SOURCE - Jean Mercier - La Vie - 21 janvier 2010
Malgré l’engagement de discussions à huis clos, la réconciliation entre les lefebvristes et l’Église est tout sauf acquise.
Moins de deux mois après la levée des excommunications frappant les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre en 1988, Benoît XVI dut publier une lettre pour s’expliquer et, surtout, dessiner l’avenir : « Les problèmes qui doivent être traités à présent sont de nature essentiellement doctrinale et regardent surtout l’acceptation du concile Vatican II et du magistère post-conciliaire des papes. On ne peut geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962 – ceci doit être bien clair pour la Fraternité (Saint-Pie-X). »
Sur ce principe, les discussions doctrinales ont débuté, officiellement dans la courtoisie, le 26 octobre dernier, par trois heures de huis clos réunissant des représentants des deux parties. Au menu : le concept de tradition, le missel de Paul VI, l’interprétation de Vatican II, l’œcuménisme, l’interreligieux et la liberté religieuse. Du côté romain, le secrétaire de la commission Ecclesia Dei, Guido Pozzo, est assisté du dominicain suisse Charles Morerod, du jésuite allemand Karl Becker, et du vicaire général de l’Opus Dei, Fernando Ocáriz Braña. Tous réputés bons théologiens, ils sont connus pour leur approche critique de certains développements issus de Vatican II. Du côté lefebvriste, la délégation est composée de l’un des quatre évêques ordonnés en 1988, Alfonso de Galarreta, et de trois abbés : Benoît de Jorna, supérieur du séminaire d’Écône, Jean-Michel Gleize et Patrick de la Rocque. « Quatre éléments très durs », commente un observateur. Le fait que les entretiens soient filmés dans leur intégralité témoigne de la défiance importante du côté lefebvriste.
Sur le fond, le blocage reste réel. Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie-X, récuse le critère imposé par Rome en février 2009, qui est « l’acceptation du Concile et de tous les papes », car, selon ce qu’il a déclaré le 10 janvier, Vatican II « dit tout et son contraire ». Il ne suit donc pas l’interprétation qu’a faite Benoît XVI du Concile, celle de la réforme dans la continuité. « Rome a été surpris de constater à quel point ses interlocuteurs sont obtus, irrédentistes », explique un bon connaisseur du circuit. Par ailleurs, un autre prélat sur place constate que l’opacité est totale : « L’affaire est gérée au sommet par quelques hommes, et beaucoup d’entre nous sont dans une attitude fataliste. Officiellement, tout le monde dit que le pape a raison de tendre la main aux intégristes. Officieusement, nous pensons qu’il se trompe, qu’il s’embarque sur une route dangereuse alors que le reste de l’Église regarde massivement dans la direction opposée. »
Ce flottement est aussi, en quelque sorte, ce dont témoigne Bernard Fellay. Lors d’un colloque organisé à Paris en janvier sur Vatican II, le patron de la Fraternité Saint-Pie-X a tiré son bilan de la situation. « Nous avons un manque d’unité devant nous. Tout le monde n’a pas la même perception de nous. Certains sont tout heureux, d’autres veulent nous étrangler, nous couper la tête. » Bernard Fellay déplore « l’unité de pensée » qui a existé « jusqu’à Pie XII », semblant oublier que, depuis 2 000 ans, les chrétiens ont été traversés par des options théologiques différentes. Sur le fond, le chef de file des lefebvristes récuse l’idée de négociations. « Il n’y a rien à négocier. Il s’agit d’une occasion de la divine providence pour pouvoir présenter aux plus hautes autorités de l’Église ce que l’Église a toujours dit et que, grâce à Dieu, nous avons gardé. C’est une grande grâce ! » Bernard Fellay continue sur une lancée sectaire, à savoir que la Fraternité est l’ultime reste du troupeau où l’on témoigne de la vraie foi.
D’un point de vue tactique, la ligne lefebvriste apparaît désormais affaiblie. D’abord parce qu’ils ont eu de Rome tout ce qu’ils ont demandé : la libéralisation de la messe traditionnelle avec le Motu proprio, la levée des excommunications, les discussions doctrinales. Devant tant de bonne volonté, il est plus difficile de jouer les martyrs que dans les années 1975. Et, surtout, les lefebvristes ont perdu leur argument massue, celui de la « messe » de toujours, jadis cause de leur popularité, mais qui se trouve totalement réhabilitée depuis 2007. Ils doivent donc se rabattre, comme ils l’ont fait lors du colloque à Paris sur Vatican II, sur des débats moins porteurs à partir de mots piochés dans les textes de Vatican II ou de Benoît XVI, afin de démontrer la « fausseté » du Concile. Le pape semble donc avoir réussi un coup tactique. Mais à quel prix ? Il a suscité déstabilisation et polarisation dans son Église.
Quel est l’avenir ? De son côté, Benoît XVI a tendu quelques perches symboliques à ses interlocuteurs. En juin, en mettant au centre de l’année sacerdotale la figure de Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars. Et en décembre, en déclarant vénérable le dernier pape qui a toutes les faveurs des lefebvristes, Pie XII. Sans doute parce que, s’il avait béatifié seulement Jean Paul II, honni pour la rencontre interreligieuse d’Assise et la repentance de l’an 2000, la Fraternité Saint-Pie-X aurait pu être tentée de quitter la table des négociations. Selon un connaisseur, « Bernard Fellay veut éviter un éclatement avec ses radicaux, qui n’attendent qu’une occasion pour se retirer des pourparlers ». Et le pape, croit-il à la réconciliation ?« Je lui ai posé la question peu de temps après la levée des excommunications », raconte un cardinal, ami intime de Benoît XVI. « Il m’a dit qu’il a voulu tenter une dernière chance pour résoudre le schisme, mais qu’il ne se faisait guère d’illusion. »
Malgré l’engagement de discussions à huis clos, la réconciliation entre les lefebvristes et l’Église est tout sauf acquise.
Moins de deux mois après la levée des excommunications frappant les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre en 1988, Benoît XVI dut publier une lettre pour s’expliquer et, surtout, dessiner l’avenir : « Les problèmes qui doivent être traités à présent sont de nature essentiellement doctrinale et regardent surtout l’acceptation du concile Vatican II et du magistère post-conciliaire des papes. On ne peut geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962 – ceci doit être bien clair pour la Fraternité (Saint-Pie-X). »
Sur ce principe, les discussions doctrinales ont débuté, officiellement dans la courtoisie, le 26 octobre dernier, par trois heures de huis clos réunissant des représentants des deux parties. Au menu : le concept de tradition, le missel de Paul VI, l’interprétation de Vatican II, l’œcuménisme, l’interreligieux et la liberté religieuse. Du côté romain, le secrétaire de la commission Ecclesia Dei, Guido Pozzo, est assisté du dominicain suisse Charles Morerod, du jésuite allemand Karl Becker, et du vicaire général de l’Opus Dei, Fernando Ocáriz Braña. Tous réputés bons théologiens, ils sont connus pour leur approche critique de certains développements issus de Vatican II. Du côté lefebvriste, la délégation est composée de l’un des quatre évêques ordonnés en 1988, Alfonso de Galarreta, et de trois abbés : Benoît de Jorna, supérieur du séminaire d’Écône, Jean-Michel Gleize et Patrick de la Rocque. « Quatre éléments très durs », commente un observateur. Le fait que les entretiens soient filmés dans leur intégralité témoigne de la défiance importante du côté lefebvriste.
Sur le fond, le blocage reste réel. Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie-X, récuse le critère imposé par Rome en février 2009, qui est « l’acceptation du Concile et de tous les papes », car, selon ce qu’il a déclaré le 10 janvier, Vatican II « dit tout et son contraire ». Il ne suit donc pas l’interprétation qu’a faite Benoît XVI du Concile, celle de la réforme dans la continuité. « Rome a été surpris de constater à quel point ses interlocuteurs sont obtus, irrédentistes », explique un bon connaisseur du circuit. Par ailleurs, un autre prélat sur place constate que l’opacité est totale : « L’affaire est gérée au sommet par quelques hommes, et beaucoup d’entre nous sont dans une attitude fataliste. Officiellement, tout le monde dit que le pape a raison de tendre la main aux intégristes. Officieusement, nous pensons qu’il se trompe, qu’il s’embarque sur une route dangereuse alors que le reste de l’Église regarde massivement dans la direction opposée. »
Ce flottement est aussi, en quelque sorte, ce dont témoigne Bernard Fellay. Lors d’un colloque organisé à Paris en janvier sur Vatican II, le patron de la Fraternité Saint-Pie-X a tiré son bilan de la situation. « Nous avons un manque d’unité devant nous. Tout le monde n’a pas la même perception de nous. Certains sont tout heureux, d’autres veulent nous étrangler, nous couper la tête. » Bernard Fellay déplore « l’unité de pensée » qui a existé « jusqu’à Pie XII », semblant oublier que, depuis 2 000 ans, les chrétiens ont été traversés par des options théologiques différentes. Sur le fond, le chef de file des lefebvristes récuse l’idée de négociations. « Il n’y a rien à négocier. Il s’agit d’une occasion de la divine providence pour pouvoir présenter aux plus hautes autorités de l’Église ce que l’Église a toujours dit et que, grâce à Dieu, nous avons gardé. C’est une grande grâce ! » Bernard Fellay continue sur une lancée sectaire, à savoir que la Fraternité est l’ultime reste du troupeau où l’on témoigne de la vraie foi.
D’un point de vue tactique, la ligne lefebvriste apparaît désormais affaiblie. D’abord parce qu’ils ont eu de Rome tout ce qu’ils ont demandé : la libéralisation de la messe traditionnelle avec le Motu proprio, la levée des excommunications, les discussions doctrinales. Devant tant de bonne volonté, il est plus difficile de jouer les martyrs que dans les années 1975. Et, surtout, les lefebvristes ont perdu leur argument massue, celui de la « messe » de toujours, jadis cause de leur popularité, mais qui se trouve totalement réhabilitée depuis 2007. Ils doivent donc se rabattre, comme ils l’ont fait lors du colloque à Paris sur Vatican II, sur des débats moins porteurs à partir de mots piochés dans les textes de Vatican II ou de Benoît XVI, afin de démontrer la « fausseté » du Concile. Le pape semble donc avoir réussi un coup tactique. Mais à quel prix ? Il a suscité déstabilisation et polarisation dans son Église.
Quel est l’avenir ? De son côté, Benoît XVI a tendu quelques perches symboliques à ses interlocuteurs. En juin, en mettant au centre de l’année sacerdotale la figure de Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars. Et en décembre, en déclarant vénérable le dernier pape qui a toutes les faveurs des lefebvristes, Pie XII. Sans doute parce que, s’il avait béatifié seulement Jean Paul II, honni pour la rencontre interreligieuse d’Assise et la repentance de l’an 2000, la Fraternité Saint-Pie-X aurait pu être tentée de quitter la table des négociations. Selon un connaisseur, « Bernard Fellay veut éviter un éclatement avec ses radicaux, qui n’attendent qu’une occasion pour se retirer des pourparlers ». Et le pape, croit-il à la réconciliation ?« Je lui ai posé la question peu de temps après la levée des excommunications », raconte un cardinal, ami intime de Benoît XVI. « Il m’a dit qu’il a voulu tenter une dernière chance pour résoudre le schisme, mais qu’il ne se faisait guère d’illusion. »