué dans un entretien à Correspondance européenne j’estime qu’une telle interprétation, assurément bien intentionnée, fait violence au texte, dont il faut honnêtement respecter la lettre et l’esprit, qui entendent bien introduire du neuf : « Il n’est plus possible de dire que… » (n. 301).
Le P. Thomas Michelet, op, s’est fait ici le défenseur de l’application d’une herméneutique de continuité au chapitre VIII de l’exhortation apostolique Amoris lætitia. Comme je l’ai expliqué dans un entretien à Correspondance européenne j’estime qu’une telle interprétation, assurément bien intentionnée, fait violence au texte, dont il faut honnêtement respecter la lettre et l’esprit, qui entendent bien introduire du neuf : « Il n’est plus possible de dire que… » (n. 301).
En bonne règle, considérer le contexte. Depuis les années 80, la contestation théologique a fait de la communion aux divorcés remariés (que pratiquent sciemment de nombreux prêtres, lesquels, parfois, acceptent de célébrer une petite cérémonie à l’occasion du “remariage”) une revendication symbolique. Elle a été notamment portée par Walter Kasper, depuis qu’il était évêque de Stuttgart, dans les années 90. Lors du consistoire de 2014, à la demande du pape François, il a développé sa thèse. Les deux assemblées synodales de 2014 et 2015, fort habilement gouvernées par le cardinal Baldisseri et son équipe, l’ont faite passer au titre de proposition défendue par de nombreux Pères. L’exhortation apostolique reprend, selon l’usage, ces propositions du Synode dans son chapitre VIII, « Accompagner, discerner et intégrer la fragilité », mais au titre d’un « débat » qu’elle considère comme ouvert (n. 3), ce qui laisse toute latitude pour intervenir en sens contraire. Le vrai respect pour le pape François ne consiste-t-il pas à le prendre au mot, plutôt que de faire dire à l’Exhortation des choses qu’elle ne dit pas ?
Le texte de l’Exhortation pose donc des règles pour un « discernement spécial » (n. 301) qui, normalement accompli avec l’aide d’un prêtre, permettra aux intéressés d’établir un jugement de conscience correct (n. 300). Elle pose ce nouveau principe « Il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite “irrégulière” vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. Les limites n’ont pas à voir uniquement avec une éventuelle méconnaissance de la norme. Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les “valeurs comprises dans la norme” ou peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute ». Ce qui revient à dire que l’adultère cesse d’être un péché mortel dans certaines circonstances (la difficulté de rompre, notamment à cause des enfants).
Saint Thomas, entre mille autres, expliquait au contraire que personne ne peut ignorer que l’on ne peut pas s’approcher de la femme de son prochain, car cela est directement enseignée par la loi de Dieu (Somme théologique, Ia IIæ, question 19, article 6). Et, comme on le sait, Jean-Paul II dans Familiaris consortio précisait sans ambiguïté que, si la séparation était impossible, notamment à cause de la présence d’enfants, les partenaires ne pouvaient s’approcher à nouveau des sacrements que s’ils consentaient à vivre dans la continence (n. 84).
Le P. Michelet aimerait que les nouvelles dispositions de l’Exhortation se rattachent malgré tout à la tradition : elles viseraient le cas de personnes plongées dans l’adultère mais, qui ignoreraient la gravité du péché qu’elles commettent. Dans le monde où nous vivons, l’ignorance par les catholiques de ce qu’est le mariage pourrait parfois n’être pas coupable.
1. Mais, si on considère le texte du chapitre VIII, on ne voit pas qu’il fonde la non culpabilité de l’adultère en certaines circonstances sur l’ignorance de sa gravité. En réalité, l’Exhortation traite du cas de chrétiens de bon niveau de connaissance, qui ont contracté « une seconde union consolidée dans le temps, avec de nouveaux enfants, avec une fidélité prouvée, un don de soi généreux, un engagement chrétien, la conscience de l’irrégularité de [leur] propre situation » (n. 298). En raison de ces conditionnements (jeunes enfants, soutien mutuel), rester dans leur situation est « pour le moment, la réponse généreuse que l’on peut donner à Dieu » (n. 303). Rester dans un état d’adultère comme réponse généreuse à Dieu : ni plus, ni moins.Certes, l’Exhortation dit que cela s’analyse en « une situation objective de péché, qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement » (n. 305). Mais pas par ignorance. Les « circonstance atténuantes, psychologiques, historiques, voire biologiques » (n. 308), qui permettent, selon l’Exhortation, de lever tout ou partie de la culpabilité sont objectivement mesurables, qui plus est avec l’aide d’un tiers, d’un prêtre qui va éclairer et former grâce, à son discernement, la conscience des intéressés, de telle sorte qu’ils pourront découvrir « avec une certaine assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations » (n. 303). Le texte est limpide : avec l’aide d’un prêtre, et après mûre réflexion, ce couple pourra éventuellement être assuré que rester dans sa situation irrégulière est la générosité que Dieu leur demande. C’est tout de même assez neuf.
2. A supposer cependant que cette réponse mature et dûment éclairée puisse tout de même s’analyser en ignorance de la gravité de l’adultère commis de manière continue, et de la gravité du scandale public qu’il donne, il resterait, selon la doctrine traditionnelle, que les partenaires devraient être éclairés sur leur état par les prêtres auxquels ils s’adressent. Le confesseur est un père, un médecin, qui a le devoir grave d’enseigner la vérité qui délivre.
Pourtant, explique le P. Michelet, la morale traditionnelle demande au confesseur de ne pas éclairer (tout de suite) le pénitent ignorant qu’il est dans un péché matériel, pour que son péché ne devienne pas formel. Il omet de dire que cela ne vaut que dans des cas fort rares et jamais pour l’adultère : car dans ce cas, le silence du confesseur irait contre le bien commun gravement offensé par le divorce et le “remariage”, contre la justice vis-à-vis du premier époux, contre la justice vis-à-vis des enfants du vrai mariage, et en quelque manière contre la confession de la foi et contre l’honneur de Dieu.
D’autant que, le prêtre qui, selon l’Exhortation, aide les partenaires “remariés” à faire le discernement, dans le cas où il leur permet de demeurer en situation irrégulière, est censé avoir pesé avec eux le pour et le contre. Si les “remariés”, avec son aide sacerdotale, décident qu’il est moralement bon de rester dans leur état, c’est bien qu’il les a éclairés. Mais à rebours. Au bout du compte l’ignorance, si on veut parler d’ignorance, sera une ignorance purement artificielle qui les autorise, en toute connaissance de la loi divine et évangélique, d’affirmer malgré tout : « Dans notre cas, il n’y a pas de péché à rester ensemble ».
3. À quoi il faut ajouter que la mise en œuvre de ce discernement très particulier voulu par l’Exhortation manque pour le moins de clarté. L’Exhortation parle de « colloque avec le prêtre, dans le for interne» (n. 300), c’est-à-dire dans le secret, qui est de fait le domaine de la confession. Or la continuation de la situation adultérine publique est une décision commune des deux et qui intéresse la société, autrement dit, elle relève nécessairement du for externe. Qui plus est, il se pourra que les deux partenaires n’aient pas une identique conscience de leur devoir : si l’un pense qu’il est dans le péché, et l’autre au contraire que c’est Dieu qui lui demande de rester dans cet état, les deux peuvent-ils recevoir les sacrements ? Ce curieux accompagnement d’un prêtre est-il d’ailleurs strictement obligatoire, ou les partenaires, chrétiens engagés on le rappelle, ne sont-ils pas capables de se déterminer tout seuls ? Dans ce cas, le prêtre auquel ils iront demander l’absolution sera-t-il tenu, aux termes de l’Exhortation, de la leur donner ? Et si, seuls ou aidés d’un prêtre, les partenaires ont tranché dans le sens de la continuation de cette situation, au moins pour l’instant, les autres prêtres, qui auront plus tard à absoudre et à donner la communion, seront-ils tenus par la décision des époux et du prêtre discernant ?
Logiquement, hélas !, on trouvera des moralistes pour défendre un concubinage conforme, en certains cas, imparfaitement mais réellement, à la volonté de Dieu, ou une vie en couple homosexuels, dans certaines circonstances…, etc. Mais plus immédiatement, on va désormais avoir des prêtres lætitiistes et des confesseurs anti lætitiistes (des grincheux, par conséquent !), des évêques amoristes et des professeurs de morales anti amoristes (autrement dit des haineux, des pharisiens !) On comprend que Robert Spaemann parle de chaos érigé en principe.
Abbé Claude Barthe.