SOURCE - Pro Liturgia - 4 janvier 2010
L'affaire du Curé de Thiberville, limogé par son Evêque, Mgr Nourrichard, soulève une question délicate: l'Eglise reconnaît-elle un droit à la désobéissance?
Mais qui, dans le cas présent, désobéit? Est-ce Mgr Nourrichard qui en veut à l'un de ses prêtres d'appliquer le Concile et de suivre les orientations données par le Souverain Pontife en matière de liturgie? Est-ce l'Abbé Michel, Curé de Thiberville, qui refuse d'obéir à son évêque lui demandant de quitter sa paroisse? Sont-ce les paroissiens qui font part à leur Evêque - avec les moyens dont ils disposent pour se faire entendre de lui - de leur volonté de garder leur prêtre?
Mgr Nourrichard a parfaitement le droit de déplacer l'un de ses prêtres; encore faudrait-il qu'il puisse justifier les raisons d'un tel déplacement. En l'espèce, il semble que l'Evêque d'Evreux n'ait pas la moindre raison: son acte ressemble donc fort à une petite crise d'autoritarisme typiquement clérical - pour ne pas dire épiscopal - qui a son origine dans une incapacité à reconnaître la crise que traverse l'Eglise dans son diocèse en particulier.
M. l'Abbé Michel a parfaitement le droit de savoir, de la plume de son Evêque, ce qu'on lui reproche (il s'en doute d'ailleurs) et de connaître quel sera son avenir. Car la stratégie épiscopale est bien connue: pour réduire au silence un prêtre qui refuse la désastreuse pastorale actuelle qui se fait dans les diocèses, on le nomme dans une paroisse déjà dévastée par un précédant curé. L'arrivée d'un prêtre "classique" du type Abbé Michel dans une paroisse habituée à avoir des "messes-tagada" ne manquera pas de provoquer des remous dont se servira l'Evêque pour reprocher au prêtre nouvellement nommé de "ne pas s'insérer dans la pastorale de groupe mise en place par les équipes interparoissiales de laïcs en responsabilité" (Chers fidèles, habituez-vous à ce langage, sinon vous ne comprendrez jamais votre évêque).
Les paroissiens ont le droit de faire savoir au pasteur diocésain qu'ils préfèrent avoir un prêtre qui est dans la ligne du Souverain Pontife plutôt qu'une poignée de "mamies" qui seront autorisées à froufrouter autour de l'autel et de l'ambon à chaque messe. L'Evêque d'Evreux a le droit de savoir que les fidèles ne sont pas disposés à demeurer catholiques pratiquants à n'importe quel prix.
Pour susciter la réflexion, voici trois points de vue sur la question de l'obéissance/désobéissance.
Le premier est d'un fidèle laïc: "Il est bien certain que rien ne changera tant que les prêtres désavoués ne se manifesteront pas davantage pour refuser fermement certaines orientations pastorales qui n'ont aucune raison d'être et qui, parfois même, n'ont aucune légitimité. Il ne s'agit pas de "ruer dans les brancards" de façon ouverte et maladroite, mais de faire savoir à qui de droit que certaines directives prises au niveau d'un diocèse ne sauraient être acceptées et mises en oeuvre. N'est-il pas temps de sortir d'un état de docilité servile? Dans la situation que nous connaissons actuellement, le principe du "nulla Ecclesia sine episcopo" ne tient plus en France (à quelques exceptions près), dans la mesure où ce principe procède d'un anti-discernement ou d'un choix de ne surtout pas faire de vagues.
Le "nulla sine episcopo" n'a de sens et ne tient que lorsqu'il s'accorde sans le moindre doute avec le "ubi Petrus, ibi Ecclesia, ibi Christus". Dans tous les autres cas, il y a risque de tomber dans la schizophrénie, c'est-à-dire dans un trouble grave divisant la personnalité: le prêtre, écartelé entre son désir de suivre les enseignements du Saint-Père et son souci de garder de bonnes relations avec sa hiérarchie diocésaine, s'épuisera à vouloir gérer d'indéfendables compromis pastoraux et liturgiques à l'aide desquels il espérera plaire à tout le monde, depuis la chaisière de la paroisse jusqu'à l'évêque diocésain. Les interminables transactions auront vite raison de la santé physique, psychique et spirituelle du prêtre."
Le deuxième point de vue est celui du P. Louis Bouyer, le théologien bien connu (+2004): "L'obéissance dans l'Eglise est certainement fondamentale, mais cette obéissance doit être éclairée: c'est une obéissance filiale, une obéissance de la foi. L'obéissance [des fidèles] aux évêques, au Pape, au concile ne doit pas être passive mais véritablement illuminée par la foi, et le premier devoir de toute la hiérarchie est de la leur communiquer et de l'entretenir. Lorsqu'il y a des défaillances individuelles ou même collectives de la part de ceux qui dans l'Eglise sont responsables avant tout de la foi, ce n'est pas du tout une infidélité de la part des fidèles mais au contraire une marque de fidélité de critiquer et de ne pas accepter ce qu'enseigne tel prêtre ou même tel évêque ou un groupe d'évêques, lorsqu'il est clair que cela est en contradiction avec ce que le Pape, les conciles, et toute la tradition des évêques jusqu'à nous ont enseigné. L'obéissance des fidèles doit donc toujours être une obéissance éclairée et une obéissance (...) qui s'adresse, à travers les hommes, au Christ seul. Et lorsque des hommes qui représentent le Christ se mettent visiblement en conflit avec Lui, avec toute la tradition de l'Eglise et avec ceux qui en sont les représentants les plus assurés aujourd'hui même, il n'y a pas à hésiter à leur résister, à leur résister respectueusement d'abord, et s'ils ne comprennent pas ou n'acceptent pas ces critiques, à leur résister fermement et en face."
Le troisième et dernier point de vue est celui d'un Evêque, Mgr Giovanni d'Ercole. Sa réponse à la question posée ici est claire: "Il faut regarder l'Eglise avec deux yeux. Un oeil sur le Pape, l'autre sur l'évêque et le curé. Si l'évêque et le curé disent la même chose que le Pape, c'est l'unité. Or le manque d'unité fait un très grand mal à l'Eglise. Si l'évêque ne dit pas la même chose que le Pape, cela me donne un strabisme; alors je regarde le Pape."
A Thiberville, les fidèles sont majoritairement certains que l'Abbé Michel et le Pape disent la même chose. Mais pour ce qui est du Pape et de Mgr Nourrichard...