SOURCE - Nicolas Senèze - La Croix- 1 février 2009
Plusieurs lecteurs et internautes m’ont interpellé : « Pourquoi utilisez-vous tout le temps le mot “intégriste” ? Nous sommes catholiques ! Pourquoi employer ce mot qui nous assimile à des fondamentalistes ou à des terroristes ? »
Quel mot utiliser alors ?
Lefebvriste ? Je l’emploie parfois, mais je dois reconnaître que le phénomène intégriste ne recouvre pas exactement les disciples de Mgr Lefebvre.
Traditionaliste ? Fidèle de la Tradition ? Ce serait alors sous-entendre que seule cette branche de l’Église serait fidèle à la Tradition. Les intégristes, au contraire, effectuent un tri très sélectif dans la Tradition de l’Église : « En fournissant une interprétation personnelle des textes du Magistère, vous feriez paradoxalement preuve de ce libéralisme que vous combattez si fortement », relevait le cardinal Ratzinger dans une lettre à Mgr Lefebvre, le 28 juillet 1987. À cause de ce relativisme, on ne peut donc pas non plus parler de fondamentalisme.
Reste donc intégriste. Mais encore faut-il savoir ce que signifie ce mot.
Il apparaît vers 1880 en Espagne pour désigner un parti politique fondé sous l’invocation du Syllabus de Pie IX qui condamne, in fine, l’idée selon laquelle le pape « peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne ». En France, il s’impose au début du XXeme siècle pour désigner ceux qui s’opposent au « progressisme » en matière d’exégèse biblique. Mais il ne s’agit pas ici d’un terme revendiqué : les opposants au « modernisme », condamné en 1907 par Pie X, préfèrent se référer à un « catholicisme intégral ».
Au fil des générations, ce catholicisme intégral va traverser plusieurs moments : Maurras et l’Action Française, Vichy et la Libération, la décolonisation et l’Algérie Française… Non que les intégristes soient tous maurassiens, vichystes ou nostalgiques de l’Algérie française : mais ils ont été plus ou moins influencés par ces courants que Mgr Lefebvre va réussir à rassembler dans un même combat : l’opposition à Vatican II.
Dans les années 1980, « intégriste » va servir pour désigner l’islam radical, puis les fondamentalistes protestants ou juifs. Un emploi abusif, comme le souligne l’historien Émile Poulat, grand spécialiste du catholicisme intégral, pour qui l’intégrisme est « un phénomène essentiellement catholique ».
Nicolas Senèze