Rome a fixé mercredi des conditions strictes aux évêques lefebvristes. Après dix jours d'une crise où sa crédibilité a été - comme jamais - remise en cause, Benoît XVI a contre-attaqué, mercredi, en exigeant de Mgr Richard Williamson qu'il revienne sur ses positions négationnistes sur la Shoah «de façon absolument non équivoque et publique». En précisant qu'il «ne connaissait pas» ces propos au moment de la levée des excommunications des évêques lefebvristes. Le pape a également posé comme «conditions indispensables» à une «future reconnaissance» de la Fraternité Saint-Pie-X «la pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des Papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI». Il a enfin précisé que la Fraternité Saint-Pie-X «ne jouit d'aucune reconnaissance canonique dans l'Église catholique» et que les quatre évêques qui ont bénéficié de la levée de l'excommunication n'ont, jusque-là, pas de «fonctions canoniques» dans l'Église et «n'y exercent pas de ministère licite».
Changement de ton, donc, au plus haut niveau de l'Église catholique. Il y a une semaine, à la fin de l'audience générale, le Pape avait tenté une première fois d'éteindre l'incendie allumé le 24 janvier par l'annonce officielle de la levée de l'excommunication de ces quatre évêques ordonnés par Mgr Marcel Lefebvre en 1988. Dont l'un d'eux, Mgr Williamson, avait tenu, le 21 janvier, des propos négationnistes. En professeur conciliant, le Pape s'était contenté d'expliquer son geste de «paternelle miséricorde» par un souci d'unité de l'Église. Mais il n'avait pas évoqué le nom de Mgr Williamson, condamnant le négationnisme et réitérant sa «pleine et indiscutable solidarité» avec le peuple juif.
Des arguments assez généraux qui n'avaient pas convaincu. Au point que la polémique mondiale, liée au scandale des propos de Mgr Williamson, mais aussi à cette réintégration apparemment sans condition, s'est considérablement amplifiée. Elle déchire l'Église à tous ses niveaux puisque des cardinaux réputés proches du Pape, comme Christophe Schönborn, archevêque de Vienne, ont fait publiquement part de leur étonnement. Elle alimente une crise interne et déjà très vive au sein du Vatican. Alors qu'à l'extérieur, les critiques pleuvent. Dans le monde juif, scandalisé, mais aussi dans l'opinion, qui interprète la décision du Pape comme un acte de mansuétude à l'égard d'un évêque négationniste.
Quand Angela Merkel sort de sa réserve
L'incompréhension et la confusion ont été telles ces derniers jours qu'Angela Merkel, la chancelière allemande, a dû sortir de sa réserve politique pour demander publiquement des «clarifications», tant la crise de confiance ravinait le pays natal de Benoît XVI. Et mercredi matin - quelques heures avant la publication de ces précisions -, son ambassadeur était reçu au Saint-Siège.
En ordonnant la publication formelle de cette «note de la Secrétairerie d'État», Benoît XVI tape du poing sur la table. Ce n'est pas son style, et c'est même inédit dans son pontificat. Mais des sources bien informées indiquent qu'il a finalement mesuré la gravité de la situation à la suite des informations de ses réseaux allemands. À commencer par le cardinal Walter Kasper, en charge à Rome de l'unité des chrétiens, et qui avait été totalement écarté de cette décision de réintégration directement gérée par la commission compétente, Ecclesia Dei, sous la responsabilité du cardinal Castrillon Hoyos.
Mais surtout, deux semaines après la signature du décret de levée des excommunications, Benoît XVI entend lever la triple ambiguïté qui envenime cette affaire.
La première ambiguïté porte sur les propos négationnistes de Mgr Williamson, qui ont créé le scandale mondial et dont il est bien précisé dans la note que Benoît XVI ne les connaissait pas quand il a pris sa décision. Ce qui signifie implicitement - car le Vatican n'a pas pour habitude de reconnaître un dysfonctionnement interne - que le Pape aurait modifié sa décision s'il l'avait su.
Et cette fois, le texte est sans appel pour Mgr Williamson, qui s'était excusé des conséquences de ses déclarations, mais n'était pas encore revenu, jusqu'à mercredi soir du moins, sur ses propos : «Les positions de Mgr Williamson sur la Shoah sont absolument inacceptables et fermement réfutées par le Saint-Père. (…) L'évêque Williamson, pour une admission aux fonctions épiscopales dans l'Église, devra également prendre, de façon absolument non équivoque et publique, des distances avec ses positions sur la Shoah, qui n'étaient pas connues par le Saint-Père au moment de la rémission de l'excommunication.»
Dans une interview télévisée diffusée le 21 janvier en Suède - jour de la signature à Rome du décret de levée des excommunications -, l'évêque britannique intégriste y avait confirmé des propos similaires, tenus au Canada en 1989, qui mettaient en doute que les chambres à gaz aient pu servir à tuer des juifs et minimisaient le nombre des victimes, de «200 000 à 300 000», selon lui.
Mercredi, le Congrès juif mondial a aussitôt «chaleureusement accueilli» la demande de rétractation faite à Mgr Williamson pour ses propos négationnistes
La seconde ambiguïté touche à la portée de la levée des excommunications. La note publiée mercredi - qui commence d'ailleurs par ce point et traitant de l'affaire Williamson en troisième lieu - rappelle que le Pape répondait «avec bienveillance» à une demande formulée par le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X, Mgr Bernard Fellay. L'idée était de «lever un empêchement préjudiciable à l'ouverture d'une porte au dialogue». «La levée de l'excommunication a libéré les quatre évêques d'une peine canonique gravissime, mais n'a pas changé la situation juridique de la Fraternité Saint Pie X qui, à l'heure actuelle, ne jouit d'aucune reconnaissance canonique dans l'Église catholique. Quant aux quatre évêques, bien qu'ils soient déliés de l'excommunication, ils n'ont pas une fonction canonique dans l'Église et n'y exercent pas un ministère licite»
Le temps de la réflexion
La troisième ambiguïté concerne la place et le statut du concile Vatican II. La note est claire : «Pour une future reconnaissance de la Fraternité Saint Pie X, la condition indispensable est la pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des Papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et de Benoît XVI». Or, la Fraternité Saint-Pie-X a toujours fondé son combat sur des critiques de fond contre le concile Vatican II, jugé déviant par rapport à la tradition de l'Église sur le plan liturgique (abandon de la messe en latin) et dogmatique (ouverture au monde et aux autres religions). Sans parler des fortes critiques contre Jean-Paul II, notamment depuis sa rencontre de prière interreligieuse pour la paix à Assise en 1986.
Interrogés, mercredi soir, les responsables de la Fraternité Saint-Pie-X à Ecône (Suisse) n'ont pas souhaité réagir, voulant visiblement se donner le temps de réfléchir après l'expression de telles conditions. Ils avaient salué avec «satisfaction» la levée de l'excommunication, considérée par certains comme une «victoire».
Il est à noter que la note très ferme publiée par le Vatican laisse la porte ouverte au dialogue, puisqu'il est précisé que le Saint-Siège entend, «selon des moyens jugés opportuns, approfondir avec les intéressés, les questions encore ouvertes, de façon à atteindre une pleine et satisfaisante solution» des problèmes qui ont causé «cette douloureuse fracture».
Il faudra sans doute des semaines, voire des mois, pour calmer les esprits. La mise en demeure sans appel adressée à Mgr Williamson devrait apaiser les relations entre l'Église catholique et le monde juif, notamment dans la perspective d'un voyage - non confirmé - de Benoît XVI en Terre sainte en mai prochain. Mais cette crise laissera des traces, car les milieux du dialogue interreligieux redoutent certaines familles de pensée intégristes à qui ils reprochent de cultiver un certain antisémitisme en continuant de récuser l'enseignement du concile Vatican II sur ce point.
Sur la forme, cette crise aura mis au jour des dysfonctionnements dans la curie romaine. Ils ont été publiquement dénoncés, ce qui est une première pour ce pontificat, par des prélats de hauts rangs. Plusieurs observateurs romains auront remarqué que la publication de la note se sera faite malgré la déclaration, mardi, du secrétaire d'État, numéro deux du Saint-Siège, le cardinal Tarcisio Bertone, qui considérait l'affaire «close» avant de s'envoler en voyage officiel en Espagne. Benoît XVI était attendu sur une réforme de la curie, à laquelle il a finalement renoncé, mais dont cette crise révèle l'acuité du problème.
Sur le fond, la levée de l'excommunication posait le problème de l'interprétation du concile Vatican II. Refusant la «rupture» avec la tradition bimillénaire de l'Église, Benoît XVI avait donné un premier signe en rétablissant la messe, selon le missel latin de 1962, «rite extraordinaire». Il voulait en donner un second avec la levée des excommunications. Les semaines qui viennent indiqueront si le mouvement qu'il souhaite imprimer à l'Église catholique en cette direction s'arrête là ou pas. |