Cette fois sera-t-elle la bonne ? Après dix jours de dénégations, de justifications, et de demandes de pardon répétées, le Vatican semble avoir pris la mesure du problème et a produit, mercredi 4 février, un document destiné à clore la polémique qui déstabilise l'Eglise catholique depuis le 24 janvier. Ce jour-là, le Vatican annonçait la levée de l'excommunication de quatre évêques intégristes, parmi lesquels le Britannique Mgr Richard Williamson, un négationniste notoire. Une décision historique destinée à résorber un schisme, provoqué en 1988 par Mgr Marcel Lefebvre, et qui divise depuis lors l'Eglise catholique. Signé de la secrétairerie d'Etat, la plus haute instance vaticane, le texte indique que "pour être admis aux fonctions épiscopales dans l'Eglise, Mgr Williamson devra prendre ses distances d'une manière absolument sans équivoque et publique par rapport à ses positions concernant la Shoah". "Positions que le Saint-Père ignorait au moment de la levée de l'excommunication", précise encore le document, suggérant un manque d'information et un couac de communication sur cette question dans l'entourage de Benoît XVI.
"La pleine reconnaissance du concile Vatican II est la condition indispensable à la reconnaissance future de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X", insiste aussi le texte. En attendant une telle démarche, qui pourrait demander des mois de discussions, les quatre évêques "n'exercent licitement aucun ministère au sein de l'Eglise" et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), à laquelle ils appartiennent "ne jouit, à l'heure actuelle, d'aucune reconnaissance dans l'Eglise catholique".
Ces précisions visent à rassurer les catholiques, inquiets de voir mises à mal les orientations du concile sur la liberté de conscience et le dialogue avec les autres religions, rejetées par les intégristes. Mais ce texte, en forme de mise au point solennelle, s'adresse plus largement à l'opinion publique mondiale et à la communauté juive, qui s'étaient émues de voir le pape tendre la main à un négationniste et d'une possible résurgence de l'antisémitisme catholique. "Si cela avait été dit dès le début, on aurait évité d'inutiles dégâts", a déclaré, mercredi, le rabbin David Rosen de l'American jewish committee, commentant le nouveau texte papal.
Face aux inquiétudes suscitées par la décision du pape, les critiques avaient en effet débordé du simple cadre de l'Eglise avec l'intervention spectaculaire de la chancelière allemande, Angela Merkel, jugeant "insuffisante" la clarification jusque-là apportée par le pape.
Une cinquantaine de représentants catholiques du Congrès américain avaient également écrit à Benoît XVI pour exiger une "répudiation directe" des propos de Mgr Williamson. Des responsables politiques polonais s'étaient aussi inquiétés de "la confusion" que cette décision créait dans l'Eglise.
De manière inhabituelle, la charge est également venue de l'intérieur même de l'institution. En première ligne, les évêques allemands et autrichiens ont alerté sur " une perte de crédibilité" et une "perte de confiance envers le pape". Les évêques belges ont souligné que l'unité des chrétiens ne pouvait se réaliser "au détriment de la vérité", tandis que le journal d'inspiration catholique La libre Belgique dénonçait "la surdité et l'aveuglement" du Vatican. En Suisse, 200 prêtres et théologiens ont écrit à leurs évêques, estimant que la réhabilitation des intégristes s'inscrivait dans une série de "décisions fortement régressives".
DYSFONCTIONNEMENTS
En France, une cinquantaine d'intellectuels catholiques, rejoints par plus de 5 000 fidèles, ont signé une pétition lancée par le magazine catholique La Vie contre les négationnistes dans l'Eglise. Même la conférence épiscopale italienne, par nature proche du Vatican, a souhaité que soit exigée des intégristes une acceptation totale de Vatican II. Au Vatican même, le tollé provoqué par la décision du pape semble par ailleurs avoir mis en lumière des dysfonctionnements internes. Des critiques publiques ont, de manière inédite, été émises sur les méthodes de gouvernement.
Le cardinal Walter Kasper, chargé au Vatican du dialogue avec les autres confessions, a dénoncé "des problèmes de management dans la Curie", laissant entendre qu'il n'avait pas lui-même été informé de cette décision, pourtant hautement sensible pour les relations avec les autres religions, et en particulier avec les juifs.
Cette affaire précipitera-t-elle la vaste réforme politique que le Vatican attend depuis la fin du pontificat de Jean Paul II ? Pour cela Benoît XVI devra s'attaquer au cloisonnement entre les dicastères (ministères), à la gestion des divers courants à l'oeuvre au Vatican, à la lourdeur des processus de décision et à la professionnalisation d'un personnel, composé en partie de prêtres et de religieuses.
Reste enfin la question de fond, concernant le processus de réintégration des lefebvristes, amorcé avec la levée de l'excommunication. Comment Mgr Williamson répondra-t-il à la nouvelle injonction du pape ? Jusqu'à quel point les membres de la Fraternité sont-ils prêts à s'amender alors même que des divisions sont apparues en leur sein sur la stratégie à adopter après cette main tendue ?
Des questions cruciales, car l'opération tentée par le pape ne réussira que si les quatre évêques sont pleinement réintégrés. Qu'un seul d'entre eux reste en dehors de l'Eglise avec une partie des troupes intégristes et le schisme perdurera.
Stéphanie Le Bars (avec nos correspondants)
Retour sur une polémique 22 janvier. Mgr Richard Williamson, un évêque intégriste installé en Argentine, déclare à une télévision suédoise : "Je crois qu'il n'y a pas eu de chambres à gaz. (...) Je pense que 200 000 à 300 000 juifs ont péri dans les camps de concentration, mais pas un seul dans les chambres à gaz."
24 janvier. Le Vatican annonce la levée de l'excommunication de quatre évêques de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X, ordonnés en 1988 par Mgr Marcel Lefebvre. Parmi eux figure Mgr Williamson. Une polémique naît.
28 janvier. Benoît XVI réaffirme sa "solidarité totale et incontestable" avec les juifs, lors de son audience hebdomadaire.
3 février. L'affaire "peut être considérée comme close", assure le numéro deux du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone. Quelques heures plus tard, la chancelière allemande, Angela Merkel, juge "insuffisante" la clarification du Vatican.
4 février. Mgr Williamson doit "prendre sans équivoque et publiquement ses distances" avec ses déclarations sur la Shoah avant de retrouver ses fonctions épiscopales, prévient le Vatican qui assure que ces déclarations à la télévision suédoise n'étaient "pas connues" du pape "au moment de la levée de l'excommunication" des quatre évêques. |